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Les rayonnements optiques artificiels

Quelle prévention en présence de rayonnements optiques naturels ?

Parallèlement aux rayonnements artificiels, les rayonnements optiques naturels exposent à des risques les personnes travaillant à l’extérieur. Le sujet demande à gagner encore en visibilité pour adopter des démarches de prévention adaptées. Entretien avec Jean-Michel Wendling, médecin inspecteur du travail à la Dreets Grand-Est, et Damien Brissinger, responsable d’études en rayonnement optique à l’INRS.

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Céline Ravallec - 03/07/2024
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Vue d'un salarié sur un chantier BTP exposé au soleil.

Travail & Sécurité. Quels sont les dangers du rayonnement solaire ?

Damien Brissinger. Les rayonnements optiques naturels émis par le soleil sont de même nature que les rayonnements artificiels : présence d’ultraviolets, de lumière bleue dans le spectre visible, et d’infrarouges. Contrairement aux UV artificiels, dans lesquels on peut trouver des UVa, des UVb et des UVc, les ultraviolets qui atteignent la surface terrestre ne contiennent que des UVa (95 %) et un peu d’UVb (5 %). Les UVc sont stoppés par la couche d’ozone. La lumière bleue naturelle est présente et constitue un danger particulier pour les yeux des enfants. Enfin, l’infrarouge influence l’ambiance thermique, exposant à des risques d’hyperthermie ou de malaise. Tout comme les rayonnements optiques artificiels, les effets sur la santé des rayonnements naturels peuvent être aigus ou chroniques, selon les types d’exposition.

Qu’est-ce qui est nocif dans le rayonnement solaire ?

Jean-Michel Wendling. Les rayons UVa et UVb sont classés cancérogènes avérés (groupe 1) pour la peau par le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) depuis 2009. Les UVb sont les plus cancérogènes. Les UVa peuvent aussi provoquer des cas précoces de cataracte. On est par ailleurs en présence d’un risque dissocié : ce n’est pas lors des pics de chaleur que l’on est forcément le plus exposé aux UV, qui sont invisibles et ne procurent pas de sensation de chaleur. La perception du risque est donc faussée. En cas de petite brise ou de ciel partiellement couvert, on peut être fortement exposé aux UV. Il est donc important de s’informer du niveau de risque, notamment grâce à des applications comme SunSmart Global UV recommandée par l’OMS, l’OMM, le programme des Nations-Unies pour l’environnement ou encore l’OIT.

Et qui est concerné par ces risques ?

D. B. Tous les métiers s’exerçant à l’extérieur : ouvriers du bâtiment (couvreurs, peintres en bâtiment…), agriculteurs et ouvriers agricoles, agents de la fonction publique territoriale (jardiniers, paysagistes…), pêcheurs, gendarmes, moniteurs sportifs... Mais aussi les conducteurs de véhicules, car les vitres laissent partiellement passer les UV, ou encore des agents d’entretien, des agents de sécurité… L’environnement de travail peut également jouer : des étendues ayant un fort pouvoir réfléchissant (mer, neige) accentuent l’exposition, même à l’ombre. Dans certains métiers, il peut également y avoir présence de matériaux photosensibilisants, tels que des goudrons et bitumes ou de cofacteurs, avec d’autres substances cancérogènes cutanées (hydrocarbures aromatiques polycycliques, suies…). Sans oublier que certains médicaments, cosmétiques et aliments peuvent également provoquer une photosensibilisation.

Quelles actions de prévention peuvent être déployées ?

D. B. La recherche d’ombre est la première solution. Cela passe par l’installation de grandes tentes ou de barnums. Des supports gonflables, pour abriter des engins de chantier ou des équipes, commencent à se développer. Une autre action est l’aménagement des horaires de travail. Il est estimé que le créneau entre 12 h et 16 h concentre plus de 50 % du risque d’exposition pour une journée typique. Réduire le temps de travail entre ces heures réduit fortement l’exposition journalière. Enfin, des équipements de protection individuelle sont à envisager quand les protections collectives ne suffisent pas : chapeaux avec bords larges, protège-nuque, lunettes de soleil, vêtements couvrants mais respirants...

Vous êtes copilote de l'action « Prévention du risque de cancer de la peau et exposition aux ultraviolets solaires », démarrée en 2023. En quoi consiste-t-elle ?

J.-M. W. Cette action entre dans le cadre du Plan régional santé au travail 2021-2025 (PRST4) Grand-Est. Il s’agit du premier plan régional santé qui traite du sujet. En France, les cancers de la peau associés aux UV solaires ne sont pas inscrits dans un tableau de maladie professionnelle, alors que c’est le cas chez certains voisins européens comme l’Allemagne, la Suisse et plus récemment la Belgique. Pour donner un ordre de grandeur, les CRRMP [NDLR. Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.ont reconnu une dizaine de cas en vingt ans en France, alors qu’en Allemagne, on est autour de 4 000 cas de cancers cutanés d’origine professionnelle recensés chaque année. Or c’est la mise en visibilité du risque qui participe à la dynamique des démarches de prévention. Cette action, dans le cadre du PRST4, a pour objectif de répertorier les cancers cutanés résultant d’expositions professionnelles au soleil, d’établir un état des lieux objectif pour mieux les cibler et surtout davantage les prévenir.

OBSERVATOIRE DES CANCERS CUTANÉS

Dans le cadre du PRST 4 Grand-Est, une des actions phares est le lancement depuis le 1er juin dernier d’un Observatoire des cancers cutanés favorisés par l’exposition professionnelle aux ultraviolets solaires. Déployé sur une période de 18 mois, jusqu’à fin 2025, cet Observatoire implique dermatologues et oncodermatologues, qui sont en première ligne dans la détection des cancers cutanés. Répartis sur toute la France, ils ont pour mission de collecter et partager des informations détaillées recueillies dans le cadre des consultations : métier, nombre d’années d’exercice, zone du corps photo-exposée, zone de lésion observée, typologie histologique de la lésion cancéreuse, année de naissance, phototype de la personne, facteurs autres (prise de médicaments, bronzage en cabine UV…). La saisie des données se fait sur une application en ligne spécialement développée et construite avec le Syndicat national des dermatologues vénérologues et l’Observatoire régional de santé du Grand-Est (ORS-GE).

Comment distinguer l’origine professionnelle d’un cancer de la peau ?

J.-M. W. Un lien est scientifiquement établi entre expositions professionnelles cumulées aux UV solaires et survenue de cancers cutanés non mélaniques (particulièrement cancers épidermoïdes), ce qui n’est pas le cas avec les mélanomes. Il est établi que les travailleurs en extérieur sont exposés à des doses d’UV nettement plus élevées que le reste de la population, qui, elle, est principalement exposée dans le cadre des loisirs. D’après une étude OIT/OMS, un décès sur trois causé par un cancer cutané non mélanique dans le monde serait attribuable au travail.

A-t-on des statistiques au niveau national ?

J.-M. W. On sait qu’en France, environ 1,5 million de travailleurs sont exposés aux UV solaires. En 2020, le Haut Conseil de la santé publique avait recommandé que « les autorités compétentes reconsidèrent la reconnaissance de l’exposition professionnelle aux UV comme cause de cancers de la peau pouvant conduire à leur indemnisation comme maladie professionnelle ». Au niveau international, c’est l’étude Genesis-UV, menée en Allemagne et publiée en mars 2023, qui fait actuellement référence. Elle a porté sur 1 000 salariés issus de nombreux secteurs, représentant 250 métiers et 650 activités différentes. Ces travailleurs ont fait l’objet durant sept mois – d’avril à octobre – d’une dosimétrie individuelle, afin de mesurer les doses de rayonnements UV cumulés auxquelles ils étaient exposés dans le cadre de leur métier. Les résultats obtenus constituent une base de données de premier ordre et permettent de disposer de matrices emplois/exposition.

Quels enseignements ont apporté ces études ?

J.-M. W. L’exposition aux rayonnements solaires est définie en SED (standard erythema dose) par jour et par année, ou même sur une carrière entière. Pour donner un ordre de grandeur, selon les métiers, on oscille entre 50 et 650 SED/an. On estime que l’on double le risque de survenue d’un cancer cutané si les doses cumulées atteignent entre 6 000 et 8 000 SED. Or l’étude Genesis-UV a mis en évidence que des couvreurs atteignent une exposition cumulée de 500 SED/an. Donc pour un couvreur, le risque de développer un cancer cutané non mélanique est doublé à partir de douze ans d’exposition ! Cette étude contribue à objectiver et rendre concret un risque professionnel encore trop souvent sous-estimé.

DES INITIATIVES DANS CERTAINS PAYS EUROPÉENS

Du fait de la survenue différée et tardive des cancers de la peau, une campagne de dépistage a été lancée en Suisse auprès des salariés de 55 ans régulièrement exposés. Une première campagne pilote a eu lieu dans une grande entreprise de construction en 2023 : sur 74 personnes examinées, 9 cas de lésions précancéreuses et un cas de carcinome basocellulaire ont été détectés. Cette stratégie de dépistage est déployée en 2024 dans deux secteurs d’activité très exposés, le bâtiment et l'horticulture. En 2022, dans le cadre d’une étude menée et publiée en Espagne auprès d’agriculteurs, un examen dermatologique d’une population de 215 travailleurs agricoles présentant une moyenne d’âge de 65 ans (et 45 ans d’exercice) avait été réalisé : 89 ont présenté des lésions précancéreuses, 21 des cancers basocellulaires et 3 des cancers épidermoïdes.

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