
Autour de segments de tuyaux en inox en cours d’assemblage, un groupe de quatre soudeurs et tuyauteurs écoute les explications de leur formateur. Employés par EDF dans une unité mobile de maintenance, ils apprennent ici à travailler en binôme, à comprendre les contraintes des uns et des autres et l’impact de leurs actions sur l’intervention de leur voisin. Cette semaine, une vingtaine de stagiaires sont ainsi en formation sur le site d’Hefaïs.
Nous sommes à la Haute École de formation soudage, inspirée du nom d’Hephaïstos, dieu forgeron de la mythologie grecque. L’établissement est situé sur les hauteurs de Cherbourg-en-Cotentin, dans la Manche, avec vue sur la rade. Dédiée à l’accueil et à la formation de futurs soudeurs, cette école présente la particularité d’avoir été créée sous l’impulsion de quatre grandes entreprises du bassin d’emplois de Cherbourg : EDF, Naval Group, Orano et CMN.
« Localement, depuis des décennies, il y avait une compétition pour embaucher la main-d’œuvre, ces quatre entreprises et leurs sous-traitants se piquaient les soudeurs, relate Serge Quaranta, président de CMN et premier vice-président de la CCI Ouest-Normandie. Il a été décidé avec le concours de la chambre de commerce de se mettre autour de la table pour trouver une solution. Car même concurrents, nos sous-traitants et nous-mêmes étions face à un problème commun : le manque de soudeurs dans nos activités respectives. »
Mettre en situation réelle
S’il existait déjà des formations, alternant périodes en centre de formation et périodes en entreprise, et qui décernaient la qualification de soudeur, « il a été décidé de passer à la vitesse supérieure, par une montée en charge avec l’appui de la région Normandie, de la CCI Ouest-Normandie et de l’Agglomération du Cotentin, afin de doper le système, poursuit Serge Quaranta. Le cahier des charges a posé les principes fondateurs, en intégrant l’ADN des quatre industriels. »
Après consultation des chefs d’atelier et des chefs de chantiers, pour définir les besoins de chaque entreprise, un avant-projet a été défini puis une étude de faisabilité réalisée. Décision a alors été prise de créer une association, Hefaïs, et de construire un bâtiment sur mesure. Les premiers stagiaires ont été accueillis en septembre 2022 dans un bâtiment intermédiaire. C’est en mai 2024 que l’association a démarré son activité dans ses locaux actuels, qui ont été inaugurés officiellement en décembre dernier.
L'AVIS D'EXPERT DE...
Jean-Claude Poulain, ingénieur-conseil à la Carsat Normandie, référent nuisances physiques
« Nous avions été contactés dès novembre 2020 par la CCI Ouest-Normandie à propos de la conception des futurs locaux d’Héfaïs. Nous avons émis des recommandations générales en conception des lieux et situations de travail. Différents points-clés ont été pris en compte pour offrir de bonnes conditions de travail, tant pour les formateurs que pour les stagiaires. La réduction des nuisances sonores a été intégrée par la mise en place d’un traitement acoustique des bardages du bâtiment. Les box de soudage et de meulage ont été insonorisés. L’éclairage naturel n’a pas été oublié, avec des pignons de matériaux translucides qui rendent l’intérieur très lumineux. Une ventilation générale a été installée et des dosserets aspirants équipent chaque box, même si, sur ce point, nous militons pour un captage à la source avec des torches aspirantes. Et les circulations extérieures sont bien pensées, alors que souvent les parkings sont oubliés. »
Ceux-ci ont été conçus avec le souci de prendre en compte la sécurité au travail et d’offrir des installations proposant les meilleures conditions possibles d’exercice de l’activité (lire l’encadré ci-dessous). Car apprendre dans de bonnes conditions, avec du bon matériel, familiarise très tôt aux bonnes pratiques pour sa future vie active. Ainsi, le bâtiment flambant neuf de 3 300 m2 abrite 2 000 m2 d’ateliers, sous la forme de deux nefs distinctes. La première héberge 28 box traditionnels de soudage et quatre box de meulage. La seconde nef met à disposition des environnements de travail reconstitués en grandeur nature : charpente avant de navire, quart de tronçon de sous-marin, cellule nucléaire de type zone 4 (cellule de retraitement du combustible nucléaire) ou encore six environnements modulables propres à EDF…
Cette école a en effet la particularité d’offrir des environnements industriels fidèles à la réalité. Objectif : permettre de s’entraîner comme si on soudait au fond d’un ballast de bateau, ou en espace confiné dans un trou d’homme de sous-marin, ou encore comme s’il fallait intervenir avec les contraintes réelles d’une cellule de retraitement de combustible nucléaire, sur un temps très court.
Observer son environnement de travail
Ici, les stagiaires alternent pratique du soudage et acculturation en entreprise. « C’est une des forces d’Hefaïs, témoigne Benoît Richot, le directeur de l’établissement. Le soudage est une discipline au carrefour de la métallurgie, de la technologie, de la conception mécanique et des sujets qualité, sécurité et environnement. Un environnement industriel reconstitué permet d’avoir une attitude interrogative avant d’intervenir. Il montre aussi comment observer son environnement de travail et aide à acquérir les bons gestes. » Le matériel mis à disposition appartient à l’école et propose de multiples procédés : TIG, MIG/MAG, électrode enrobée…

« Tout est neuf, on a du bon matériel, les box sont insonorisés, une aspiration est à disposition, se réjouit Maud Lemaresquier, en formation ici pour trois mois, qui s’entraîne à souder des paniers densifiés destinés aux piscines d’entreposage en centrale nucléaire. On a vraiment de bonnes conditions pour apprendre. » De la même façon, les contenus pédagogiques sont adaptés aux besoins de chaque entreprise, quasiment à la carte. Les stagiaires apprennent à travailler en respectant par exemple le process naval ou nucléaire, en premier lieu les aspects sécurité et qualité. L’occasion d’aborder toutes les facettes d’un métier : savoir-faire, savoir industriel (dans un environnement professionnel), savoir-être opérationnels, car ils ne travailleront jamais seuls.
« Nous sommes les seuls en France à proposer de tels environnements de formation reconstitués, uniques par leur taille, à l’échelle 1, leur diversité et leur représentativité », explique Benoît Richot. Depuis septembre 2022, 325 stagiaires ont été accueillis, dont 30 % de femmes. « L’école a une excellente image, un taux de satisfaction des clients très élevé et un taux d’insertion des stagiaires de 95 % », complète Serge Quaranta. Ce concept, qui suscite l’intérêt au-delà du Nord Cotentin, pourrait donc se déployer plus largement à l’avenir, dans d’autres régions ou d’autres secteurs d’activité.
QUELQUES TENDANCES
Hefaïs est en mesure d’accueillir jusqu’à 70 stagiaires/jour, avec en moyenne un formateur pour 8 à 10 stagiaires. Un formateur est mis à disposition de l’école à temps plein par l’un des membres fondateurs. D’autres formateurs, issus d’organismes de formations partenaires (Institut de soudure, pôle formation de l’UIMM), interviennent également en fonction des besoins. Deux types de public sont accueillis ici : des personnes en recherche d’emploi ou en reconversion, et des personnes déjà aguerries au métier, visant une montée en compétences. Le site propose toujours plus d’heures d’enseignement : en 2023, 11 400 heures de formation ont été délivrées contre 20 600 heures en 2024. Les formations varient en durée, d’une journée à plusieurs mois pour décrocher un CQPM (certificat de qualification paritaire de la métallurgie).