Ce site est édité par l'INRS
Les formations métiers en entreprise

Apprendre son métier au plus près du terrain pour maîtriser les risques

De plus en plus d’entreprises en France se dotent de centres de formation en interne. Si ces initiatives sont souvent motivées en premier lieu par des difficultés de recrutement et le besoin de pourvoir des postes aux compétences rares, les connaissances pratiques qui y sont enseignées – sur le matériel de l’entreprise, dans son environnement de travail et selon son organisation propre – sont aussi l’occasion de former aux bonnes pratiques et de sensibiliser de façon concrète aux questions de sécurité.

6 minutes de lecture
Céline Ravallec - 27/03/2025
Lien copié
Vue d'une situation de travail en enteprise.

Air France industries, les Chantiers de l’Atlantique, Hermès, Total Énergies, Suez, Bouygues TP, Alstom, Orange… De nombreuses entreprises ont intégré en leur sein des structures de formations internes. École, académie, université, centre de formation… les dénominations varient mais le principe est le même : former à travers des enseignements pratiques les futurs salariés au plus près de leur poste de travail, et ce, au contact direct de professionnels du métier. Cela peut concerner aussi bien des nouveaux venus qui découvrent un métier que des salariés en reconversion ou en montée de compétences au sein de leur entreprise. Ces dispositifs voient majoritairement le jour dans de grands groupes, pour des postes sur lesquels les recrutements sont difficiles. Plus rares sont les petites entreprises à se lancer.

Tous les secteurs d’activité sont concernés : l’industrie, l’artisanat, le luxe, mais aussi dans le médico-social, où des initiatives voient le jour pour gagner en attractivité. « La formation en entreprise n’est pas un concept nouveau mais ça s’est amplifié ces dernières années depuis la réduction, en 2018, des contraintes administratives pour créer un centre de formation d’apprentis au sein des entreprises, ce qui offre également un accès facilité aux subventions accompagnant les formations », constate Michel Bridot, chef de projet formation à la Carsat Alsace-Moselle. Et, si l’objectif premier de ces formations est le développement de compétences visant à faciliter les recrutements sur des métiers en tension, elles représentent également une opportunité parfaite d’inclure les sujets de sécurité dans les pratiques professionnelles enseignées.

Transmettre son expérience terrain

Car parallèlement aux difficultés de recrutement, les entreprises sont confrontées à une autre réalité : un quart des victimes d’accidents du travail sont des salariés ayant moins d’un an d’ancienneté à leur poste. Et, selon la base de données de la Cnam, 15 % des accidents graves et mortels au travail se produisent même dans les trois premiers mois qui suivent l’embauche. En 2023, sur 33 accidents du travail mortels recensés chez les moins de 25 ans, 21 avaient moins d’un an d’ancienneté, soit 64 %. La même année, chez les plus de 25 ans, « seuls » 21 % des décès concernaient des personnes ayant moins d’un an d’ancienneté.

Vue d'une situation de travail en entreprise.

Autre fait notable au regard de ces chiffres : les nouveaux arrivants en entreprise ne sont pas victimes des mêmes types d’accidents que les autres salariés. Des analyses d’accidents du travail survenus au sein de cette population montrent un cumul de facteurs : défaut de transmission de l’information, lacune dans l’identification des risques ou travail isolé. Les nouveaux venus peuvent en effet être exposés à des dangers qu’ils n’ont encore jamais rencontrés, et qu’ils ne soupçonnent parfois même pas, se retrouvant ainsi confrontés à un problème d’identification des risques. Un incident ou accident peut résulter de la mauvaise compréhension ou explication d’une consigne du fait d’une connaissance insuffisante de la culture de l’entreprise, de ses codes ou de ses modes de fonctionnement.

L'EXEMPLE DE LIEBHERR

Depuis une vingtaine d’années, Liebherr France SAS, site de production de pelles sur chenilles de terrassement, forme de nouveaux arrivants à l’usinage et à la mécanosoudure. « Notre centre de formation interne a été créé pour faire face à des problèmes de recrutement, présente Laura Soler, la responsable ressources humaines (RH) production. C’était initialement motivé par une problématique RH. » Si le site comptait trois apprentis en 2005, il en accueille désormais une trentaine. Les enseignements comportent une partie théorique, qui représente environ 25 % du temps d’enseignement. Et le reste est de l’enseignement technique et de la pratique dans les ateliers. « Les modules de formation sont conçus en interne, et incluent toujours une partie sécurité conséquente, avec des rappels sur le fonctionnement interne, les mesures de protection collective, le port des EPI, etc. », remarque Thierry Hentzien, le responsable du centre de formation en mécanosoudure. Cela s’organise autour de partenariats étroits avec d’autres acteurs régionaux tels que le CFAi de Mulhouse pour la chaudronnerie et CFAi de Colmar pour l’usinage, ou l’Institut de soudage. Parmi les avantages constatés : meilleure connaissance de l’environnement de travail, maîtrise de la culture d’entreprise, autant d’éléments qui permettent d’être opérationnel dès la prise de poste, même si un accompagnement reste nécessaire dans les premiers temps. Et, depuis un an, ce centre de formation interne en montage s’est diversifié pour accueillir en apprentissage des futurs mécaniciens-monteurs. « Il n’existe pas de diplôme de mécanicien-monteur, constate Denis Mathieu, responsable du centre de formation interne en montage. Auparavant, pour recruter, nous devions nous tourner vers d’autres filières, comme la mécanique automobile. Puis il y avait un système de parrainage interne pendant plusieurs mois pour accompagner le nouvel arrivant dans l’entreprise. » Ces centres de formation internes permettent d’adapter les enseignements et de former les apprentis aux spécificités de l’activité de l’entreprise. Ils comptent quatre formateurs en mécanosoudure, un (bientôt deux) en usinage, et deux au montage.

Vue d'une situation de travail en entreprise.

Dans certains cas, l’accident survient à la suite d’une prise d’initiative en méconnaissance de l’environnement de travail. D’autant qu’un autre effet insuffisamment pris en compte réside dans les modifications des pratiques au sein d'une équipe que peut engendrer la présence d’un nouvel arrivant qui découvre son espace de travail. Ce qui peut venir perturber certains rouages bien huilés. Au point que l’accompagnement d’un novice à un poste par un salarié confirmé peut aussi entraîner un accident chez ce dernier, dont l’attention et la concentration peuvent être détournées, du fait d’un rythme de travail modifié ou de sollicitations supplémentaires.

Renforcer l'accueil en entreprise

L’un des premiers leviers d’action pour améliorer les conditions d’accueil d’un nouvel arrivant à un poste est d’intégrer dans les formations les principes en santé-sécurité au travail, et de les renforcer lors de l’accueil en entreprise. Des accueils nouveaux embauchés ou des accueils sécurité sont fréquemment programmés au sein des entreprises, ainsi qu’au poste de travail. Des outils d’accompagnement, tels que Tuto’Prev, participent à ces missions. Mais à la lumière des statistiques, force est de constater que les formations prévues pour l’accueil et la bonne intégration des nouveaux arrivants s’avèrent parfois insuffisantes. Et il est clair que c’est la confrontation quotidienne à l’activité, à l’environnement de travail, et aux interactions avec les collègues qui aideront les nouveaux venus à découvrir et maîtriser leur environnement de travail et à identifier les éventuels dangers.

Les centres de formation internes aux entreprises s’avèrent donc être une opportunité toute trouvée d’intégrer dans les enseignements techniques et les mises en pratique les sujets en lien direct avec la sécurité au travail. Apprendre son métier au plus près du terrain, dans des conditions reflétant parfaitement la réalité de l’entreprise, est l’occasion d’aborder tous les risques liés à l’activité (machines, risque chimique…), à l’environnement (présence de coactivité, chute de hauteur…), ou encore à l’organisation du travail.

Vue d'une situation de travail en entreprise.

« Les écoles dans les entreprises sont plutôt bien positionnées sur la sécurité au travail, poursuit Michel Bridot. Les employeurs ont un intérêt direct à bien former leurs futurs salariés. Le sujet est en général plutôt bien abordé, car les formateurs sont issus du métier, parfois exercent encore sur le terrain, et connaissent donc parfaitement les attentes et les besoins. » Les contenus pédagogiques sont souvent très techniques, et enseignés directement sur le matériel de l’entreprise. Cela peut aussi être l’occasion de découvrir l’ensemble de l’activité de l’entreprise, les métiers en amont et en aval d’un poste, et ainsi de mieux en saisir les contraintes autour de soi, et plus largement la place de chacun au sein de cette chaîne de production.

De cette façon, l’intégration des nouveaux arrivants à un poste se fait très en amont de leur prise de fonction effective. Leur premier jour au travail se fera dans un environnement connu, avec moins d’appréhension. C’est donc aussi une façon de supprimer une part du stress lié aux débuts d'une prise de fonction. Et les bénéfices d’une formation bien élaborée et d’un accueil organisé en entreprise vont au-delà de la seule diminution des accidents du travail et des maladies professionnelles : cela contribue à fidéliser les nouvelles recrues, à une bonne cohésion des équipes et à une meilleure ambiance de travail, ainsi qu’à une qualité maîtrisée des produits.

DES ORGANISATIONS MULTIPLES

Les centres de formations créés au sein des entreprises connaissent des formes et des organisations multiples, comme en témoignent les reportages de ce dossier. Certains sont intégralement internalisés, à l’image de l’atelier de formation aux métiers chez Stellantis. D’autres résultent de partenariats entre entreprises ou avec des acteurs institutionnels locaux qui s’associent et mettent en commun des moyens pour monter localement une structure répondant à leurs besoins communs, à l’instar d’Hefaïs à Cherbourg. Sur le même principe que Monaco Marine, certaines entreprises font suivre des formations de formateurs à des salariés, afin de s’approprier les sujets et de les décliner en fonction de leurs besoins. Parfois, il s’agit d’organisations professionnelles ayant identifié des besoins au sein d’une branche professionnelle. « Certaines entreprises fonctionnent sur des formules hybrides, en alternance, alliant à la fois un centre de formation interne et des séjours des stagiaires en CFA, remarque Michel Bridot. Cela permet à la fois d’apprendre le métier et d’être formé à la culture de l’entreprise, à ses standards de production. » Les CFA industrie, les CFA aéro peuvent être en quelque sorte des équivalents à un CFA interentreprise, avec des contenus très techniques, rares dans les formations initiales, et qui permettent de réaliser les apprentissages sur les installations des entreprises, leurs machines, sous des formes très pratiques. Certaines formations certifiantes telles que des CQP (certificat de qualification professionnelle) proposent des référentiels beaucoup plus professionnels, dont le contenu peut être adapté aux souhaits des entreprises, et validé par un diplôme reconnu.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les formations métiers en entreprise