
Travail & Sécurité. L’INRS organise jusqu’en mai 2025 une grande enquête à destination du secteur du transport routier de marchandises sur la question de l’arrimage. Pourquoi ce sujet en particulier ?
Jérôme Rebelle. L’arrimage des marchandises sur ou dans les véhicules est un sujet particulièrement prégnant dans le transport routier de marchandises. Il est mal appréhendé par les acteurs, chauffeurs, personnels de quais, responsables de logistiques, employeurs…, et il est responsable de nombreux accidents, parfois mortels. Le laboratoire de mécanismes des accidents, au sein de l’université Gustave-Eiffel, à Salon-de-Provence, a réalisé une étude de grande échelle qui lui permet d’estimer à 16 par an le nombre d’accidents de la route avec au moins une victime, consécutivement à un défaut d’arrimage ou une instabilité du chargement. D’après la base des accidents au travail de la Cnam, un accident grave ou mortel a lieu chaque année lors du déchargement. Enfin, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Rhône-Alpes a découvert, lors de ses campagnes de contrôles sur le réseau des routes en France, que 80 % des arrimages n’étaient pas conformes à la norme EN 12195-1 (dimensionnement d’un arrimage sûr) et que, pour 20 % de ces cas, l’arrimage était inexistant. Et il ne s’agit, là, que de données parcellaires, puisqu’aucune étude générale n’a été réalisée sur la sinistralité due aux questions d’arrimage depuis 1989.
Quels sont les risques d’un défaut d’arrimage ?
J. R. Un défaut d’arrimage est le fait de ne pas assurer correctement le maintien d’une charge sur un véhicule de transport routier. Le risque est de voir ce chargement bouger lors de la phase de déplacement du véhicule, avec différents effets possibles : renversement du véhicule, pénétration de la charge dans la cabine, écrasement d’un tiers par déversement sur la voie publique, chute de la marchandise sur un opérateur à l’arrêt lors de l’ouverture des portes du véhicule… Ces événements sont susceptibles d’occasionner d’abord des lésions corporelles, et leurs conséquences peuvent être dramatiques, mais les dégâts sont aussi matériels, au niveau de la marchandise et du véhicule, et environnementaux, selon la nature des matériaux et produits qui pourraient s’échapper. L’arrimage n’est pas une science exacte. Il dépend du véhicule, du type de charge, de sa nature, de son conditionnement, du matériel à disposition pour fixer le chargement Il existe bien évidemment des principes généraux, des bonnes pratiques, il y a même la norme européenne, que j’ai citée plus tôt, mais chaque cas est spécifique.
Quelles sont les solutions, alors ?
J. R. La première consiste à battre en brèche l’idée reçue, qui est malheureusement trop souvent entendue, selon laquelle « c’est lourd donc ça ne peut pas bouger ». Cela passe par une phase de sensibilisation bien sûr, mais aussi de la formation. Aujourd’hui, seulement quelques minutes à maximum deux heures sont consacrées au sujet de l’arrimage dans la formation initiale au permis poids lourd, et c’est très loin d’être suffisant. Enfin, la norme s’avère trop peu mise en avant et pas facile à mettre en pratique. Néanmoins, il existe différents leviers pour faire évoluer la tendance. On peut déjà évoquer le coût de la perte d’un chargement pour les entreprises concernées qui doivent s’acquitter de mensualités d’assurance de plus en plus élevées. Et puis, il y a l’aspect perte d’exploitation, mais également l’aspect réparation, quand cela a un impact sur un tiers ou des conséquences sur l’espace public avec des risques de pollution en cas de déversement. Ensuite, bien sûr, il est nécessaire de proposer des bonnes pratiques et l’objectif à terme du questionnaire que nous avons lancé en septembre dernier est de nous y aider. L’idée est d’identifier les secteurs et les types de charge les plus concernés par les dommages liés à des problèmes d’arrimage, et d’établir un état de lieux des usages en la matière. On estime à 500 000 le nombre de véhicules de plus de 3,5 tonnes en circulation en France, ce qui fait un grand nombre de professionnels concernés, tant au niveau de la conduite qu’aux niveaux du chargement et du déchargement. Nous espérons obtenir le plus de réponses possibles et ainsi acquérir assez de connaissances pour compléter nos recommandations afin d’améliorer la prévention de ces risques. Enfin, à terme, nous avons le projet de créer un outil de simulation prédictif qui permettra la sensibilisation par la création de mises en situation réalistes et adaptées aux cas complexes ou non couverts par la norme.