
Quel est le point commun entre votre bicyclette et un satellite de télécommunication, entre votre smartphone et la torche olympique, ou encore entre un robinet chromé et des boules de pétanque ? Tous ces objets sont – ou contiennent – des éléments qui ont fait l’objet d’un traitement de surface. Le traitement de surface est un ensemble d’actions visant à modifier l’aspect de la surface ou certaines propriétés physiques ou chimiques de pièces techniques, et ce, en modifiant la structure des couches les plus externes de la matière. « Le traitement de surface inclut notamment tout ce qui prépare ou protège une surface, qu’elle soit métallique (métaux purs, alliages…) ou plastique », résume Sylvain Keav, expert d’assistance-conseil à l’INRS.
Les opérations de traitement de surface peuvent avoir pour objectif de renforcer la dureté, la résistance à l’usure ou aux frottements, ainsi qu’à la corrosion, de modifier la conductibilité électrique ou encore d’améliorer l'aspect esthétique. Elles sont incontournables dans de nombreux secteurs tels que le nucléaire, l’aéronautique, les transports, l’agroalimentaire, la micro-électronique… pour n’en citer que quelques-uns.
Cette activité peut être le cœur de métier d’une entreprise – qui assure alors la sous-traitance pour ses clients – tout comme elle peut être intégrée à un process de fabrication. Elle peut être réalisée sous forme d’opérations mécaniques, chimiques, électrochimiques ou physiques. En 2021, plus de 2 400 sociétés en France étaient immatriculées sous le code d’activité « Traitement et revêtement de matériaux », recensant près de 24 000 salariés.
Traitement chimique par voie humide
Le traitement chimique par voie humide, qui va principalement nous intéresser dans ce dossier, consiste à plonger des pièces mesurant de quelques millimètres à plusieurs mètres, dans différents bains chimiques successifs. Les pièces sont immergées plus ou moins longtemps dans chaque bain, dont la composition est définie selon la nature des pièces à traiter et du résultat visé. Ces opérations de trempage peuvent être manuelles, semi-automatisées ou automatisées, et sont entrecoupées de phases de rinçage.
Dégraissage et décapage sont les différentes phases de prétraitement qui préparent les pièces au traitement proprement dit. Les produits chimiques employés retirent toute souillure résultant de la fabrication des pièces en fonderie ou en chaudronnerie, afin que leur surface soit la plus impeccable possible. Puis elles font l’objet du traitement proprement dit, toujours par immersion dans de nouveaux bains chimiques.
PROCESS DE TRAITEMENT CHIMIQUE PAR VOIE HUMIDE
La première étape du traitement chimique par voie humide est un dégraissage qui retire de la surface de la pièce tous les corps gras et certaines impuretés qui ont pu s’y déposer lors de sa fabrication, de son stockage ou de sa manutention : lubrifiants, graisses, poussières, huiles…. Parmi les produits fréquemment employés à cette étape, se trouvent la soude ou des produits à base d’acides (phosphorique, nitrique…) auxquels on ajoute des tensioactifs. La deuxième étape est le décapage qui vise à retirer toute trace de corrosion, en particulier les oxydes qui peuvent résulter des opérations de soudage. À cette étape peuvent être employés de l’acide chlorhydrique, de l’acide fluorhydrique… Afin de ne pas transférer des résidus de produits d’une cuve à l’autre, entre chaque phase, une ou plusieurs phases de rinçage peuvent avoir lieu dans des bains de différentes eaux déminéralisées : rinçages morts (ou statiques), rinçage courant, rinçage en cascade. Le traitement de surface qui va donner à la pièce ses nouvelles caractéristiques intervient ensuite. Selon les effets recherchés sur la matière, les produits employés et la durée de l’immersion seront très variables.
De par la nature corrosive voire toxique de certains produits employés – on peut par exemple rencontrer des acides nitrique, fluorhydrique, sulfurique ou phosphorique, ou encore du toluène, des cyanures… –, le risque chimique est très présent dans ces activités. Trois principaux modes d’exposition sont présents : contact cutané par contact direct, projection ou travail en atmosphère polluée, inhalation de vapeurs ou d’aérosols, et enfin ingestion indirecte, par exemple par l’intermédiaire de mains souillées ou suite au dépôt d’aérosols dans la cavité buccale).

Au niveau de la peau, on peut rencontrer des dermatoses d’irritation dues aux acides, aux bases et aux solvants chlorés. Des dermatoses allergiques peuvent également être provoquées par des composés du chrome et du nickel. En cas d’éclaboussure, on peut être en présence de brûlures au niveau de la peau ou des yeux. Au niveau des muqueuses respiratoires, des affections allergiques, bronchites ou ulcérations nasales peuvent se déclencher. Des gastrites et des ulcères peuvent apparaître au niveau de l’appareil digestif. Le système nerveux peut également être atteint. Et dans les cas extrêmes, des intoxications aiguës peuvent être mortelles, par exemple à la suite de l’inhalation d’acide cyanhydrique. Par ailleurs, certains produits sont reconnus comme CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) avérés.
Une infinité de produits
L’exposition des salariés aux produits chimiques peut principalement se produire lors des opérations suivantes : dépotage, montage de bain, ajout de produit dans une cuve ou vidange, opérations de maintenance. « Dans les activités de traitement de surface par voie humide, le risque chimique prédomine, du fait que les opérateurs peuvent être au contact des bains de traitement où se trouvent des produits très agressifs et nocifs, décrit Anne-Sophie Maze, déléguée générale du syndicat professionnel UITS (Union des industries de technologies de surface). C’est un sujet de réflexion pour nos adhérents et les syndicats. Les manutentions, avec accrochages et décrochages répétitifs de pièces, sont l’autre préoccupation en matière de prévention des risques. » Il s’agit de métiers qui nécessitent en effet beaucoup de manipulations de pièces, ce qui implique des manutentions et des ports de charge sollicitants et souvent répétitifs. D’ailleurs dans la profession, 58 % des accidents du travail reconnus sont dus à des manutentions manuelles, et 21 % sont liés à des chutes de hauteur ou de plain-pied.
Selon la taille des pièces et l’âge des lignes de traitement, les risques ne seront pas les mêmes. Une ligne automatisée tiendra les opérateurs à distance du risque chimique mais demandera peut-être de nombreuses manutentions, tandis que le traitement de pièces de petites dimensions, plongées manuellement, sollicitera peu les membres supérieurs mais impliquera une plus grande proximité des bains. La réglementation fournit un cadre aux entreprises pour organiser l’activité dans les meilleures conditions possibles. La norme NF EN 17059 « Lignes de traitement de surface et d’anodisation-Prescription de sécurité » publiée en 2018 décrit les prescriptions minimales d’exploitation et spécifie les modes opératoires d’essai et de mesurage des prescriptions de sécurité.

Parmi les protections collectives incontournables figurent la fermeture des cuves pour empêcher les émanations dans l’environnement de travail et renforcer l’efficacité du réseau de captage, ainsi que la ventilation des ateliers grâce à des réseaux d’aspiration dimensionnés à la taille des installations. La conception des cuves doit faciliter la récupération des produits en phase d’égouttage. Afin d’éviter des mélanges accidentels, des zones de stockage dédiées, isolées, avec des bacs de rétention adaptés à la nature des produits, sont impératives. La maintenance préventive également reste essentielle au quotidien pour assurer le bon fonctionnement des installations.
Quand une ligne n’est pas automatisée, des aides à la manutention sont à envisager pour limiter les ports de charges. « On observe beaucoup de progrès depuis dix à quinze ans dans les entreprises, en matière de protections collectives, de gestion des produits avec délimitation de zones de stockage des bidons posés au-dessus de bacs de rétention, constate Christophe Dougé, directeur de DFC, un cabinet de formation continue spécialisé dans les activités de traitement de surface. Néanmoins, si les opérateurs sont conscients des risques, pris par les habitudes, ils peuvent avoir tendance à être moins vigilants au quotidien. Par exemple, les pictogrammes alertant des dangers sont vus, mais les phrases en dessous détaillant les risques sont rarement lues. »
Maintenance des installations
Autre risque majeur à prendre en compte dans les activités de traitement de surface : l’incendie. Présence de produits chimiques, combustion de certains matériaux au contact de ces produits pouvant émettre des gaz dangereux, ou action de certains acides qui accélèrent la combustion, sont autant de facteurs qui doivent imposer des mesures de prévention et de limitation des départs de feux, adaptées aux installations. Des réactions intempestives peuvent aussi survenir en cas de mélanges accidentels de produits chimiques, qui peuvent être causés par la fuite ou la rupture de cuves, de contenants ou de canalisations, ou par le renversement d’un récipient dans un autre. « Il arrive que des assureurs ne souhaitent plus couvrir des entreprises qui ont pour activité le traitement de surface, signale Stéphane Alonso, contrôleur de sécurité au centre de mesures physiques de la Carsat Rhône-Alpes, du fait d’incendies qui ont eu lieu et des lourdes conséquences de ces sinistres. »

Enfin, les opérations de maintenance sur les infrastructures sont un autre axe à prendre en compte dans la gestion des risques. Des expositions accidentelles sont possibles, en particulier si les intervenants ne maîtrisent pas toujours leur environnement de travail et la nature des produits présents. Par conséquent, ces métiers nécessitent de former aux mesures de prévention à prendre, comme observer son environnement de travail avant d’intervenir, suivre les procédures, vérifier l’état des équipements de protection individuelle. « Des rappels réguliers sur les bonnes pratiques sont toujours utiles », conclut Christophe Dougé.
L'AVIS DE...
Éric Silvente, expert d'assistance-conseil à l'INRS
« En matière de risque chimique, il faut être vigilant car si les installations de traitement de surface proprement dites sont bien pensées, bien conçues, avec des systèmes de captage bien dimensionnés, parfois les activités connexes, en amont – la préparation qui nécessite de manipuler des produits – et en aval – le traitement des eaux usées par solution chimique – peuvent être négligées. Cela peut alors s’avérer très dangereux pour les opérateurs exposés qui n’ont pas forcément conscience des dangers. La gestion et la manipulation des produits constituent un autre aspect qu’il faut impérativement prendre en compte. Car les produits chimiques utilisés représentent souvent la valeur ajoutée des sociétés de traitement de surface. Et, à l’usage, les solutions sont parfois référencées sous forme de codes, et non plus par leurs noms, ce qui peut conduire à des confusions. »