« Ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement à l’ordre. » C’est en ces termes, pour le moins oppressants, que l’écrivain Robert Linhart évoquait en 1978 les risques que les machines font peser sur les travailleurs dans son livre L’établi, récit inspiré de son expérience en usine. Depuis cette époque, la sécurité a bien progressé dans les milieux professionnels. Pour autant, les machines sont encore à l’heure actuelle impliquées dans 10 % des accidents du travail ayant entraîné un arrêt supérieur ou égal à quatre jours, selon une étude réalisée par l’INRS à partir des statistiques des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Cnam.
Omniprésentes dans les entreprises, les machines exposent à toutes sortes de risques un nombre important de salariés de différents secteurs. « On pense bien sûr à l’industrie, que ce soit la métallurgie, la plasturgie, l’industrie du bois, l’agroalimentaire ou l’automobile, énumère Jean-Christophe Blaise, responsable de laboratoire à l’INRS. Mais d’autres secteurs comme la logistique, les travaux publics ou l’agriculture, notamment, sont aussi concernés. Et ce, de manière de plus en plus prégnante avec le développement de nouveaux types de machines, capables de réaliser des tâches de plus en plus variées et complexes. »
QU’EST-CE QU’UNE MACHINE ?
La réglementation définit une machine comme, notamment, un équipement de travail dont au moins un des éléments est mobile, qui est équipé ou destiné à être équipé d’un système d’entraînement mû par une énergie autre que la force humaine ou animale employée directement, et qui a une application définie. Ainsi et par exemple, tour à métaux, centrifugeuse, marteau-pilon, trancheur à jambon, bande transporteuse, chariot automoteur, engin de terrassement ou grue à tour sont tous des machines : ils convertissent l’énergie, par le biais de mécanismes, pour agir sur de la matière ou la transporter. Elle retient également comme machines les appareils de levage, mus manuellement ou non, et fixe par ailleurs des prescriptions relatives à leurs accessoires de levage. Enfin, précisons que, réglementairement parlant, plusieurs machines liées entre elles fonctionnellement constituent une seule et même machine.
Les machines sont particulièrement hétérogènes, dans leur forme comme dans leur fonctionnement. Conséquence : la diversité des risques professionnels qu’elles présentent est immense. Il y a les risques mécaniques (écrasement, perforation, entraînement…) liés notamment aux parties mobiles, les risques inhérents aux énergies mises en œuvre (électrique, hydraulique, pneumatique…), les risques d’incendie et d’explosion, mais aussi les risques découlant du bruit, des vibrations, des polluants ou des rayonnements émis, ou encore le risque chimique associé aux fluides de coupe, copeaux, poussières, huiles de graissage... À cette liste déjà conséquente s’ajoutent les éventuelles exigences physiques (gestes répétitifs, ports de charge, postures contraignantes) liées à l’activité elle-même et à la conception du poste de travail dans lequel s’inscrit la machine. Si les expositions à ces risques surviennent essentiellement en phase de production, elles sont également présentes à d’autres étapes comme la maintenance, le réglage ou encore le nettoyage. Sans oublier le montage-démontage qui peut ajouter potentiellement le risque de chute de hauteur.
Le choix de la machine, point clé de la prévention
La prévention des risques professionnels liés aux machines, communément appelés « risque machine », débute dans la conception même de l'équipement. Une première obligation réglementaire présente dans le Code du travail impose au fabricant de respecter un certain nombre de règles techniques. Cependant, la présence du logo CE ne suffit pas à s'assurer de l'absence de risque machine selon l’activité des utilisateurs, l’usage qui en est fait ou l’environnement dans lequel elle se trouve. Il demeure de la responsabilité de l’employeur de s'assurer que l'utilisation de la machine n'occasionnera pas d'atteintes à la santé ou à la sécurité de ses salariés. Il s'agit pour l'employeur d'une obligation de résultat.
En cela, le choix de la machine va constituer un point essentiel de la démarche de prévention. Le cahier des charges établi par l’acheteur est l'occasion de définir ses besoins et contraintes. Dans le cas de machines produites en séries, ce document va permettre d'orienter son choix vers l’équipement le plus adéquat. Et pour les machines spécifiques (machines de série adaptables, machines spéciales, lignes de production…), il peut servir de base pour demander des aménagements au constructeur.
PRÉVOIR LA MAINTENANCE
La maintenance expose les salariés qui en ont la charge à des risques liés aux contraintes de cette activité (travailler dans des espaces restreints, en présence de pièces en mouvement…). En tenir compte dès la phase de conception des machines est le meilleur chemin vers plus de sécurité au travail. Garantir des accès et des espaces permettant de se mouvoir ou intégrer des points de fixation de ligne de vie sont notamment des leviers permettant de limiter les situations dangereuses. En outre, des modes opératoires spécifiques doivent être définis, en tenant compte des instructions données par le fabricant dans sa notice d’instructions et des éventuelles modifications apportées à la machine par l’utilisateur. Lorsque l’intervention n’est pas réalisable sur machine consignée, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’une procédure garantissant son maintien hors énergie, des moyens techniques doivent être mis en place, comme réduire la vitesse des parties en mouvement. En outre, ces travaux ne peuvent être accomplis que par des travailleurs spécialement formés et spécifiquement affectés.
« La version initiale d’expression des besoins se transforme en un document technique voué à évoluer tout au long du processus de conception, au fil des itérations entre les parties, souligne Séverine Demasy, experte d’assistance-conseil à l’INRS. La réception de l’équipement est une étape-clé de la démarche de prévention du risque machine. Elle permet de vérifier, avant sa mise en service, que toutes les spécifications notifiées dans le cahier des charges sont respectées et de s’assurer de la conformité de la machine à la réglementation. »
À cette occasion, afin d’identifier des non-conformités, l’employeur a la possibilité de s’aider de la grille de détection d’anomalies éditée par l’INRS. « La meilleure option pour contrôler que l’autocertification du fabricant n’a rien laissé de côté et que la machine fournie est bien conforme est de faire appel à un organisme d’inspection, estime Maryline Vannier, contrôleuse de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Bien entendu, pour que son rapport soit pertinent, la vérification doit être réalisée une fois la machine installée. Intervenir chez le fabricant n’aurait pas de sens puisque l’environnement, et donc les conditions d’utilisation, ne sont alors pas celles de la réalité du terrain. »
Former les utilisateurs et respecter les règles
Si l’utilisation d’une machine doit se faire conformément aux instructions de la notice du fabricant, l’employeur doit également mettre en place les mesures techniques et organisationnelles garantissant la sécurité de ses effectifs. Pour ce faire, il s’appuiera sur son évaluation des risques – qui doit alors s'intéresser à chacune des phases du cycle de vie des machines qu'il met à disposition – et sur la prise en compte des contraintes spécifiques à son établissement. Il définit des procédures d’intervention et des modes opératoires, rédige des fiches de postes – intégrant notamment les retours d’expérience –, et met à la disposition de ses salariés des équipements de protection individuelle (gants, lunettes, casques…) lorsqu’ils s’avèrent nécessaires.
Enfin, l’employeur doit veiller au respect de ces règles et à la mise à disposition d’informations et consignes à jour. « Il faut aussi donner la possibilité aux équipes de faire remonter les anomalies et dysfonctionnements qu’elles détectent afin de mettre en œuvre des actions correctives, précise Séverine Demasy. Enfin, il est primordial que les salariés soient formés. Il existe une formation obligatoire à la sécurité des opérateurs utilisant une machine, et pour ceux qui évoluent autour. Cette formation doit être renouvelée et complétée chaque fois que nécessaire et notamment dès que la machine évolue. »
L’employeur peut également être amené à modifier des machines pour les rendre aptes à de nouvelles utilisations ou fonctionnalités ou tout simplement pour les intégrer dans une ligne de production. « Quelles que soient leurs finalités, les modifications ne doivent pas dégrader le niveau de sécurité de l’équipement, martèle Jean-Christophe Blaise. Le simple fait de relier une machine-outil à un convoyeur peut mettre au jour des parties en mouvement qui étaient à l’origine inaccessibles. En fait, la démarche de modification s’apparente à celle de conception et doit donc faire l’objet d’une analyse du besoin et d’une démarche d’évaluation et de réduction des risques. L’employeur doit avoir conscience qu’en modifiant une machine, il devient de fait fabricant et endosse en conséquence les responsabilités qui incombent à cet acteur, dont les éventuels accidents qui peuvent découler d’une non-conformité. »
LA DIRECTIVE « MACHINES » DICTE LES RÈGLES
Afin d’assurer la mise sur le marché de machines sans compromettre la sécurité et la santé des travailleurs, le fabricant a l’obligation de respecter les règles techniques de conception prévues par le Code du travail (annexe 1 mentionnée à l’article R. 4312-1 et suivants) issues de la transposition des exigences essentielles de santé et de sécurité énumérées dans la directive européenne dite « machines » (directive 2006/42/CE). Ces exigences ont pour objectif de permettre la libre circulation des équipements dans l’Union européenne, tout en garantissant un niveau élevé et homogène de sécurité. La directive 2006/42/CE, qui est une évolution de la première version adoptée en 1989, a récemment été remaniée. Le nouveau règlement, publié le 29 juin 2023 au journal officiel de l’Union européenne, sera entièrement applicable aux machines neuves délivrées à partir du 20 janvier 2027. Parmi les nouveautés, des obligations supplémentaires incomberont aux fabricants pour prendre en compte les évolutions technologiques comme l’intelligence artificielle, les machines mobiles autonomes ou la cybersécurité.