
Le protoxyde d’azote… ce gaz dit hilarant est loin de susciter le rire au sein des syndicats en charge de la collecte et du traitement des ordures ménagères. En effet, depuis le début de l’année, nombreux sont ceux qui se plaignent d’explosions ou d’incendies dans des fours d’incinération des ordures ménagères liés à la présence de bonbonnes ayant contenu ce gaz. À tel point que quatorze syndicats d’Île-de-France ont cosigné, en ce début d’année, un courrier adressé à Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, dans lequel ils exposent les problèmes provoqués par la présence de ces indésirables, ainsi que des propositions concrètes destinées à limiter l’impact du protoxyde d’azote dans les installations de traitement.
Une explosion a lieu en moyenne toutes les 500 tonnes de déchets incinérés par unité de valorisation énergétique. Avec des conséquences financières mais aussi humaines et environnementales non négligeables. « Dans le secteur des déchets, la présence d’indésirables comme les piles et batteries au lithium ou les bonbonnes de gaz explique aujourd’hui une grande partie des accidents industriels dans ce secteur d’activité », précise Anita Romero-Hariot, experte d’assistance-conseil à l’INRS.
Pourquoi des bonbonnes de gaz se retrouvent-elles dans les ordures ménagères ?
Tout d’abord, il faut bien distinguer les bouteilles de gaz rechargeables des cartouches de gaz à usage unique. En effet, les premières sont soumises à la responsabilité environnementale des producteurs (REP) et leur gestion est encadrée par le décret n° 2012-1538 du 28 décembre 2012. Pour faire court, elles bénéficient d’une consigne ou d’un système équivalent pour favoriser leur réutilisation ou leur prise en charge en tant que déchet.
La seconde catégorie, dans laquelle entrent les cartouches de gaz de camping, les bonbonnes de protoxyde d’azote, ou encore les bombes de chantilly, faisait jusqu’à présent partie des déchets d’emballage au même titre que les bouteilles d’aérosols domestiques non toxiques. « Sauf que ces déchets représentent des dangers dans cette filière et ne doivent pas être mélangés avec les autres emballages dans la poubelle jaune du recyclage », relève Anita Romero-Hariot.
En effet, la présence de gaz résiduel dans les cartouches ou bonbonnes, sous pression, les fait exploser violemment lorsqu’elles sont chauffées (dans les fours) ou compressées (pour réaliser des balles de déchets). Mais le sujet progresse : « Une proposition de loi a été discutée au Sénat et adoptée début mars visant à faire spécifiquement entrer les bonbonnes de protoxyde d’azote dans la filière REP des déchets diffus spécifiques », souligne l’experte.
En attendant, aucune installation de traitement des déchets ménagers n’est épargnée. Dans un communiqué de presse datant de juillet 2024, le Siom de la vallée de Chevreuse fait part de sa situation : « Depuis février 2023, l’usine a été contrainte d’effectuer 21 arrêts techniques en raison de ces explosions, totalisant 52 jours d’arrêts de fours… ». Ce qui représente 227 000 € de frais de réparation et un manque à gagner de plus de 933 000 €.
Du côté des salariés, les risques professionnels sont multiples. « Lors de la présence indésirable de ces bonbonnes de protoxyde d’azote, les risques sont augmentés du fait des phénomènes d’explosion qui peuvent endommager les portes des fours, les éjecter sur les travailleurs et les écraser ou les blesser par heurt, déclencher la projection de cendres, de gaz à haute température ou de déchets en fusion et les brûler. Ou encore les exposer à des aérosols contenant des substances toxiques pouvant être inhalées », évoque Anita Romero-Hariot. L’éventuelle combinaison de ces effets peut entraîner des atteintes à la santé irrémédiables, voire la mort. Sans oublier les personnes chargées des premières inspections ou de la maintenance qui peuvent être exposées à des risques liés à l’instabilité de ces structures, ainsi qu’à des risques chimiques dus à la présence de déchets, cendres et gaz résiduels.
Mais alors, comment éviter que de tels accidents se produisent ?
Du côté des consommateurs, « en sensibilisant ceux qui en ont un usage récréatif aux dangers du protoxyde d’azote non seulement pour leur propre santé, mais aussi en termes de risques qu’ils font encourir aux travailleurs de la filière de traitement des déchets ménagers. Sont concernés également les ménages consommateurs de ce type de cartouches (crème chantilly, par exemple) de manière qu’ils gèrent mieux leur poubelle jaune en n’y déposant pas de cartouches sous pression, insiste Anita Romero-Hariot. Ils doivent être informés de la reprise séparée de ces cartouches sur leur lieu de vente pour les rapporter au vendeur, ou les emporter dans des points de collecte comme les déchetteries ».
Il convient aussi de former les agents des déchetteries, du tri et du traitement des déchets d’emballages à l’identification du protoxyde d’azote et aux risques associés. Par ailleurs, les explosions étant dues en particulier à l’absence de soupape de sécurité, « il serait intéressant de revoir la conception des contenants en y intégrant systématiquement une soupape de sécurité pour éviter leur surpression en cas d’élévation anormale de la température », évoque l’experte de l’INRS. Une action qui devrait se faire à l’échelle européenne. Un travail de longue haleine.
L'AVIS D’EXPERT DE...
Aurore Aglioni, experte d’assistance-conseil à l’INRS
« On retrouve partout des cartouches de gaz à usage unique, type protoxyde d’azote ou bombe de chantilly, que ce soit dans les poubelles d’ordures ménagères ou les bacs de tri jaunes dédiés aux emballages. Les deux circuits comportent des risques. Les ordures ménagères sont déversées dans des centres puis reprises par des grappins pour être brûlées. S’il y a des cartouches, l’élévation de la température provoque des explosions qui ont pour conséquences d’endommager les parois du four. Cela nécessite un arrêt du four, un abaissement de la température, l’intervention de personnes formées, la réparation puis le redémarrage du four, soit 2 à 6 jours d’intervention. Si elles sont mises dans les poubelles jaunes et non repérées, elles seront compactées et risquent aussi alors d’exploser. »