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Agroalimentaire

La réalité virtuelle donne des ailes à la prévention

C’est un projet de très grande ampleur dans lequel s’est lancé Volena, ce spécialiste de l’abattage et de la découpe de volailles, pour répondre à la demande exponentielle de consommation de volailles en France. L’occasion de redessiner complètement le site Rémi Ramon de Javron-les-Chapelles, en Mayenne, et d’associer les salariés en les projetant dans leur future usine grâce à la réalité virtuelle.

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Delphine Vaudoux - 16/01/2025
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Le « cube-VR », constitué de cinq écrans, cinq vidéoprojecteurs  et quatre caméras, est démontable et à la disposition des quatorze sites de Volena.

« En France, en cinq ans, nous sommes passés d’une consommation de viande de volaille de 22 kg par habitant et par an, à 28 kg aujourd’hui », lance Arnaud Boinard, directeur général du pôle Volena (groupe LDC). D’ici 2035, la volaille supplanterait le porc pour devenir la première viande consommée en France. Une tendance qui n’a pas échappé à ce dynamique dirigeant. « Nous possédons quatorze sites de production dans l’ouest de la France et, pour faire face à cette évolution, nous devons les transformer en profondeur dans les années à venir… à court terme, mais aussi à dix, vingt et même trente ans, ce qui implique une mutation de nos outils industriels. Mais notre plus important défi sera humain », poursuit-il.

Ce vaste projet concerne en effet tous les sites du pôle, et a pour nom Niagara, car des transformations opérées sur l’un auront des conséquences, en cascade, sur les autres. Avec, comme prérequis, s’assurer que les DUERP sont à jour et former les managers au dialogue sécurité pour faire remonter les presqu’accidents. Car dans cette activité, les risques sont nombreux et liés aux manutentions manuelles, aux machines, à la coactivité, aux produits chimiques, au travail au froid, aux agents biologiques…

Pour accompagner ces transformations, des équipes projets ont été constituées sur chaque site afin d’analyser l’activité et d’associer le plus en amont possible les salariés. « L’objectif est de ne pas se tromper, et de garder l’humain au centre de notre projection… d’où l’idée d’immerger les équipes dans leur future ligne de production, grâce à la réalité virtuelle », remarque Kévin Leblanc, chef de projet métier sur le site de Javron-les-Chapelles dit Rémi Ramon.

Ce site de Volena compte 290 salariés. Dans le cadre de Niagara, une équipe projet travaille depuis plus d’un an sur la transformation de l’outil de travail. Il s’agit de passer, par semaine, de l’abattage, découpe et conditionnement de 300 000 poulets dits du quotidien – d’environ 1,8 kg – aux mêmes opérations, mais sur 280 000 poulets lourds, de 3,3 kg. « C’est une évolution importante, souligne Kévin Leblanc. On estime que 95 % du process actuel va être modifié d’ici septembre 2026. »

« Le changement concerne les espèces abattues, le conditionnement et la transformation industrielle », complète Arnaud Boinard. Le planning est serré : dès janvier 2025, les nouveaux process de réception des volailles seront en place, suivra le remodelage des parties abattoir/ressuyage en janvier 2026 puis, en septembre 2026, la refonte totale de l’atelier de découpe, et la création d’une nouvelle station d’épuration.

Tous les opérateurs en poste ont pu tester leur futur environnement de travail et cela leur a permis d'identifier des aménagements parfois inappropriés, par exemple, un escalier mal placé.

Du simple poste à une usine entière

Afin de ne rien omettre, le pôle a acquis auprès d’une entreprise spécialisée, Imagin-VR, un « cube » de réalité virtuelle pour immerger les salariés dans leur futur environnement de travail. « Nous avons fait nos calculs, explique Benjamin Pierre, ergonome, et sur chacun de nos quatorze sites, nous allons avoir au moins un projet majeur dans les années à venir. On peut, avec cet outil, modéliser aussi bien un poste de pesée qu’une usine complète. Cela nous a semblé intéressant de l’acquérir. » Quand on l’interroge sur le gain réalisé avec le cube sur un projet, il l’estime à environ 40 000 €. « Un bon calcul, s’il prend en compte toutes les dépenses et modifications que le cube a permis d’éviter », remarque Muriel Dehoux, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays de la Loire, qui insiste sur le fait qu’« il n’a d’intérêt que s’il s’intègre dans une démarche globale de prévention ».

40 000 € en moyenne , c’est ce que l’ergonome de Volena estime avoir économisé, sur chaque site, grâce à la réalité virtuelle.

Sur chaque site, le projet commence par une analyse de l’activité, en s’appuyant sur les retours d’expériences recueillis auprès des opérateurs, qui débouche sur une esquisse des futurs aménagements. « Un dessin en 2D de la future ligne est réalisé, puis en 3D après cadrage du schéma industriel. Lorsque la première trame est écrite à 80 %, nous la présentons aux équipes », explique Arthur Theillac, chef de projet industriel.

Puis les plans en 3D, demandés à l’entreprise qui fournira les lignes, « sont rentrés dans le logiciel que nous avons créé pour les rendre exploitables en réalité virtuelle », explique Marc Douzon, l’un des deux fondateurs d’Imagin-VR. C’est là que les futurs espaces et postes de travail voient le jour, virtuellement bien entendu.

Essais et ajustements

Le « cube-VR » – constitué de cinq écrans, cinq vidéoprojecteurs et quatre caméras positionnées finement – est démontable. Géré par Benjamin Pierre, il est à la disposition des quatorze sites de Volena et, si l’on en croit le planning de l’année 2024, utilisé quasiment chaque semaine. Sur le site Rémi Ramon, il permet une immersion totale au sein de la nouvelle installation. Le ressenti est bluffant. On peut ainsi se déplacer dans la nouvelle zone d’accueil couverte, créée en premier lieu pour le bien-être animal mais qui devrait aussi améliorer les flux et la coactivité. Tous les opérateurs en poste ont été invités à tester leur futur environnement de travail. « Ils se l’approprient très facilement, souligne Kévin Leblanc qui, en chaussant des lunettes et en se positionnant à côté de l’opérateur immergé, peut le guider ou le suivre dans l’usine virtuelle. Là, par exemple, on a pu identifier qu’un escalier était mal placé. »

Le chef de projet poursuit son guidage jusqu’à la future zone d’accrochage qui n’a plus grand-chose à voir avec l’actuelle. Gérard Blanchetière, responsable de l’abattoir dans lequel travaillent 43 personnes, apprécie la nouvelle technologie : « Tous ceux qui étaient présents lors des sessions l’ont essayée, à raison d’une demi-heure à une heure. » Au cours de chaque test, les remarques sont notées. Elles sont ensuite analysées par le groupe projet. Parmi les modifications demandées, le responsable de l’abattoir cite le réglage de la hauteur des postes d’accrochage, des remarques ayant débouché sur une meilleure aspiration des poussières, ainsi que des réflexions en cours sur le poste d’éviscération.

« Je suis également allé pendant une semaine avec un collègue dans une autre usine qui avait le même quai que celui que nous allons réceptionner… Nous nous sommes notamment rendu compte qu’il fallait absolument positionner d’une certaine façon les caisses pour qu’elles puissent être facilement identifiées. » Les équipes de maintenance et de nettoyage, également associées depuis le début, ont pu soulever des problèmes d’accessibilité à plusieurs reprises.

La refonte du site Rémi Ramon va coûter 50 millions d’euros. La réalité virtuelle, selon Benjamin Pierre, aide l’équipe projet à détecter des erreurs, simuler l’activité, accompagner au changement, identifier des zones de coactivité ou des problèmes de gestuelle… « Mais attention, souligne Marlène François, directrice santé sécurité des personnes et des biens de Volena, elle ne permet pas de ressentir les vibrations et ne fournit pas d’indication de port de charge, ce qui nous obligera à créer des prototypes à l’échelle. » « C’est un outil puissant, de mise en débat, complète Laëtitia Fiat, ergonome et contrôleuse de sécurité à la Carsat Pays de la Loire. Mais ça ne doit surtout pas être le seul. » Ce que le groupe Volena semble avoir intégré. 

FICHE D'IDENTITÉ

Nom : site Rémi Ramon, du pôle Volena du groupe LDC

Lieu : Javron-les-Chapelles (Mayenne)

Activité : abattage et découpe de volailles

Effectif : 290 salariés

Chiffre d’affaires : 62,8 millions d’euros

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