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Déchets et eaux usées : prévenir le risque biologique

À Paris, des égoutiers bien organisés

Gestion des flux, protocole de nettoyage… Pour les agents de la capitale, qui descendent chaque jour dans les égouts, le risque biologique est maîtrisé grâce à des mesures techniques et organisationnelles bien intégrées par les équipes, complétées par des équipements de protection individuelle adaptés.

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Corinne Soulay - 31/10/2024
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Vue d'une situation de travail d'un égoutier.

On pourrait passer devant sans le voir. Au 58 rue Coriolis, aménagé sous un petit square arboré du XIIe arrondissement de Paris, se cache l’un des lieux d’appel de la circonscription Est du service technique de l’eau et de l’assainissement de la ville de Paris. Le local abrite une douzaine d’égoutiers. Alors que le jour se lève, les hommes sont réunis autour d’un café dans le réfectoire. Comme chaque matin, les techniciens des services opérationnels de l’assainissement, Eddy Harault, Roland Bourgade et leurs équipes font le point sur les tâches à effectuer et les conditions d’intervention : nombre de branchements de regards à ouvrir, hauteur à descendre, présence de paliers…

Ces agents opèrent dans l’est de la capitale. Leur mission ? Nettoyer et entretenir quelque 780 km de canalisations, qui courent sous les trottoirs et les habitations, gorgées d’eaux pluviales et d’eaux usées. Ils collectent des informations, repèrent des dysfonctionnements, des fissures… voire réalisent de petites réparations. Ils désencombrent aussi les conduits de toutes sortes d’objets, notamment du matériel abandonné illégalement par les entreprises de BTP, en fin de chantier. « Nous effectuons également du curage à la pelle lorsque c’est bouché. Mais si l’ensablement est trop important, c’est une entreprise extérieure qui s’en charge, par aspiration. Nous nous occupons aussi de dératisation et de désinsectisation », complète Eddy Harault.

Autant d’opérations qui exigent de descendre dans les égouts quotidiennement. Pour ces agents polyvalents, le risque biologique est donc pris au sérieux : il a fait l’objet d’une évaluation des risques par le service prévention et conditions de travail (SPCT) qui a conduit à la mise en œuvre de mesures organisationnelles, à la fourniture d’équipements de protection individuelle (EPI) et de matériels adaptés. Dans le lieu d’appel, la gestion des flux s’organise ainsi autour d’un circuit propre/sale : le local est pourvu de deux entrées, l’une que les agents empruntent à leur arrivée à 6 heures et qui mène à la cuisine et aux vestiaires ; l’autre, « sale », destinée au retour d’intervention. Les deux zones étant reliées par les douches.

Un protocole à l’entrée et à la sortie des égouts

Ce matin, direction le XIXe arrondissement, quai de la Marne, au bord du bassin de la Villette. La mission consiste à contrôler les réservoirs de chasse, des dispositifs qui fonctionnent à la manière de chasses d’eau : ils se remplissent progressivement avant de libérer brutalement leur contenu pour nettoyer une portion d’égout. Première étape avant la descente : créer une ventilation en ouvrant les deux regards, à l’entrée et à la sortie du tronçon à visiter. « Cela permet de lutter à la fois contre le risque biologique et le risque chimique, notamment l’exposition au sulfure d’hydrogène qui peut provoquer des accidents graves », explique Catherine Loizzo, assistante de prévention. À chaque ouverture, les égoutiers réalisent des contrôles de l’atmosphère et après 20 minutes de ventilation minimum, si les mesures sont satisfaisantes, les agents peuvent descendre. Sinon, la procédure est réitérée et, en cas de nouveaux mauvais résultats, l’intervention est annulée.

Vient alors la phase d’habillage. Les agents enfilent d’abord une combinaison étanche intégrale, puis des chaussons, des cuissardes, trois paires de gants – deux en nitrile et une paire d’égoutier plus longue et plus épaisse –, un appareil de protection respiratoire (APR) à ventilation assistée, un casque et le harnais qui permet de descendre en sécurité. Ils emportent aussi un détecteur 4 gaz, un masque auto-sauveteur en cas de détection de gaz, un talkie-walkie et des outils. « Quand j’ai débuté, il y a 33 ans, on travaillait en bleu de travail, sans même un masque pour se protéger des projections », se remémore Eddy Harault.

UN PROTOCOLE DE NETTOYAGE EFFICACE

À la demande des organisations syndicales, des prélèvements surfaciques ont été réalisés sur les appareils de protection respiratoire. Objectifs : évaluer leur état de contamination selon le type d’intervention, et vérifier l’efficacité de la procédure de nettoyage. « Nous avons fait des prélèvements directement à la sortie des égouts, puis le matin suivant le nettoyage à l’eau savonneuse, explique Françoise Enkiri, ingénieure hygiéniste au laboratoire des microorganismes et allergènes, du service parisien de santé environnementale. Nous avons ciblé des germes indicateurs, d’origine fécale et environnementale (Bacillus, moisissures…). » En tout, quatorze masques ont été testés. Et les résultats sont bons : « Les concentrations diffèrent selon l’activité : elles sont plus importantes lors d’un curage, car les salariés sont exposés aux projections, et moindres, lors des visites de contrôle. Les concentrations finales après nettoyage sont très satisfaisantes, notamment au niveau des germes fécaux qui ont quasiment disparu. »

Un surveillant, doté d’un talkie-walkie, est posté à chaque regard, à l’extérieur, pour rester en lien avec l’équipe en sous-sol. Il est aussi chargé de vérifier que ses collègues qui descendent ont bien tous leurs EPI. À l’intérieur, du fait de la proximité du réseau de chaleur urbain, il fait très chaud et c’est le noir complet. Les hommes progressent dans des conduits mesurant entre 80 cm et 1,30 m de large, à la lampe frontale, en se repérant grâce aux numéros et aux noms des rues, indiqués sur des plaques, comme en surface.

En tête de file, Roland, le référent, avertit ses collègues de dangers éventuels : « Gradins ! », lorsqu’il y a des marches, « Tête ! », pour éviter de se cogner… Car, les égouts abritent de nombreuses conduites qui encombrent les couloirs. En chemin, les agents croisent une faune composée d’araignées, de blattes américaines, de scolopendres et quelques crottes de rats. Le premier réservoir de chasse est en vue. Après avoir gratté pour enlever une légère couche de tartre, ils actionnent le dispositif. De l’eau se répand, éclaboussant largement leurs bottes… L’opération s’est déroulée sans accroc. Les vérifications continuent… Enfin, il est temps de sortir.

Après intervention, un nettoyage drastique

À l’air libre, le surveillant les attend pour pulvériser une solution nettoyante et désinfectante sur leurs bottes, qui sont ensuite brossées et rincées. Le protocole de déshabillage peut alors commencer : d’abord le retrait des gants d’égoutier souillés, afin que les agents nettoient leur masque avec les gants propres placés au-dessous, puis les équipements sont enlevés un à un, selon le protocole appris en formation. Les éléments jetables sont mis dans un sac-poubelle fermé, les autres sont ensachés et stockés dans une boîte de transport.

Retour au lieu d’appel, par l’entrée « sale ». Une attention particulière est portée au nettoyage du masque de protection respiratoire, qui se fait avec une combinaison propre et des lunettes de protection. « Avant d’être ensaché, l’APR a été nettoyé à la lingette, puis, arrivés ici, les agents démontent tous ses éléments et les lavent à l’eau savonneuse, en insistant sur les rainures. Il est ensuite séché méticuleusement pour éviter la prolifération des micro-organismes », détaille Catherine Loizzo. Après avoir lavé leurs cuissardes au lave-bottes, les agents prennent une douche et, dernier rempart pour éviter la contamination de leur foyer, leurs vêtements de travail sont mis en machine à 60 °C, puis au sèche-linge. Rien ne rentre à la maison.

CHIFFRES

  • 2 600 km : c’est la longueur des conduits souterrains qui constituent les égouts de Paris. Situés à des profondeurs allant de 2,5 à 40 mètres, ceux-ci sont accessibles via 30 000 regards. Ce système est dit unitaire, car les eaux de pluie (gouttières, avaloirs) et les eaux usées (toilettes, ménagères, industrielles…) sont évacuées dans les mêmes canalisations, qui les transportent vers les collecteurs où elles sont ensuite acheminées vers les stations d’épuration afin d’être traitées avant rejet dans le milieu naturel.
  • Environ 300 millions de m3 d’eau de pluie et d’eaux usées

    transitent chaque année par les égouts de Paris.

  • Environ 300 égoutiers sont chargés du maintien de la connaissance, du nettoyage, de l’entretien et la maintenance de ce réseau et des équipements électromécaniques qu’il contient. Les interventions souterraines ne sont jamais effectuées seul, les égoutiers descendent au moins à deux équipiers avec au moins deux agents en surface.

     

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