
Préfabriquer des murs de briques en usine, cela paraît simple sur le papier. Mais en fait, cela fait appel à une technologie innovante pour répondre aux nombreuses contraintes et, surtout, pour que la fabrication, mais aussi le transport et la pose se fassent dans des conditions de sécurité optimales. Des éléments qu’a su appréhender très en amont l’équipe projet de Préfabric, une émanation du groupe Bouyer-Leroux, Scop de 550 personnes. Avec près de 5 millions de m2 de briques produites chaque année, Bouyer-Leroux est l’un des leaders de la fabrication de briques en France.
En septembre 2015, la direction de la Scop souhaite se diversifier et lance un groupe de travail intitulé « relais de croissance organique à base de terre cuite ». Objectif : recueillir des idées pour les prochaines années. « On ne devait rien s’interdire, remarque Stéphane Yvars, ingénieur et chef de projet. Et les propositions ont été nombreuses. » Plus de 100 idées émergeront et seront soumises au Codir et aux managers de la Scop. Trois seront retenues. « Avant tout, il fallait que cela soit innovant mais surtout que cela réponde à un marché, insiste Stéphane Yvars. Le projet de construire des murs en usine a donc reçu un accueil favorable, et il m’a été confié le pilotage en mode projet, avec un budget dédié pour explorer et prototyper… »
UN ACCOMPAGNEMENT DE LA CARSAT
La Carsat Pays-de-Loire est intervenue à plusieurs reprises tout au long de ce projet, notamment en 2021 avant la phase de pré-industrialisation : « Ces murs en briques préfabriqués présentent l’avantage d’imposer la présence d’une grue pour les opérations de levage, ce qui limite les manutentions sur le chantier et les risques de chutes de hauteur », souligne Jean-Michel Bachelot, ingénieur-conseil. « Nous avons pointé le fait qu’il fallait absolument des points de fixation sur le mur en briques et trouver une solution pour que ces points d’ancrage aient une résistance suffisante, complète Éric Liger, contrôleur de sécurité. La solution semble avoir été trouvée avec les briques de fixation. De plus, sur les chantiers de maisons individuelles notamment, les pignons préfabriqués suppriment les opérations de rampanage, qui sont traditionnellement des actes de finition exposant les compagnons aux chutes de hauteur. »
L’idée directrice : fabriquer en usine des murs de briques, et les proposer en mode hors site pour l’habitat collectif, individuel ou des bâtiments industriels, afin de gagner en productivité et en sécurité. Parmi ses atouts : un mur en brique est moins lourd qu’un mur en béton, et s’avère être un meilleur isolant thermique pour la même épaisseur. Ensuite, préfabriquer des murs permet de moins exposer les compagnons sur un chantier aux chutes de hauteur, aux gestes répétitifs, au port de charge… Et même si les murs préfabriqués coûtent plus cher à l’achat pour l’entreprise, ils font gagner du temps de pose et nécessitent moins de main-d’œuvre spécialisée sur un chantier, tout en assurant la qualité d’ouvrage.
Un accompagnement de la Carsart tout au long de la conception
« Dès le départ du projet, nous avons été contactés ainsi que l’OPPBTP par Stéphane Yvars qui souhaitait avoir des conseils techniques pour son projet afin de prendre en compte en amont les risques professionnels, apprécie Jean-Michel Bachelot, ingénieur-conseil à la Carsat Pays-de-Loire dont dépend le siège de l’entreprise. Il était à l’écoute, demandeur d’avis techniques. » Ainsi, dès le stade de recherche et développement (R&D), le chef de projet affiche son souhait de limiter la pénibilité, prioriser le travail au sol pendant les opérations de déchargement des box, d’élingage des murs, de pose des garde-corps et des étais et, enfin, de retrait des élingues. « Nous voulions aussi limiter le recours à l’outillage à risque sur le chantier, je pense notamment aux opérations de découpe ou de percement, ainsi que les tâches en façade », remarque Stéphane Yvars.
La direction lui octroie 300 000 € qui seront investis sur l’un des sites de la Scop, à Saint-Marcellin-en-Forez, dans la Loire, pour réaliser les prototypes destinés aux premiers chantiers. Une aubaine pour le chef de projet car cela lui permettra de recueillir les premiers retours des utilisateurs afin de faire évoluer le process. En 2022, se pose la question de passer à la phase d’industrialisation. « Nous avions un grand bâtiment dans cette usine de fabrication de briques à Saint-Marcellin-en-Forez. Compte tenu de ses coûts énergétiques, nous étions en train de nous interroger sur sa viabilité », remarque Didier Jansen, le responsable du site.
LE TÉMOIGNAGE DE...
© Fabrice Dimier pour l'INRS/2025
Didier Jansen, responsable du site
« À Saint-Marcellin-Forez, nous avions un site de production de briques jusqu’à récemment (2016). Ce site-là fonctionnait entièrement au gaz. Notre facture énergétique ayant explosé, nous avons décidé de fermer cette activité de fabrication de briques cuites qui n’était plus rentable. Nous avons trouvé que la préfabrication de murs en briques constituait un beau challenge, une belle reconversion. Aujourd’hui, une dizaine de personnes travaillent pour ce type de produits. Nous avons tous dû nous former, et sommes sans cesse en discussion pour améliorer à la fois le produit et le process. »
La Scop décide de poursuivre le travail et injecte 2,5 millions d’euros dans le projet qui sera baptisé Préfabric. Fin 2024, les premiers murs de briques sortent de ce site entièrement remodelé. Un vrai challenge pour l’équipe en place qui a connu l’ancien usage du site. « Nous nous sommes formés, poursuit Didier Jansen. Nous étions tous partants. » « C’est très motivant, poursuit Stéphane Yvars. Mais c’est vrai que l’on a connu l’ascenseur émotionnel : on n’a rien lâché. » D’autant qu’à l’heure où nous écrivons cet article, le secteur du bâtiment n’est pas particulièrement en forme.
Les briques arrivent d’un site de production situé à 80 km. Une volumineuse machine, sur rail, permet à l’opérateur de découper – avec une aspiration des poussières à la source – les briques et de les placer les unes à côté des autres à l’aide d’un grappin créé spécialement pour limiter le port de charge. Puis un mortier mince – ou une colle rapide sans isocyanate nouvellement mise au point – est déposé. Une fois le mur finalisé (souvent d’une hauteur de 3 m), il est déposé sur des stabilisateurs à roulettes permettant de le déplacer facilement sans le soulever, et la machine peut commencer la fabrication d’un nouveau mur.

Le bâtiment mesurant 144 m de long, jusqu’à 250 murs peuvent être stockés avant évacuation. Dans la pratique, Christophe Rios, télécommande en main, les déplace au pont roulant, au fur et à mesure de leur séchage. Tout a été pensé en amont : pour les amener sur les chantiers, la Scop a fait réaliser des box sur mesure que l’on peut charger sur des camions plateau standard. Des câblettes de 3 m 50 de long sont introduites dans le mur de briques. Équipées d’un anneau à chacune de leur extrémité, elles sont fixées, sous le mur, à l’aide d’une platine de levage et d’une goupille afin de bien répartir le poids du mur et de caler la câblette. L’ensemble de ce matériel est consigné et facile à retirer à même le sol pour être retourné en usine. Le long d’un mur du bâtiment de Saint-Marcellin-en-Forez, des consignes, s’appuyant sur des documents INRS, sont affichées pour évaluer l’état des câblettes de levage revenant de chantiers afin de décider ou pas de les remettre dans le circuit.
La logistique facilite les opérations sur les chantiers
Le box de transport, doté de potelets et de stabilisateurs escamotables, est manipulé à la grue sur le chantier ou au pont roulant dans l’usine. Pour faciliter leur transport, les murs préfabriqués n’excèdent pas les 4 m de long. Jusqu’à six box peuvent être transportés sur un camion : ils sont rangés et seront déchargés selon un plan établi avec le chef de chantier. Des briques de fixation, remplies de béton, sont identifiées sur chacun des murs, grâce à un coup de bombe fluo. Elles sont percées en usine à environ 1 m 90 de hauteur pour que les compagnons sur le chantier puissent fixer les étais depuis le sol et, si cela est possible, les éléments des garde-corps. « De plus, on s’efforce de pré-usiner tous les accessoires, notamment ceux qui serviront à couler du béton d’autres ouvrages sur le chantier », précise Stéphane Yvars.
Après l’analyse de faisabilité du projet, il faut environ deux mois pour passer de la commande à la livraison sur le chantier, le temps pour les équipes de Préfabric de réaliser les plans et le carnet de pose ainsi que les murs hors site. Pour réceptionner les murs Préfabric, les chefs de chantier sont formés à la logistique et à la sécurité par une équipe de la Scop. Les premières réalisations en bâtiment collectif ont eu lieu en 2022, et constituent pour le chef de projet autant de retours d’expériences : « Nous sommes très attentifs à toute remarque nous permettant d’améliorer notre produit. Nous n’en sommes qu’au début, même si cela fait des années que nous travaillons dessus… Des années nécessaires pour valider chaque étape en R&D et sur le terrain, sans oublier toutes les certifications nécessaires à un projet d’une telle ampleur. »
Si, comme l’espèrent les dirigeants de la Scop, les murs préfabriqués hors site en briques se développent, Bouyer-Leroux n’hésitera pas à construire de nouvelles usines, au plus près des sites de production des briques… et des futurs chantiers.
LE PROJET PRÉFABRIC EN DATES
- Septembre 2015 : lancement du groupe de travail « relais de croissance organique à base de terre cuite »
- Janvier-février 2016 : sélection de trois projets, dont celui qui deviendra Préfabric
- Mars 2016 : lancement du groupe de travail en mode projet
- 2016 : conception d’un atelier prototype, veille réglementaire, rencontres avec clients et organismes (INRS, Carsat, OPPBTP, SPST…), premiers prototypes et tests
- 2017-2021 : cahier des charges techniques et fonctionnelles, dépôts de brevets, nouvelles expérimentations en usine et sur chantiers
- 2022 : 1re certification Atex CSTB, premiers chantiers, cahier des charges nouvelle usine…
- 2023 : validation Codir et CA Scop pour investissement
- 2025 : demande de certification Atec (l'avis sur l'aptitude à l'emploi des procédés innovants de construction, formulé par un groupe d'experts représentatifs des professions)