
« Je suis sûr que vous utilisez des produits traités chez nous, sans le savoir. On parie ? » Par cette boutade, Sébastien Savel, directeur de AST-PEM, nous accueille sur l’un des deux sites de production de l’entreprise, à Siaugues-Sainte-Marie, en Haute-Loire. Et de nous détailler les applications de son établissement, sous-traitant spécialisé dans le traitement de surface : « Notre métier consiste à déposer des métaux, en très faible épaisseur, de l’ordre de quelques microns, sur des éléments métalliques, essentiellement de la connectique. Nos clients sont issus pour 50 % du secteur automobile, 30 % du bâtiment et de l’électricité et, dans une moindre mesure, des loisirs, du médical ou de l’armement. Autrement dit, les petits disjoncteurs que l’on trouve dans les maisons, les câbles qui relient les GPS aux voitures, les prises RJ45 pour connecter l’ordinateur à internet… passent par ici. » Pari gagné.
Un process sécurisé
Ces pièces subissent d’abord un dégraissage dans un bain à base de soude, puis un décapage à l’acide, principalement sulfurique, suivi du dépôt d’une sous-couche de cuivre ou de nickel et, enfin, une couche de finition avec dépôt d’étain, d’argent, d’or ou de palladium. Objectif final : faciliter le transfert du courant électrique et éviter la corrosion. « Nous utilisons des substances comme des composés du nickel, classés Cancérogène, mutagène ou reprotoxique (CMR), ou des composés cyanurés, extrêmement toxiques, pointe Lionel Compte, le responsable sûreté et sécurité. Nous avons donc déployé des mesures de protection collective et individuelle à toutes les étapes. » En premier lieu : autant que possible, les substances dangereuses sont substituées. Et, avant d’être utilisé, tout produit chimique doit au préalable être validé par les services R&D ainsi que sécurité et environnement, après vérification des fiches de données de sécurité.
Le procédé de traitement de surface lui-même va dans le sens d’une réduction des risques. Pour s’en convaincre, cap sur l’atelier du bâtiment 1, qui abrite une ligne de 50 mètres, composée de huit bains chimiques, entrecoupés de bains de rinçage. « Lorsque j’ai débuté, il y avait beaucoup de brouillard autour des lignes », se rappelle Étienne Berthuit, actuel directeur technique et chez PEM depuis 30 ans. Désormais, la vue est dégagée, l’odeur de produit chimique presque imperceptible. Ici, tout est automatisé : le traitement de surface se fait par électrolyse en continu. Les pièces à traiter arrivent enroulées sous forme de bobines que l’opérateur positionne à l’entrée de la ligne avant de lancer l’opération : le ruban se déroule alors progressivement et passe de bain en bain, sans intervention humaine, jusqu’à la fin du process où il est réenroulé.

« Dès lors que toutes les cuves sont capotées et reliées à la ventilation, le risque d’exposition à des vapeurs est très limité en fonctionnement normal », confirme Sylvain Keav, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Lorsqu’il faut compléter les bains, l’opération se fait selon un protocole précis : le laboratoire commande le dosage adéquat, un opérateur du service SMD (station d’épuration, magasin, déchets) se charge du mélange et l’introduit, muni des EPI adaptés (lunettes, gants à manchettes longues…), dans une trémie de remplissage, sans ouvrir la cuve. « Et en cas d’intervention nécessitant de décapoter, l’opérateur porte nécessairement une visière », souligne Étienne Berthuit. Chaque cuve comporte une étiquette indiquant les substances utilisées, associées à des pictogrammes de danger. « Dans chaque équipe, nous avons formé trois relais sécurité, capables d’intervenir en cas d’accident de travail, d’accident chimique ou d’incendie, déclare Lionel Compte. En cas de projection, par exemple, le relais sécurité s’empare de l’étiquette et se rend à l’infirmerie, pour confirmer la conduite à tenir. »
Dans l’ensemble des bâtiments, des détecteurs permettent une surveillance constante des concentrations atmosphériques de gaz toxiques, susceptibles notamment de se former en cas de mélange accidentel de substances : acide cyanhydrique, dioxyde d’azote et sulfure d’hydrogène. « Comme ces gaz sont générés dans les caniveaux de collecte, nous avons placé les détecteurs assez bas, afin que l’alarme se déclenche le plus tôt possible en cas de problème pour que les équipes aient le temps d’évacuer sereinement », précise Étienne Berthuit. Certains détecteurs sont même installés au niveau du sol, au cas où un opérateur de maintenance aurait besoin d’intervenir sous des cuves.
Les effluents sous haute surveillance
Autre lieu à risque, la station d’épuration. « Entre chaque étape de traitement de surface, les pièces sont rincées, l’eau utilisée va donc se charger de produits chimiques, explique le directeur technique. Pour la détoxiquer, nous disposons d’une station d’épuration physicochimique qui élimine les principaux polluants. » La première étape consiste à oxyder le cyanure, grâce à une réaction impliquant du peroxyde d’hydrogène. Les autres polluants (phosphore, fluorure…) sont eux traités par injection de chaux. Pour les métaux enfin, il s’agit de les précipiter en flocons puis de former des boues, qui seront pressées, séchées et envoyées en centre de recyclage. « Seuls les salariés du secteur SMD, spécialisés dans le traitement des effluents, et les relais sécurité en cas de suspicion d’incendie, sont autorisés à entrer dans la station », indique Joël Archer, responsable du secteur SMD.
Celle-ci est précédée d’une salle de contrôle où sont centralisées, en temps réel, les informations sur le fonctionnement des réacteurs (remplissage des cuves, suivi du process…), et les données des détecteurs de gaz. « Tous ces paramètres sont contrôlables à distance, explique Lionel Compte. En cas de dégagement d’acide cyanhydrique, par exemple, il est possible de prendre la main de n’importe où pour stopper les réacteurs. »
LE TÉMOIGNAGE DE...
Lionel Compte, responsable sûreté et sécurité chez PEM
© Fabrice Dimier pour l'INRS/2024
« Notre laboratoire de R&D travaille sur la substitution des produits CMR. Comme nous créons nos propres bains, nous avons la main sur leur formulation. S’il est impossible de substituer le nickel dans nos procédés, depuis une quinzaine d’années, nous avons trouvé des alternatives à une trentaine de substances. En outre, une personne est dévolue à la veille réglementaire : nouveaux produits, règlement CLP, Reach, normes environnementales… Cela permet d’anticiper les évolutions et être prêts à substituer une substance dont les règles d'utilisation se durciraient. Nous travaillons aussi, depuis plusieurs années sur la mise en œuvre de procédés “zéro cyanure”. C’est un changement majeur qui va nous permettre de supprimer une substance particulièrement dangereuse, aujourd’hui largement répandue dans notre secteur. »
À l’intérieur de la station, là encore, les process sont entièrement automatisés. Une ventilation, qui permet le renouvellement de l’air, peut être modulée et forcée si les taux de gaz surveillés augmentent. Chaque cuve est reliée à son propre bassin de rétention pour éviter les mélanges. Celle contenant le peroxyde d’hydrogène est, en outre, entourée d’une cuve de rétention protectrice et surmontée d’un skydome. « S’il entre en contact accidentellement avec des métaux ou de la matière organique, le peroxyde d’hydrogène peut monter en température, et entraîner sa décomposition et des dégagements de vapeur d’eau et d’oxygène : dans ce cas, les systèmes de sécurité ouvrent la verrière », détaille Étienne Berthuit.
Toutes ces mesures paient : AST-PEM présente une sinistralité en deçà de la moyenne des entreprises du secteur. « Mais ça ne nous empêche pas de continuer à nous améliorer, glisse Lionel Compte. Nous avons deux CSSCT, une pour chacun de nos deux sites, nous menons ensemble les analyses d’accidents et nous lançons aussi des plans d’actions, en fonction des évolutions réglementaires notamment ou de nos priorités propres. » Prochain projet : la refonte du DUERP.