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Le risque machine

Une expertise extérieure permet de déceler les non-conformités

La tonnellerie Cadus, à quelques kilomètres de Beaune, en Bourgogne, cherche à limiter les tâches les plus ingrates qui mettent les corps de ses salariés à l’épreuve. Dans ce cadre, elle a travaillé avec un concepteur de machines pour automatiser l’opération de décerclage des fûts. Pour s’assurer de la conformité du dispositif conçu, elle a fait appel à un organisme tiers.

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Damien Larroque - 14/08/2024
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Vue d'une situation de travail dans l'entreprise Cadus.

La tonnellerie Cadus est installée au cœur du vignoble bourguignon, à Ladoix-Serrigny, où elle côtoie des noms de grands crus, tels ceux de Nuits-Saint-Georges ou Vosne-Romanée. Elle a été créée en 1996 en partenariat avec la maison Louis-Jadot pour assurer l’approvisionnement de celle-ci en fûts. Cadus en produit aujourd’hui autour de 17 000 par an. Les ventes se répartissent entre des clients français (30 %) et des exportations aux quatre coins du globe (70 %). Sur son effectif de 40 salariés, 25 travaillent dans l’atelier. « Nos tonneliers sont attachés à leur savoir-faire, au geste juste, au contact avec le bois…, affirme Julien Tonneau, le bien nommé directeur de production. Cependant, dans l’optique d’améliorer les conditions de travail, nous cherchons à supprimer les opérations pénibles et sans valeur ajoutée. »

Le décerclage des fûts répond à cette définition. Il s’agit de retirer, à l’aide d’une chasse et d’un marteau, les cercles métalliques enserrant les douelles – les lattes qui constituent les tonneaux – en vue d’effectuer un ponçage de finition. « La presse appliquant une force de 10 tonnes pour leur mise en place, il faut taper fort pour déloger les cerclages, explique Cédric Petitjean, tonnelier. De plus, cela impose de prendre des postures contraignantes, surtout pour les anneaux supérieurs qu’il faut attaquer par en dessous. »

La difficulté de cette tâche s’est illustrée de triste manière lorsque l’un des salariés développe, en 2021, un double symptôme du canal carpien le conduisant à être opéré des deux mains. Cadus se rapproche alors d’un concepteur de machines de la région. « Nous n’avions pas de solution en catalogue, relate Olivier Sigaud, responsable technique de la société Fitech, installée à Chalon-sur-Saône. En revanche, travaillant déjà avec des tonnelleries, nous avions conscience de ce sujet sur lequel nous commencions à nous pencher. »

Barrière immatérielle et carter

Première étape, définir clairement les besoins pour le cahier des charges. Il faut notamment que la machine suive le rythme de 12 fûts à l’heure imposé par la chauffe, opération qui sert avant tout à donner sa forme à la barrique et qui permet de révéler les arômes du chêne. Le dispositif doit aussi ne pas gêner les déplacements des tonneaux. « Visualiser l’aménagement, avec une simulation 3D, permet de confirmer que les flux et les espaces de travail sont cohérents, indique Pascal Thomas, référent machine à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Présenter une maquette virtuelle aux équipes permet en outre de soumettre le projet à leur expertise terrain. »

Vue d'une situation de travail dans l'entreprise Cadus.

Les réflexions débouchent sur un dispositif mettant en jeu quatre appendices qui s’arriment au cerclage. Ce dernier se désolidarise du fût lorsque la plate-forme sur laquelle il est positionné s’élève. Concernant les risques mécaniques, les deux accès – une entrée et une sortie –, sont équipés de barrières immatérielles, tandis que le reste de la machine est cartérisé. « Ces solutions résultent de l’application de la directive machines qui assure un niveau de prévention autorisant les machines qui la respectent à circuler dans l’espace européen, énonce Maryline Vannier, contrôleuse de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Mais pour se conformer au Code du travail qui impose à l’employeur une obligation de résultat en matière de sécurité de ses effectifs, il faut garantir que la machine soit sûre dans toutes les phases d’utilisation et à chacune des étapes de sa vie. »

Une phase de test est organisée chez le concepteur de machines afin de corriger les défauts de conception avant la livraison du matériel dont la mise en route est ensuite suivie de près par les équipes du fabricant afin d’effectuer les inévitables réglages. « Le contrat de prévention que nous avons signé avec Cadus soumet notre aide financière pour l’acquisition de la décercleuse à la vérification de sa conformité par un organisme tiers », précise Maryline Vannier. L’Apave, mandatée pour ce faire, repère des non-conformités comme, par exemple, l’absence de câbles anti-fouet sur les flexibles hydrauliques ou le fait que le système de ramassage des cercles n’est pas stoppé en cas d’arrêt d’urgence.

UN PETIT PLUS DEVENU ESSENTIEL

Dans la première version du cahier des charges de la décercleuse, celle-ci devait être conçue pour que les anneaux de métal chutent au sol après avoir été séparés des barriques. Si cette option avait été retenue, les opérateurs auraient dû passer les barrières immatérielles pour les ramasser. Une perspective qui ne dérangeait pas les premiers concernés qui estimaient « pouvoir se baisser ». Fitech a proposé d’ajouter un dispositif permettant de récupérer les cerclages. « C’est typiquement une tâche sans valeur ajoutée qui correspond à ce que nous voulons épargner à nos équipes, remarque Julien Tonneau, le directeur de production qui, malgré les réactions peu enthousiastes de ses équipes, valide l’initiative du fabricant. Au final, les opérateurs sont conquis par ce qu’ils considèrent être la cerise sur le gâteau. Et de mon point de vue, c’est une amélioration tout aussi importante que l’automatisation du décerclage. »

Intégrer les exigences de l'Apave au cahier des charges

« À la demande de l’Apave, nous avons également revérifié que le temps de réaction des barrières immatérielles était bien adapté et complété la notice technique avec la capacité de levage du plateau et la marche à suivre pour intervenir en maintenance en sécurité, relate Olivier Sigaud. Tous ces correctifs nous permettent de nous améliorer. C’est donc une démarche vertueuse pour nous aussi. »

Une non-conformité n’est pas forcément liée à la conception de la machine, comme le démontre le cas du retourneur, ajouté à la ponceuse de fonds et de dessus des fûts, et commandé en parallèle de la décercleuse. La fenêtre de l’atelier qui donnait accès aux parties en mouvement de l’appareillage a été condamnée. « L’Apave a fourni dans son rapport des pistes de prévention pour remédier aux non-conformités, ce qui est une aide appréciable », souligne Pascal Thomas. « Et pour aller au bout de la démarche, j’encourage l’utilisateur à intégrer les exigences de l’Apave à ses futurs cahiers des charges », complète Maryline Vannier.

Si le processus allant de la conception à la réception de la décercleuse a pris plus de temps que prévu, en s’étalant de début 2022 à avril 2024, Julien Tonneau estime que c’est pour le meilleur. « Il vaut mieux décaler la mise en service pour résoudre les problèmes plutôt qu’installer une machine bancale sur laquelle il sera bien plus complexe d’intervenir pour corriger le tir », considère-t-il.

FORMATION

En collaboration avec le syndicat des maîtres tonneliers de Bourgogne, le centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Beaune délivre une formation de 15 jours à destination des personnels de la tonnellerie n’ayant pas suivi de cursus initial dans ce domaine. En plus des aspects liés au métier (connaissance du bois, machines et maintenance, conception des fûts …), un module est consacré à la prévention des risques. Il se déroule chaque année dans un établissement différent. En 2024, c’est Cadus qui a ouvert ses portes aux stagiaires. « L’enseignement est très concret puisqu’il s’agit d’une observation du travail réel pour apprendre à identifier les risques et à trouver des solutions de prévention afin que les participants soient en mesure de participer à la démarche de prévention de leur structure, explique Aura Gogolan, en charge de cette formation à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. C’est aussi l’occasion d’échanger sur les bonnes pratiques, puisque les stagiaires viennent de différentes entreprises. »

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