
Travail & Sécurité. Quels sont le contexte et le but de votre étude sur le travail et les lunettes connectées ?
Aurélien Lux. À l’origine de l’étude, il s’agissait de caractériser les risques liés à l’utilisation en entreprise de lunettes ou de casques connectés. En effet, ces dispositifs étaient de plus en plus utilisés – surtout dans le secteur de la maintenance mais aussi en production –, sans que la question des risques potentiels soit véritablement posée. En première intention, nous avons voulu connaître l’impact de l’usage de ces dispositifs sur les déplacements et notamment les risques de chutes de plain-pied qui représentent 11 % des accidents du travail. Pour cela, nous avons réalisé une étude en laboratoire lors de laquelle nous avons demandé à 80 participants, âgés de 18 à 50 ans, de suivre un parcours rectiligne et un autre sinueux. Un premier trajet était réalisé sans lunettes, afin d’avoir un parcours de référence. Puis ils recommençaient mais cette fois-ci équipés d’un dispositif connecté à travers lequel un exercice était diffusé. Certains exercices étaient faciles, par exemple, compter le nombre de symboles affichés ; d’autres, plus difficiles, nécessitaient plus d’attention, comme analyser le sens de rotation de rouages.
Patrice Marchal. Nous avons testé les quatre modèles les plus courants sur le marché lors du lancement de l’étude, de la lunette « légère » au casque de réalité augmentée plus volumineux. Globalement, les produits n’ont pas beaucoup évolué, même si l’on constate un usage peut-être plus important des casques de réalité mixte au détriment des dispositifs de lunettes connectées. À l’aide de capteurs et de caméras d’analyse de mouvements, nous avons enregistré la longueur des pas des participants, ainsi que le tracé de leur déplacement.
Et quels sont vos résultats ?
P. M. La première chose qui est établie, c’est que le port de ces dispositifs entraîne une perturbation des déplacements à pied. Cette perturbation est accrue par la complexité de la tâche affichée dans les lunettes connectées. Ainsi, la longueur des pas diminue de 6 % face à un exercice facile et de 10 % en cas d’exercice plus difficile. De même, nous constatons une nette augmentation du temps de réalisation du parcours, qui s’allonge de 11 % avec un exercice facile et de 19 % avec un exercice difficile. Certains participants s’arrêtaient même pour résoudre l’exercice ! En revanche, fait assez intéressant, nous n’avons pas relevé de lien entre vitesse de réalisation du parcours et exactitude des réponses : il est donc possible de marcher vite tout en répondant juste et inversement, de prendre du temps, mais de se tromper…
A. L. Avant et après l’expérience, des questionnaires portant sur l’ergonomie des dispositifs ont aussi été réalisés avec l’aide de collègues spécialistes afin d’enrichir nos préconisations. Il en ressort quelques retours concernant des douleurs sur certains points de contact des montures des lunettes connectées avec le visage, au niveau du nez ou du front selon les modèles. Des participants ont aussi fait part d’une certaine gêne oculaire.
Quelle suite allez-vous donner à cette étude ?
P. M. Tout d’abord, nos conclusions permettent d’établir un certain nombre de points de vigilance à l’intention des entreprises qui utilisent déjà des dispositifs connectés, ou souhaitent en équiper leurs salariés. Premièrement, il convient d’éviter de marcher avec des informations affichées à l’écran. Ainsi, lorsque le dispositif le permet, il faut relever la visière si l’on veut se déplacer. Ensuite, avant de généraliser l’usage, établir un temps de familiarisation avec ces dispositifs est une bonne pratique. Dans le cas de lunettes avec un écran pour un seul oeil, il faut s’assurer que l’écran soit adapté à l’oeil directeur pour éviter tout inconfort. Et enfin, prévoir un suivi régulier du ressenti de l’utilisateur, notamment en ce qui concerne l’ergonomie, afin de s’assurer que le dispositif ne provoque aucune gêne.
A. L. Lors de cette étude sur les déplacements, 85 % des participants n’ont pas vu le changement d’état d’une alerte lumineuse sur une machine que nous déclenchions par surprise. Nous allons donc désormais nous intéresser à ce que voit concrètement une personne équipée de lunettes connectées en situation de travail. Pour cela, nous réfléchissons à instruire une nouvelle étude autour d’une tâche de maintenance ou de contrôle afin d’observer si les participants voient – ou non – un certain nombre de signaux d’alerte par exemple, ou l’arrivée d’un engin de type chariot élévateur.