
Vu de l’extérieur, rien ne distingue la remorque de celle d’un poids lourd classique. Pourtant, à l’intérieur, tout est différent. « C’est un projet qui m’a fait passer quelques nuits blanches… », résume Éric Galland, responsable d’affaires chez Actemium, entreprise spécialisée dans la modification ou la fourniture de process industriels. En ces termes, il évoque le dossier qui l’occupe depuis près de trois ans : développer un système automatisé d’arrimage et de chargement et déchargement sans manutention manuelle.
L’idée initiale du dispositif est venue d’un constat de Fabrice Courtens, directeur projet en logistique urbaine chez Renault Trucks [NDLR. Le projet a fait l'objet d'un partenariat entre six entreprises : Renault Trucks, Actemium, Jacky Perrenot, Frappa (carrossier), E.RE.C.A (bureau d'études) et Intermarché]. En accompagnant un chauffeur dans sa tournée, il prend conscience des contraintes multiples rencontrées dans le cadre de livraisons en ville. « J’étais là pour étudier ce qu’il y avait à améliorer dans l’agencement de la cabine de conduite. En observant la réalité de terrain, je me suis aperçu qu’en milieu urbain, le métier de livreur est difficile : la circulation, les chargements et déchargements sur la voie publique, les relations avec les autres… sont autant de contraintes, remarque-t-il. Je me suis dit qu’il y avait des améliorations possibles. »
Sa réflexion est alimentée peu après en se rendant dans un pressing : le carrousel qui achemine les vêtements lui donne l’idée de ce qui pourrait être mis en œuvre dans le cadre des livraisons du dernier kilomètre... en remplaçant les vêtements par des rolls et le convoyeur fixe par un système embarqué. Mais de l’idée à la réalisation, il y a tout un chemin. Ayant déjà travaillé sur un précédent projet avec Actemium, il s’adresse à son interlocuteur pour lui soumettre son idée, avec un croquis réalisé à main levée. « J’ai dit à Fabrice qu’il n’était pas fou », sourit Éric Galland. À partir de là, la réflexion est lancée. Et, en août 2022, une première esquisse voit le jour.
« Notre rôle est de concevoir des convoyeurs pour des charges lourdes, donc le principe existait déjà, poursuit ce dernier. Ce qu’il fallait développer, c’était un système de manutention embarqué capable de supporter toutes les contraintes de la circulation. » Par quel dispositif déplacer des rolls entre une remorque et l’extérieur sans manutention manuelle ? Comment assurer la stabilité du convoyeur embarqué ? Des mois de réflexions ont donné naissance à un premier prototype. Deux translateurs et un élévateur, associés à un savant système de rails et de poulies, aident à déplacer les rolls et à les arrimer dans un compartiment précis de la remorque. Le livreur positionne un roll dans l’élévateur puis actionne ce dernier à l’aide d’une télécommande latérale.
Freinages, stabilité des charges… tous les paramètres sont à prendre en compte
Une fois le roll soulevé sans effort et posé à l’entrée de la remorque, une porte coulissante s’ouvre. Le translateur latéral prend alors le relais pour positionner le roll sur les rails internes, qui le déplacent ensuite dans la remorque jusqu’à l'emplacement prévu. Dans cette première version, jusqu’à seize rolls peuvent être embarqués, d’une dimension de 1 100 x 720 mm pour une hauteur de 1 750 mm. Et plus aucune intervention manuelle n’est nécessaire.

Dans le développement du convoyeur embarqué, il a fallu tenir compte du fait que le support bouge, avec des accélérations, des freinages, des virages. « Il fallait veiller au déplacement des charges, et assurer leur stabilité », explique Raphaël Cascarra, ingénieur automaticien chez Actemium. L’ensemble tient compte de la recommandation R 515, « Utilisation des rolls et équipements mobiles ». L’assemblage du dispositif a eu lieu de décembre 2023 à fin juin 2024. En parallèle, un transporteur, Jacky Perrenot, a été associé au projet à partir de novembre 2023 pour tester le dispositif en situation réelle. Un acteur de la grande distribution, Intermarché, s’y est également associé. Un partenariat qui permet d’avoir un regard à 360° sur le projet.
LE TÉMOIGNAGE DE...
Corentin Vidalie, responsable amélioration continue et décarbonation chez Jacky Perrenot
« Les hayons représentent un des facteurs majeurs de risque d’accident pour les conducteurs lors de livraisons en points de vente. La sortie et la mise au sol de la marchandise constituent une phase qui n’a pas fait l’objet d’évolution technique majeure ces 30 dernières années. Le deliver assist présente une rupture avec ce qui existe. Ce prototype supprime une grande partie des risques liés à la manutention en évitant au chauffeur d'accéder à l’intérieur du véhicule. Mais il présente aussi deux points encore limitants. Le matériel embarqué est très lourd et limite la capacité utile qui peut être chargée. Et les rolls utilisés peuvent constituer un irritant pour les clients : ils utilisent souvent des supports de manutentions moins volumineux que les rolls qu’ils vont devoir stocker dans des points de vente où il manque toujours de la place. Les essais en cours vont permettre de tester la robustesse de l’ensemble du dispositif et l’acceptation par les acteurs sur le terrain. »
Les premiers tests sur le terrain ont été initiés en septembre 2024. Mais la véritable phase de tests en conditions réelles a débuté en février 2025, en vue d’apporter des retours pratiques et de suggérer des améliorations au prototype dans une deuxième version. « Le concept a encore besoin d’évoluer, afin d’aboutir à quelque chose de très modulaire », estime Fabrice Courtens. Parmi les axes d’amélioration : réduire les dimensions des rolls et les rendre démontables ; s’orienter vers un système pneumatique et optimiser le nombre d’actionneurs, qui permettrait un gain de place par rapport à l’armoire électrique, actuellement très volumineuse.
« Avec un tel dispositif, les manutentions sont simplifiées et sécurisées grâce à un automate complet, commente Éric Veretout, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Chutes, suppression de certaines manutentions, renversements de charges… plusieurs risques sont ainsi supprimés dans le cadre des livraisons du dernier kilomètre. » Cet équipement réduit également les nuisances sonores, véritablement gênantes lors des livraisons en milieu urbain. Les réflexions vont se poursuivre durant tout le printemps et l’été prochains en vue de présenter une deuxième version en novembre.
ZOOM
- 6,2 tonnes, c’est le poids de la charge utile sur la première version (V1), contre environ 11 tonnes en chargement classique. Il sera réévalué sur la deuxième version d’au moins 2 tonnes, les études sont en cours.
- 16 rolls, c’est la capacité d’embarquement de la V1 du prototype de camion. La version 2 en embarquera 28, avec une capacité de 480 kg par roll.
- 30 %, c’est le gain de temps sur les opérations de livraisons qui est estimé à terme avec ce système.