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Déchets et eaux usées : prévenir le risque biologique

Éboueurs, égoutiers... Comment protéger les travailleurs des agents pathogènes ?

À toutes les étapes du processus d’assainissement des eaux usées, comme du traitement des déchets, les salariés peuvent être exposés à des agents biologiques avec des effets potentiels sur la santé. Pour y remédier, la priorité est de rompre la chaîne de transmission en combinant mesures organisationnelles, techniques, protocole d’hygiène et, en dernier lieu, équipements de protection individuelle adaptés aux différents modes d’exposition.

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Corinne Soulay - 31/10/2024
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Vue d'une situation de travail d'une entreprise d'assainissement.

« Les rues (…) étaient jonchées d’eaux croupies, chargées de détritus, d’ordures ménagères faisant les délices des chiens et des porcs, et d’excréments humains et animaux. » La description est tirée du livre Des déchets et des hommes de Dominique Lhuilier et Yann Cochin (Desclée de Brouwer). Les deux sociologues y brossent le portrait de la ville médiévale, un monde insalubre sans réseau d’assainissement, ni filière de traitement des déchets. Heureusement, la France version 2024 n’a plus grand-chose à voir avec cette décharge à ciel ouvert. Désormais, les 33,5 millions de tonnes de déchets produits chaque année par les ménages – ordures ménagères, emballages, ou encore biodéchets issus des jardins ou de l’alimentation – sont collectées, triées et valorisées.

Dans le même temps, plusieurs milliards de mètres cubes d’eaux usées, polluées par un usage humain ou industriel, empruntent les 395 000 km de canalisations du réseau pour être acheminées vers des stations d’épuration. Un système bien rodé qui a contribué à améliorer la santé de la population, en réduisant son exposition à cette matière souillée. Car déchets et eaux usées constituent des réservoirs d’agents biologiques – bactéries, virus, parasites, champignons… –, dont certains peuvent s’avérer pathogènes.

Qu’il s’agisse du traitement des déchets ou de l’assainissement de l’eau, à chaque étape, des femmes et des hommes sont potentiellement exposés à ces agents biologiques. D’un côté les salariés chargés de la collecte, du transport, du tri ou de la valorisation des déchets ; de l’autre, ceux qui s’occupent du nettoyage des fosses septiques, les égoutiers, les agents spécialisés dans l’hydrocurage des canalisations, ou dans la maintenance des postes de relevage – ouvrages de 4 à 10 m de profondeur où s’accumulent les eaux usées avant d’être envoyées dans les stations d’épuration (Step) – ou encore, les équipes qui travaillent au sein de ces Step.

Troubles digestifs, respiratoires ou cutanés

« Si le mode d'exposition correspond à la voie de transmission de l’agent biologique pathogène, celui-ci peut entraîner des manifestations infectieuses, des intoxications dues aux toxines, des réactions inflammatoires ou, parfois, des allergies. Cela prend le plus souvent la forme de troubles digestifs, respiratoires ou cutanés », détaille le Dr Éric Durand-Billaud, expert d’assistance médicale à l’INRS. Les modes d’exposition varient selon les situations de travail. La transmission est possible par voie respiratoire, en inhalant des bioaérosols. Ces particules fines (liquides ou solides) peuvent être mises en suspension dans les bâtiments où sont triés les déchets ; par déplacement de matière lors du déchargement des bennes d’ordures ménagères ou du pelletage des boues en Step, notamment ; ou en cas d’utilisation d’eau, en particulier si on emploie des jets à haute pression. Certains microorganismes peuvent aussi être transmis par voie digestive, notamment en portant ses mains ou des objets souillés à la bouche. D'autres peuvent pénétrer dans l’organisme et s’y multiplier par contact avec les muqueuses (yeux, nez, bouche). Des infections de plaies lors d'effraction cutanée sont possibles.

En 2016, un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) s’était penché sur les pathologies développées par les égoutiers : selon l’étude, ces professionnels souffrent fréquemment de symptômes digestifs, respiratoires, d’irritations du nez, de la gorge et de la peau. Il était également pointé une augmentation de la fréquence de certaines pathologies infectieuses et « une surmortalité significative principalement pour les cancers du foie et du poumon, sans qu'il soit possible d'identifier précisément un ou plusieurs facteurs de risque responsables ».

Prévenir le risque biologique, à chaque étape du traitement des déchet

Pour prévenir au mieux le risque biologique dans ces professions, il convient de mener une évaluation des risques minutieuse, à la fois des situations de travail qui constituent leur cœur de métier, mais également des activités connexes. « Il ne faut pas oublier de prendre en compte les opérations de nettoyage, par exemple, le lavage des camions de collecte ou d’hydrocurage, ou des dégrilleurs des Step, insiste Christine David, responsable d'un pôle risque biologique de l’INRS. Ces situations sont susceptibles, à l'instar des opérations de maintenance, d’exposer les salariés à des projections. »

En matière de prévention, la priorité est d'agir sur les différents maillons de la chaîne que sont le réservoir, la transmission ou l'hôte. Lors de la conception des Step ou des centres de tri, par exemple, il est important d’avoir identifié ces sujets en amont. « L’un des points de vigilance concerne l’entreposage. Car si les déchets restent trop longtemps, cela favorise la prolifération des microorganismes, remarque Christine David. La configuration du site doit permettre de respecter la règle Fifo (first in, first out) qui consiste à traiter les apports par ordre d’arrivée. » Une aire de lavage des véhicules, à part, doit aussi être prévue, idéalement un tunnel de lavage, pour éviter l’exposition via les jets à haute pression. Une attention particulière doit aussi être portée à la ventilation des locaux fermés, avec des systèmes de captage à la source et de rejet de l’air vicié à l’extérieur après traitement, ainsi qu’une ventilation adaptée pour assurer une atmosphère de travail saine.

Pour les étapes du processus qui s’y prêtent, l’automatisation constitue une solution. Lors de la collecte, les ripeurs qui disposent d’un camion-grue pour récupérer les déchets des points d’apport volontaires sont ainsi moins exposés que ceux qui manipulent les poubelles des particuliers. En centre de tri, l’automatisation du prétri – qui consiste à séparer les déchets par tailles, formes et matières – permet aussi de rompre la chaîne de transmission, en supprimant l’intervention humaine… à condition que ces machines soient capotées pour éviter la mise en suspension des bioaérosols.

« Marteauthérapie »

Le choix et la conception des véhicules et engins ne doivent pas non plus être négligés. Pour bien faire, la prévention du risque biologique doit être intégrée dès le cahier des charges qui guide leur achat. Les chargeuses qui déplacent les déchets en centre de tri ou les engins qui manipulent les boues en Step doivent ainsi être dotés de cabines en surpression, à air filtré et air conditionné. « Pour que les salariés ne soient pas tentés d’ouvrir la porte ou la fenêtre en cas de chaleur », précise Christine David.

Sans surprise, les mesures d’hygiène se trouvent également au cœur de la démarche de prévention. Lavage des mains avant de manger, avant et après un passage aux toilettes, nettoyage des EPI… Il est nécessaire d’informer et de former les salariés sur ce sujet. Chez Malézieux, entreprise d’assainissement de Lorraine, le directeur général adjoint, Pierre Latourte, parle de « marteauthérapie » : « On rappelle régulièrement à nos salariés les bonnes pratiques, explique-t-il : c’est essentiel. Mais il faut aussi leur simplifier la tâche. Par exemple, s’ils interviennent en pleine forêt, ils doivent avoir le nécessaire à disposition. » Le respect de ces mesures n’est effectivement pas qu’une affaire de comportement individuel. Là encore, des mesures collectives sont à prévoir : création de vestiaires et de douches dès la conception des locaux, nettoyage des installations sanitaires plusieurs fois par semaine, lavage des vêtements de travail sur place afin que les salariés ne rapportent pas chez eux des équipements souillés, au risque de contaminer leur foyer…

Vue d'un égoutier en situation de travail.

Reste enfin l’obligation pour l’employeur de fournir des équipements de protection individuelle (EPI). Combinaison jetable, gants étanches et résistants aux coupures, plus ou moins épais, plus ou moins longs, lunettes, masque FFP2, appareil de protection respiratoire avec cartouches filtrant les gaz et particules biologiques… Ceux-ci doivent être adaptés aux différentes situations de travail et risques encourus, tout en favorisant le confort de travail.

Risques spécifiques et restructuration

Outre les risques directement liés aux déchets ou eaux usées, les métiers des secteurs de l’assainissement et du traitement des déchets sont exposés à d’autres risques biologiques spécifiques. Travailler, comme les égoutiers, dans un environnement potentiellement souillé par l’urine de rats peut ainsi engendrer un risque de leptospirose. « Dans tous les cas, il est important de s’appuyer sur le service de prévention et santé au travail (SPST) en charge de l’entreprise. Le médecin du travail va évaluer le risque et, en fonction du poste de travail, des tâches réalisées et des mesures de protection mises en place, décidera de la pertinence d'une vaccination », précise le Dr Éric Durand-Billaud.

Dans les dégrilleurs des Step ou sur les tapis de tri, les opérateurs peuvent se retrouver face à des animaux morts – situation qui nécessite des EPI et un protocole spécifique – ou des piquants coupants (seringue usagée, couteau souillé…), avec un risque viral (hépatite B…). « Même si le risque de contracter une maladie est faible, l’employeur doit prévoir une conduite à tenir en cas d’accident avec exposition au sang (AES), et mettre à la disposition de ses salariés une fiche récapitulant les premiers soins, le numéro à contacter en urgence pour un avis médical, les démarches conduisant à la déclaration de l’accident de travail dans un délai de 24 heures. Par la suite, les circonstances de l’accident seront analysées avec le médecin du travail afin d’éviter qu’il ne se reproduise.  », souligne le Dr Naïma Berthol, experte d'assistance médicale à l’INRS.

Bien que, dans ces secteurs, le risque biologique semble bien intégré par les acteurs, ceux-ci doivent faire face à de nouveaux défis. D’abord, l’extension des consignes de tri : depuis 2023, la poubelle jaune accueille désormais des produits potentiellement souillés, barquettes de viande ou de plats préparés, films plastique, tubes de dentifrice, pots de yaourt… Avec, à la clé, une possible multiplication des microorganismes. « Il va falloir prendre en compte cette nouvelle donne dans l’évaluation des risques, note Philippe Duquenne, responsable de laboratoire à l’INRS. Des études sont nécessaires pour actualiser nos connaissances, vérifier le niveau d’exposition et l’adéquation avec les moyens de prévention mis en œuvre. Ce qui conduira peut-être à revoir les recommandations actuelles. »

Deuxième évolution, depuis le 1er janvier 2024 : le tri des biodéchets généralisé concerne tous les professionnels et les particuliers. « Ces déchets organiques issus des végétaux ou de l’alimentation sont particulièrement riches en micro-organismes. Le déploiement de cette nouvelle filière implique la montée en puissance de procédés comme la méthanisation et le compostage, de nouvelles procédures d'entreposage des biodéchets et des nouveaux métiers dont il faut évaluer les risques », résume Christine David.

UN RISQUE PEUT EN CACHER UN AUTRE

Qui dit microorganismes dit risque biologique… mais pas seulement. En dégradant les déchets, les bactéries peuvent produire différents gaz, parmi lesquels le sulfure d'hydrogène (H2S), le méthane (CH4), l’ammoniac (NH3) ou le dioxyde de carbone (CO2), potentiellement dangereux. Leur inhalation peut en effet être à l’origine d’irritations, de troubles respiratoires et neurologiques, sans oublier les risques d’explosion et d’incendie associés. Il est donc important de mettre en place des mesures pour prévenir ce risque chimique, d’abord en limitant la prolifération microbienne (conditions d’entreposage adéquates, par exemple dans des locaux réfrigérés, ajustement de la fréquence des collectes, etc.), mais aussi en assurant une ventilation efficace des locaux et en installant des détecteurs de gaz.

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