
Travail & Sécurité. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots Schneider Electric ?
Julie Legoubin. Nous sommes le leader mondial de la gestion de l’énergie, de la transformation numérique et des automatismes. Schneider Electric emploie 150 000 personnes, dont 15 000 en France sur une centaine de sites, avec une grande hétérogénéité de tailles et d’environnements : des sites industriels, tertiaires, de R&D, des laboratoires, ou encore des agences commerciales.
Comment se présente votre pyramide des âges et avez-vous des données de sinistralité spécifiques pour les seniors ?
J. L. La population salariée de Schneider Electric France se répartit en 70 % d’hommes et 30 % de femmes. La moyenne d’âge est de 47 ans, et 42 % de nos salariés ont 50 ans ou plus – ce sont donc des seniors. Parmi eux, 45 % ont entre 55 et 59 ans. Ces chiffres sont stables et les recrutements de la population senior dans l’entreprise ne reculent pas. 45 % de nos seniors sont cadres, 55 % non cadres, et on les retrouve dans tous les métiers et toutes les activités. Pour en venir à la sinistralité, après 50 ans, on observe une dérive du taux d’absentéisme, aussi bien pour les arrêts longs que pour les arrêts courts. Ce taux atteint 5,89 % chez les plus de 50 ans et 2,68 % chez les moins de 50 ans, et est plus important chez les femmes et les non-cadres. Les maladies professionnelles progressent chez les femmes seniors, alors que c’est plutôt le taux d’accidents du travail qui augmente chez les hommes de plus de 50 ans, avec, toujours, une population non-cadre davantage touchée.
Vous avez mis en place un « dispositif seniors » en 2023, quels en étaient les objectifs ?
J. L. C’est un programme global. Nous souhaitions déconstruire les stéréotypes, améliorer l’employabilité des seniors – grâce à des dispositifs de retour ou de maintien dans l’emploi, ou de transition vers de nouveaux métiers – et créer une dynamique intergénérationnelle, en jouant sur l’attractivité, la fidélisation, la transmission des savoirs. Il n’y a aucune raison de mettre un frein à la diversité des aspirations et aux dynamiques professionnelles pendant la dernière partie de sa carrière. Ce travail a été rendu possible grâce à des outils de management et des formations destinées aux salariés seniors, mais aussi à leurs managers.
Comment avez-vous procédé ?
J. L. En 2022, nous avons mis en place un projet pilote de formation avec 100 collaborateurs et leurs managers. Puis, fin 2023, nous avons organisé une conférence sur la mixité générationnelle et lancé un baromètre sur toute la France auprès des salariés de plus de 45 ans, pour connaître leurs attentes, besoins et aspirations. Il s’agissait de se mettre à l’écoute des collaborateurs aux étapes aussi bien de mi-carrière que de fin de carrière. Nous avons vite compris que ces attentes n’étaient pas spécifiquement liées au caractère générationnel. C’est plus la manière dont on a pu vivre tel ou tel changement qui influence nos appétences et nos besoins. Des ressentis liés à l’âge ont émergé, le sentiment d’avoir parfois moins de perspectives de carrière ou de se sentir moins légitimes. Nous avons souhaité compléter le panorama en construisant, avec les organisations syndicales, un observatoire des seniors pour appréhender la réalité de l’emploi de ces salariés dans l’entreprise et suivre l’évolution de critères comme la formation, le développement professionnel, la rémunération, l’absentéisme, la santé… Ce travail a conduit à la définition de quatre profils de seniors ou personae, auxquels chaque collaborateur peut s’identifier pour définir son projet professionnel.
Quels sont ces profils ?
J. L. Nous leur avons donné des prénoms : Claire, qui veut « Continuer dans son job » ; Thierry, qui a envie de « Transmettre » ; Alba qui souhaite « Accélérer et donner un rebond à sa carrière, aller vers plus de responsabilités ou demander une mobilité » ; et Pierre, dont la priorité est de « Préparer sa retraite ». Il y a une porosité entre ces personae. On peut se reconnaître un peu dans chaque. Le programme senior qui en découle consiste à dire à chacun : « Vous avez votre place dans l’entreprise. » Nous l’avons construit en nous appuyant à 80 % sur des dispositifs qui existaient à travers nos accords de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) et de qualité de vie et conditions de travail (QVCT). Certains dispositifs sont communs à tous, d’autres correspondent aux aspirations de chacun des personae. Ils sont déclinés pour les salariés et leurs managers.

Pouvez-vous donner quelques exemples ?
J. L. L’offre transversale va comprendre des programmes visant à valoriser son propre parcours et se projeter, à envisager une activité professionnelle hybride, à comprendre et anticiper son itinéraire retraite, à rester actif dans la prévention de sa santé ou encore à accompagner les salariés aidants avec, pour ces derniers, des possibilités d’aménagements d’horaires, de télétravail particulier, de favorisation d’accès aux congés légaux… Concernant l’activité hybride, un dispositif permet, tout en restant salarié de Schneider Electric, d’être accompagné dans la création d’activité, le multi-salariat ou une activité en free-lance. Pour ce qui est spécifique à nos personae, nous allons, par exemple, proposer à Claire de maintenir ses compétences grâce à des formations ; de rejoindre des communautés au travail sur des sujets comme la diversité, l’inclusion ; et de s’approprier des outils de développement de carrière. Thierry, lui, évoluera vers un rôle de tuteur après avoir suivi une formation. Il peut s’engager dans le mentorat externe avec des missions de bénévolat pour transmettre ses connaissances de l’entreprise à des jeunes, devenir formateur interne ou, à l’approche de la retraite, être détaché dans une association grâce au Pass’solidaire. Pour accélérer sa carrière, Alba peut être accompagnée par un mentor, bénéficier d’un coach, rejoindre le programme des experts, développer son leadership ou s’engager dans une formation diplômante ou qualifiante. Enfin, on donne à Pierre accès à une plate-forme présentant les dispositifs de retraite, où il est possible d’inviter une personne extérieure, comme son conjoint. Il peut suivre des webinaires traitant des différents aspects du sujet, s’orienter vers des dispositifs de transfert de compétences, avoir accès à un temps partiel facilité… Nous avons également renégocié l’accord CET (compte épargne temps) pour créer un CET « fin de carrière » permettant aux salariés de réduire leur temps de travail en jouant sur l’indemnité de congé à la retraite.
Après deux ans, mesurez-vous déjà les effets de ce programme ?
J. L. Il faut se laisser le temps, continuer à travailler dans un cadre de dialogue social fort. Des données vont remonter via l’observatoire paritaire de l’emploi des seniors. Il y a une dynamique globale, que ce soit à travers l’engagement dans le compte personnel de formation ou la demande de mobilité interne (qui concerne 26 % de nos seniors). Nos cinq organisations syndicales ont proposé des indicateurs de suivi sur l’emploi, la dynamique professionnelle, la rémunération, la prévention santé et l’engagement. Pour faire connaître le programme, nous mettons l’accent sur la communication, en faisant appel à des témoins, des salariés volontaires pour raconter comment ils se sont saisis de tel ou tel dispositif et ce que cela leur a apporté, comment cela contribue à déconstruire nos propres biais ou à renforcer la collaboration intergénérationnelle. Au sein du groupe, l’enjeu intergénérationnel est d’ailleurs partie prenante de nos engagements de développement durable. Des sessions de partage à l’international sont également organisées tous les mois.
REPÈRES
- 2014. Intègre Schneider Electric dans le cadre d’un projet RH business partner jusqu’en 2020
- 2015. Master RH IAE Grenoble
- 2020. Devient directrice diversité inclusion QVCT