« Lorsque l’on évoque le risque machine, on ne pense pas forcément aux risques liés à l’installation, et en particulier à celui de chute. Pourtant, dans le cas de Néos, les deux sujets sont clairement intriqués. » David Thiay est responsable d’études à l’INRS. Il a accompagné l’ensemblier, concepteur et réalisateur de centres de traitement de déchets, dans son analyse des risques de chutes de hauteur : « À la suite d’un accident dramatique, en 2023, poursuit le chercheur, lors de l’installation d’une chaîne de tri près de Libourne, et par l’intermédiaire des Carsat Aquitaine et Bourgogne-Franche-Comté (NDLR. Le siège de l’entreprise Néos se situe à Beaune, en Côte-d’Or), nous avons aidé Néos à redéfinir certaines étapes de son process, de la conception des centres de tri à leur installation, avec pour objectif de supprimer le risque à la source. »
Ce travail de prévention a permis à l’entreprise de mobiliser ses différents services – bureaux d’études, équipe projet, équipe travaux et hygiène, sécurité et environnement (HSE) – afin d’identifier, lors de réunions de préparation, l'ensemble des risques pouvant être générés à chaque étape du montage. « Ces réunions permettent également d’anticiper la méthode de montage de certains équipements particuliers comme les trommels et les cribles balistiques, explique Aurélie Rigaut, coordinatrice sécurité, environnement et supports chez Néos. Et potentiellement de faire des modifications avant l’envoi en fabrication, comme le nombre de tronçons d’un convoyeur, ses points de levage... »
Une avancée qui vient s’ajouter aux nouvelles façons d’envisager un chantier pour l’entreprise, avec les changements d’organisation qui en découlent. Ainsi, en premier lieu, pour chaque projet, Hamed Elkahlioui, préventeur sécurité site, accompagne systématiquement sur le terrain le conducteur de travaux, responsable de l’installation de la machine : « Je travaille en collaboration avec les conducteurs de travaux afin que les mesures de prévention soient comprises et appliquées. Faire preuve de pédagogie est essentiel si l’on souhaite que les comportements évoluent de manière pérenne. Il y a souvent sur nos chantiers de la coactivité, avec trois ou quatre entreprises qui peuvent travailler en même temps. Je suis régulièrement le référent direct pour les salariés de nos sous-traitants chargés de l’installation de nos chaînes de tri, et j’aime faire savoir que toute personne, quelle que soit son entreprise ou sa fonction, peut venir me voir en cas de question sur la sécurité. »
Privilégier l’installation des machines au sol
Force est de constater que le message est bien passé sur le chantier en cours du centre de tri de la communauté urbaine Montceau-Creusot, puisque peu de temps après nous avoir accueillis sur le site, Hamed Elkahlioui est sollicité par un installateur. Ce dernier doit réaliser des opérations autour d’une machine, mais ne sait pas comment y accéder en sécurité. « C’est notre quotidien, indique le préventeur sécurité. Nous devons installer des machines dans un bâtiment le plus souvent préexistant. Si notre bureau d’études fait le maximum sur plan pour que tout puisse rentrer et que les accès soient facilités, dans la réalité, les travailleurs sont souvent obligés d’intervenir dans des zones contraintes, avec un risque important de chute. »
Pour limiter ces situations dangereuses, Néos, sur les conseils de l’INRS, s’est lancé dans une démarche d’installation au sol des éléments des chaînes de tri. « Dès que cela est possible, nous identifions en amont tous les éléments qui peuvent être montés au sol, en sécurité, avant de procéder à leur levage à l’aide d’un engin adapté », précise Hamed Elkahlioui. Si le risque de chute de hauteur est supprimé, cette solution de montage a également l’avantage d’allier confort de travail et productivité : « Pour boulonner une machine déjà installée en hauteur, l’installateur doit souvent se contorsionner afin de réaliser les différentes opérations. Tandis qu’au sol, il lui suffit de tourner autour de la machine, explique-t-il. C’est bien plus facile et plus rapide. »
L'AVIS DE...
Jean-Louis Grosmann, ingénieur de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté
« La réflexion que Néos a engagée mobilise tous ses services et se déploie en trois axes qui se combinent pour renforcer la maîtrise des risques, particulièrement le risque de chute. Le premier concerne la préparation du montage avec une analyse fouillée réalisée conjointement par le bureau d’études, le service montage ainsi que le service sécurité. Le second touche à la coordination, essentielle pour adapter les modes opératoires aux aléas du chantier, pour surveiller les opérations et consolider un retour d’expériences qui soit partagé entre tous les acteurs. Le troisième axe, qui n’est pas à négliger, s’intéresse à la logistique du chantier qui est davantage au service du bon déroulement des opérations. Les matériels doivent arriver ni trop tôt, ni juste à temps. L’espace de stockage ne doit jamais être encombré, quitte à créer un stock tampon chez le fournisseur ou sur un site déporté, pour les matériels qui sont attendus plus tard. »
Compte tenu de la complexité du site – le nouveau centre de tri Montceau-Creusot concentre près de 110 convoyeurs et une trentaine de machines sur un espace de 625 m2 – tous les montages ne peuvent se faire au sol. Pour sécuriser les interventions en hauteur, Néos applique des règles drastiques : suppression des échelles, utilisation de nacelles tant que la configuration des lieux le permet, par défaut et toujours en fonction de l’espace disponible, recours à des échafaudages ou à des Pirl (plate-forme individuelle roulante légère) avec déploiement des stabilisateurs. Pour les zones où l’espace ne permettrait pas leur déploiement, l’équipement est attaché via des points d’ancrage.
Garde-corps, harnais... Être assuré en permanence
Dans la mesure du possible, les garde-corps des passerelles d’accès sont montés au sol. Des garde-corps provisoires sont installés lorsque les garde-corps définitifs ne peuvent être mis en place pour des raisons d’accessibilités à certaines zones. Si, en cours de montage, des protections collectives doivent être déposées temporairement, elles ne le sont qu’après consultation et accord de Hamed Elkahlioui ou du conducteur de travaux : la zone est alors balisée, interdite d’accès sans port du harnais et une vigie est assurée tant que la protection n’est pas remise en place.
« Le port du harnais, avec stop chute, est également obligatoire pour la réalisation des activités de montage des machines, et ce, dès que les pieds ne touchent plus le sol », précise Aurélie Rigaut. C’est elle qui, désormais, avant chaque début de chantier, est chargée d’étudier les plans du bâtiment afin d’installer systématiquement des lignes de vie. « L’objectif est que chaque compagnon puisse s’assurer d’un stop chute – spécialement sélectionné pour avoir un rappel d’un mètre maximum – où qu’il soit dans le bâtiment. Ici, les installateurs peuvent intervenir sur des machines situées à environ 11 mètres de hauteur. Il n’y a pas le droit à l’erreur. »
Un dispositif complété par des ancrages de poutre lorsque la zone d’intervention ne permet pas d’être relié à une ligne de vie. « Les lignes de vie, les stop chute, les ancrages de poutre… tous ces dispositifs peuvent être mis à la disposition des entreprises qui interviennent sur le chantier, précise Hamed Elkahlioui. La sécurité doit s’envisager avec tous les acteurs du site. L’objectif est de travailler en collaboration avec nos sous-traitants et de les amener à modifier leurs habitudes pour atteindre ensemble nos ambitions zéro accident sur nos chantiers. Une initiative qui porte ses fruits, puisqu’une entreprise avec laquelle nous travaillons souvent vient d’acheter ses propres ancrages de poutre. »
UNE MÊME EXIGENCE DE SÉCURITÉ POUR TOUS LES ACTEURS
Dans le cadre des appels d'offres, Néos souhaiterait que dorénavant les attentes des donneurs d'ordes en termes de sécurité pour l’installation de machines des centres de tri puissent prendre en compte le travail d'analyse des risques réalisé avec l'INRS. Dans ce domaine, pour la plupart des chantiers, « le prix est un critère important, regrette Aurélie Rigaut, coordinatrice sécurité, environnement et supports chez Néos. L’argent investi pour la prévention des risques n’est qu’une ligne de coût supplémentaire sans valeur ajoutée directe pour l’installation. Il faudrait que tous les acteurs du secteurs se situent au même niveau d'exigence en la matière ». Cependant, la coordinatrice sécurité le reconnaît : « En ce qui nous concerne, maintenant que nous avons pris ces habitudes de travail, nous ne pourrions pas revenir en arrière. »