« On a un problème sur le studio C, tu pourras venir ? » Christian Khalfa, chef éclairagiste à la direction de la Fabrique - qui regroupe les différents services techniques internes - de France Télévisions est appelé par un technicien. Celui-ci lui signale un dysfonctionnement sur un projecteur survenu dans le cadre de la préparation du plateau de La Maison des maternelles. Il va falloir trouver l’origine de la panne… Dans ce même studio est également tourné Le Magazine de la santé. L’autre partie du plateau héberge alternativement les émissions C politique, L’événement, C médiatique, C en société.
Un peu plus loin, le studio Pierre-Sabbagh accueille Télématin ainsi que les différents journaux télévisés. Au total, six plateaux sont à disposition au siège de France Télévisions, dans le XVe arrondissement de Paris, dont un virtuel. Ce dernier, totalement dépouillé, se résume à un fond intégralement vert, sans décor physique. Son décor de fond sera composé « sur mesure » à partir d’incrustations dans l’image à l’enregistrement.
Tous ont en commun d’avoir en guise de plafond une forêt de projecteurs suspendus, de différentes familles, réglables à distance et commandés depuis un pupitre de contrôle. « Dans nos métiers, dès qu’il y a un tournage, il y a de l’éclairage artificiel. Que ce soit en studio ou en extérieur, explique Thomas Évrard, responsable du pôle santé et prévention des risques à France Télévisions. Projecteurs, poursuites sont des sources de rayonnements optiques utilisées quotidiennement. »
Dans les équipes, ce sont les techniciens, notamment les éclairagistes, et les personnes en plateau – celles qui sont éclairées – qui sont les premières concernées, car directement exposées. Le principal risque lié à l’éclairage artificiel est la lésion rétinienne due à la puissance lumineuse émise par ces équipements. La répétition des expositions sur des années peut entraîner un vieillissement précoce de la rétine. « L’exposition aux rayonnements optiques est donc un risque dont on tient toujours compte, même si les situations identifiées relèvent plus de l’inconfort ou de la fatigue visuelle », poursuit-il. Le service lumière de France Télévisions compte une trentaine de personnes, complétées par les interventions ponctuelles de cinq ou six intermittents.
Réduire les intensités lumineuses
Les métiers de la lumière dans le spectacle et l’audiovisuel ont été bouleversés avec l’arrivée des leds et l’avènement du numérique. « La lumière, c’est le domaine qui a le plus évolué ces dix dernières années, davantage que le son ou la vidéo, estime Christian Khalfa. On est devenus des geeks ! » Ces innovations ont en effet élargi les possibilités techniques et le panel des créations. Leurs usages sont multiples. « Les leds restent plus directionnelles, mais aujourd’hui toutes les machines sont traitées pour abaisser l’intensité lumineuse. » La classe de risque est inscrite sur les projecteurs. Des filtres sont ajoutés pour atténuer systématiquement la lumière pour les éclairages de face et ainsi abaisser leur classe de risque. Ce qui ne convient pas à tout le monde…
LE TÉMOIGNAGE DE...
Thomas Évrard, responsable du pôle santé et prévention des risques à France Télévisions
« De par notre activité, le risque optique nous préoccupe depuis de nombreuses années. Nous nous consacrons aux questions des ROA plus spécifiquement depuis 2013. À l’époque, l’INRS cherchait des entreprises utilisant les nouveaux projecteurs à leds pour mener une étude sur les expositions aux dispositifs d’éclairage scénique et pour réaliser des comparaisons entre différents modèles et fabricants. Nous y avions participé. D’autres études ont suivi. Ce travail nous a amenés à qualifier les projecteurs que nous utilisions et à demander aux fabricants d’être plus précis sur les classes de risque de leurs projecteurs. Et, depuis, c’est un sujet de veille continue car, si les technologies évoluent, les risques sont toujours là et des plaintes sont toujours à envisager. On trouve par exemple de plus en plus de leds dans les décors de plateaux, ce qui élargit le domaine de vigilance. »
« Les directeurs photo ont toujours envie d’avoir le plus de lumière possible, on n’est pas toujours en phase, reconnaît Christian Khalfa. Mais tous ceux qui travaillent régulièrement avec nous savent que désormais il faut limiter les intensités lumineuses en plateau. » Et force est de constater que l’exposition aux leds est une préoccupation quotidienne pour les éclairagistes rencontrés. « Les leds sont plus puissantes que les anciennes ampoules à tungstène par exemple. On a conscience du risque et on fait en sorte d’être le moins exposé possible, de ne pas les regarder directement », confirme Jean-Pierre Stolfo, responsable lumière.
Des mesures de prévention sont mises en œuvre selon le groupe de risque du projecteur : distance d’exploitation, durée d’exposition limitée, etc. Pour réduire les expositions, des consignes sont données afin de favoriser les éclairages indirects, à l’aide de diffuseurs, pour éviter des points d’éblouissement.
Une nouvelle génération de projecteurs
La technologie des leds s’avère toutefois moins nocive pour la santé. C’est le meilleur compromis par rapport aux projecteurs de l’ancienne génération, car elles n’émettent pas d’ultraviolets ni d’infrarouges (lire l’encadré page précédente). Elles exposent donc globalement à moins de risques professionnels. « Néanmoins, notre sensibilité, au fil des années, nous a conduits à chercher à approfondir le sujet auprès des fabricants et nous restons en veille constante, en lien avec l’INRS, complète encore Thomas Évrard. Depuis 2022, à l’occasion de l’achat de nouveaux projecteurs, nous exigeons des prescriptions photobiologiques précises dans les cahiers des charges des éclairages. Les projecteurs que nous utilisons à France Télévisions doivent être qualifiés selon la norme NF EN 62471 “Sécurité photobiologique des lampes et des appareils utilisant des lampes”. Ça n’est pas toujours simple à faire appliquer, tant auprès de nos fournisseurs que de nos acheteurs internes, car cette norme n’est pas obligatoire. »
Et, au-delà du risque optique, les achats privilégient des projecteurs asservis, dont tous les paramètres peuvent être réglés à distance. Ils ne nécessitent plus de la part des éclairagistes d’avoir à intervenir physiquement dessus, ce qui supprime le risque de chute de hauteur et de manutentions répétées.
LES LEDS
Les leds (light emitting diode) sont des diodes électroluminescentes qui ont progressivement remplacé les anciennes générations de lampes incandescentes ou halogènes classiques et les lampes à vapeur de mercure, interdites à la vente, ou encore les tubes fluorescents. Plus efficaces, elles présentent également d’autres avantages : émission négligeable de rayonnement ultraviolet ou infrarouge parasites, pas de risque d’explosion ou de bris de verre, peu de risque de brûlure de contact, taille réduite, possibilité de les allumer et de les éteindre instantanément sans que cela affecte leur durée de vie. En revanche, certaines leds émettent une lumière enrichie en bleu qui présente des effets physiologiques et qui, à des niveaux de luminance élevés, peut affecter la rétine.