La rue est une voie sans issue, avec, au bout, la mer… Dans cette petite artère de Saint-Vaast-la-Hougue, dans la Manche, se trouvent des locaux ayant accueilli d’abord une gare, puis une école. Les lieux sont aujourd’hui occupés par Sparcraft, une entreprise spécialisée dans la fabrication de mâts, bômes et autres équipements destinés aux bateaux de plaisance. Réalisés en aluminium, ces éléments nécessitent de très nombreuses soudures pouvant exposer les opérateurs à des rayonnements optiques artificiels.
Ce jour de printemps 2024, devant les bâtiments que l’entreprise occupe depuis quelques années, un convoi exceptionnel de 22 mètres est en cours de chargement : trois opérateurs s’activent pour caler la cinquantaine de mâts qui partiront vers La Rochelle où ils seront assemblés dans une autre unité du groupe auquel appartient Sparcraft. « Nous appartenons au groupe Wichard, qui est constitué d’une dizaine d’entreprises, toutes dans le même secteur, précise Cyril Meunier, le directeur de production. L’entreprise Sparcraft comprend deux sites, l’un de treize personnes à Saint-Vaast-La-Hougue, et l’autre d’une cinquantaine de personnes à La Rochelle. »
LE TÉMOIGNAGE DE...
Mili Leprunier, IPRP au service interprofessionnel de santé au travail Ouest-Normandie
C’est à une véritable enquête que s’est livrée l’IPRP chimiste du service interprofessionnel de santé au travail : « Compte tenu du nombre de produits chimiques utilisés sur ce site, on a dans un premier temps pensé que les irritations étaient dues à leur utilisation, d’autant que les yeux n’étaient pas touchés. Les mâts et bômes arrivent enduits d’une huile anticorrosion assez présente, les soudeurs interviennent sur ces pièces avant les opérations de dégraissage. J’ai passé du temps pour comprendre les différents process, et analyser les postes et les fiches de données de sécurité des différents produits chimiques… avant de m’interroger sur le procédé de soudage. »
Les futurs mâts et autres éléments arrivent à Saint-Vaast-La-Hougue sous forme de profils d’aluminium. « On en traite une trentaine par semaine, explique Alain Guillemette, le responsable du site de production. Dès leur réception, on les identifie pour les stocker à l’extérieur, en les déplaçant toujours au pont roulant car ils peuvent mesurer 30 mètres et peser jusqu’à 500 kg. » Première opération : percer et réaliser des entailles, dans le centre d’usinage de 25 mètres de long situé dans l’un des bâtiments.
Une fois cette étape terminée, les éléments sont sortis à l’aide de palans, puis intègrent le bâtiment voisin, cette fois sur des chariots qui les transportent jusqu’aux postes de soudage. Là, trois soudeurs réalisent des soudages TIG alu avec gaz argon, jusqu’à 5 heures par jour. Les pièces passent ensuite dans une série de bains visant à les dégraisser, décaper, blanchir, anodiser, colmater à chaud puis à froid... Elles seront ensuite contrôlées et emballées pour partir à La Rochelle.
Des protections à adapter
Il y a quelques années, l’un des soudeurs, Guillaume Lesachey, souffrait d’importantes rougeurs sur son visage et ses mains. « Elles mettaient du temps à disparaître », remarque-t-il. « On avait l’impression qu’il était brûlé », précise Alain Guillemette. Le Dr Carine Godefroy, le médecin du travail, recueille ses plaintes et celles, un peu moindres, d’un autre soudeur. Elle demande l’intervention de Mili Leprunier, IPRP (intervenante en prévention des risques professionnels) chimiste du Sist Ouest-Normandie (service interprofessionnel de santé au travail) qui suivait déjà cette entreprise.
« J’ai commencé par analyser toutes les fiches de données de sécurité des produits chimiques auxquels pouvaient être exposés ces salariés, explique cette dernière. Les pièces étant largement enduites d’huile anticorrosion, celle-ci a attiré mon attention. » L’entreprise demande à son fournisseur d’en réduire l’usage. Sans grand résultat. Mili Leprunier se rapproche alors de la Carsat Normandie. « Le soudage de ces pièces, qui sont en aluminium et souvent très épaisses – jusqu’à 35 mm –, nécessite une intensité très élevée, rare, de l’ordre de 450 à 500 A », mentionne Jean-Claude Poulain, ingénieur-conseil à la Carsat Normandie, référent nuisances physiques à la Caisse régionale.
Il demande l’intervention du laboratoire interrégional de contrôles physiques de la Carsat Centre- Val de Loire (Circop). Effectuées par Céline Ruillard en 2021, les mesures mettent en évidence de très fortes intensités de rayonnements optiques dans les UV, les infrarouges et le visible, exposant à des risques importants. « Nos postes de soudage étaient vieillissants, nous avions tendance à les pousser au maximum de leur intensité », reconnaît Alain Guillemette. « Face à ces intensités de soudage très fortes, les opérateurs étaient insuffisamment protégés par leur masque et leur bleu de travail », remarque Céline Ruillard.
Des mesures efficaces pour réduire l'exposition
L’entreprise prend alors la décision d’acheter de nouveaux postes de soudage, plus efficaces à des intensités plus faibles, de l’ordre de 350 A, pour intervenir sur les mêmes pièces. Le rapport du laboratoire propose de changer de vêtements de travail, et d’opter pour du cuir et non du tissu. Les soudeurs portent désormais une bavette, des gants et un tablier en cuir. De nouveaux masques ont également été acquis, auxquels les soudeurs peuvent ajouter un filtre intérieur afin d'en modifier la teinte.
« L’entreprise a également bénéficié d’une aide technique et financière de la part de la Carsat pour l’acquisition d’un système d’aspiration des fumées de soudage », complète Jean-Claude Poulain. De nouvelles mesures du Circop ont été réalisées en présence des nouveaux postes et des nouveaux équipements de protection individuelle. Elles ont mis en évidence une réduction de 99 % de l’exposition aux ROA.
L’érythème sévère dont souffrait Guillaume Lesachey est dorénavant atténué. Cependant, atteint également d’un problème à l’épaule reconnu depuis comme maladie professionnelle – dû à des gestes répétitifs –, et suite à l'intervention du service de prévention et de santé au travail, des outils ont été modifiés et il a changé de poste. Devenu chef d’atelier, il ne soude plus que très occasionnellement. L’autre soudeur n’a plus de rougeurs.
Quant à Arnaud Leboisselier, un soudeur arrivé après l’achat du nouveau poste, il n’a jamais eu la moindre irritation… d’autant que ces changements d’équipement se sont accompagnés de modifications organisationnelles : les mâts et autres bômes arrivent préparés différemment, et demandent désormais moins de soudures. « Cette intervention sur le soudage a permis de sensibiliser l’entreprise plus largement aux risques professionnels », remarque Jean-Claude Poulain. D’ailleurs, l’équipe du Sist prévoit d’accompagner l’entreprise sur d’autres projets.
L'AVIS DE...
Céline Ruillard, contrôleuse de sécurité au Circop
« Les opérations de soudage, selon les procédés MIG ou TIG, sont à l’origine de risques importants pouvant générer des lésions au niveau des yeux et de la peau, tels des kératoconjonctivites, des érythèmes… Sur ce site de Sparcraft, le soudage était réalisé sur de grosses pièces en aluminium, avec une intensité particulièrement importante que, pour ma part, je n’ai vue nulle part ailleurs : dans ce type de situation, il est primordial d’installer des rideaux rouges pour isoler les soudeurs des autres opérateurs, et de protéger les soudeurs. Les nouveaux postes à souder sont plus efficaces, ils nécessitent donc moins d’intensité. L’entreprise a fait l’achat de nouveaux casques pouvant être équipés d’un filtre supplémentaire pour augmenter la protection des yeux. De plus, une étude de l’INRS ayant mis en évidence que les bleus de travail pouvaient s’avérer insuffisants, nous avons également préconisé l’achat de gants, tabliers et bavettes en cuir. »