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L'invité du mois

Pierre-Yves Montéléon : « La prévention rapporte plus à la société qu’elle ne lui coûte »

Quelle place pour la prévention des risques professionnels dans le monde économique d’aujourd’hui ? Pierre-Yves Montéléon est président du conseil d’administration de l’INRS pour deux ans depuis le 27 mars dernier. Pour ce dernier, il est essentiel de considérer la prévention comme un investissement indispensable, tant pour le monde du travail que pour l’ensemble de la société, et non comme un simple coût budgétaire.

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Antoine Bondéelle, Lucien Fauvernier - 23/06/2025
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Portrait de Pierre-Yves Montéléon.

Travail & Sécurité. Vous débutez un second mandat comme président du Conseil d’administration de l’INRS, quel constat tirez-vous de la place de l’Institut dans le monde du travail d’aujourd’hui ?

Pierre-Yves Montéléon. Plus que jamais, les activités et missions de l’INRS (notamment via ses quatre modes d’action principaux : recherche, assistance, formation et information) sont indispensables vis-à-vis des intérêts conjoints des travailleurs et des employeurs, et même, au-delà, pour l’ensemble de la société. Nous le savons bien depuis des décennies : ce qui profite à la santé des travailleurs –  que l’OMS définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité – participe aussi à une meilleure santé publique. Dans ce cadre, il faut absolument conserver, voire augmenter les moyens (financiers et humains) dont dispose l’INRS, et qui lui sont versés à partir d’un fonds issu des cotisations sociales des entreprises.

Face à des pouvoirs publics mouvants et incertains, que faire et comment ?

P.-Y. M. Je me base sur un constat affligeant. Du point de vue de la sinistralité, les données sont têtues : depuis près de vingt ans, tous régimes confondus, chaque jour, en moyenne trois à quatre personnes perdent la vie au travail ! C’est intolérable. Face à de tels chiffres, on ne peut que souhaiter un renforcement de la prévention dans les entreprises et auprès des travailleurs. La prévention est d’ailleurs l’un des exemples les plus frappants d’un véritable consensus entre les partenaires sociaux : la préservation, voire l’amélioration, de la santé au travail est considérée par tous comme un enjeu prioritaire, et la signature d’accords (ANI sur la prévention de 2020, par exemple) en est l’une des preuves. Pourtant, face à nous, les gouvernements successifs ne semblent pas prendre la mesure de la nécessité d’investir dans ce sujet. Alors que de nombreuses études montrent que la prévention rapporte à la société plus qu’elle ne lui coûterait si elle n’existait pas, quand il s’agit de voter les budgets, les ministères ne considèrent que les aspects budgétaires « bruts », en se focalisant sur les coûts de fonctionnement au détriment des investissements. La solution existe : elle réside dans les accords nationaux déjà signés, de même que dans la loi sur la prévention renforcée de 2021 dont nous attendons toujours les décrets d’application sur de nombreux points.

Portrait de Pierre-Yves Montéléon.

Le monde des acteurs de la prévention est d’une richesse, voire d’une diversité, parfois déconcertante. Comment les rendre plus efficaces ?

P.-Y. M. Nous disposons de nombreux moyens et leviers d’action : d’une part, un réseau national dédié à la prévention, à travers l’Assurance maladie-risques professionnels, avec la Cnam et les Carsat, et auquel l’INRS est associé. Nous avons aussi des acteurs sectoriels très actifs : l’OPPBTP, la MSA pour le régime agricole. Il serait utile de réfléchir à des coopérations encore plus étroites entre tous ces organismes, de même qu’avec les agences nationales telles que l’Anact ou l’Anses. Enfin, au plus près du terrain, il y a le réseau des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI), qui sont aussi placés sous des gouvernances paritaires. L’ensemble de ces acteurs doivent apprendre à plus et mieux travailler ensemble, afin de faire progresser la culture de prévention au plus près du terrain. Mais là encore, il manque une volonté, voire une ambition politique, de les faire vivre et travailler ensemble.

Face aux nombreuses difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien, des entreprises ne peuvent-elles pas considérer la santé au travail comme un objectif non prioritaire ?

P.-Y. M. Je ne suis pas sûr que la prévention se trouve sacrifiée au bénéfice d’autres objectifs, en particulier économiques. En France, l’immense majorité des entreprises sont des TPE/PME dans lesquelles les employeurs ont des conditions de travail quasi identiques à celles des salariés, avec des responsabilités en plus, notamment celles liées à la préservation de la santé de leurs collaborateurs. Ils ont donc un intérêt très concret à mettre en place des actions de prévention. Ensuite, les entreprises de tailles intermédiaires (ETI) ou de tailles supérieures (GE et grands groupes) disposent de personnels dédiés en tout ou partie à la sécurité, qui ont besoin des acteurs ressources en prévention : Carsat, INRS, SPSTI, etc. À ce titre, le rôle de l’INRS et des Carsat est essentiel, notamment via l’assistance, les formations démultipliées ou l’offre considérable d’informations, enrichies par les résultats des recherches menées.

Portrait de Pierre-Yves Montéléon.

Comment mieux intégrer les nouveaux risques, qualifiés d’« émergents », dans les travaux des organismes en charge des questions de prévention, dont l’INRS, et dans les entreprises ?

P.-Y. M. Ces considérations, nous l’avons déjà dit, sont au cœur des préoccupations des partenaires sociaux. Trois exemples me viennent sur ces sujets. Pour le risque chimique d’abord, le développement d’un pôle de recherche et des activités d’assistance sur les nanomatériaux à l’INRS est notamment dû à la rencontre entre deux volontés : celle du Conseil d’administration (toutes organisations de salariés et d’employeurs confondues) depuis plus de vingt ans, d’une part ; et, d’autre part, celle des directions et des départements internes de l’INRS, qui ont mis leurs énergies et leurs travaux en accord.
Par ailleurs, sur les risques liés aux organisations du travail, on a longtemps observé la prévalence d’organisations de type « tayloristes », avec des liens hiérarchiques forts, des contraintes de temps, un manque d’autonomie dans le travail, etc. Ce type d’organisation – toutes les études menées sur ces sujets le confirment – est délétère pour la santé des travailleurs, en les exposant notamment à des risques d’épuisement professionnel (burn-out), de perte du sens du travail, pouvant notamment entraîner des dépressions. Il faut donc mener et accentuer, dans un premier temps, l’acquisition des connaissances et les recherches portant sur des modes de gouvernance et de management plus vertueux, et les diffuser le plus largement. Là encore, l’INRS doit être à la pointe de ce déploiement d’actions.
Enfin, en ce qui concerne la veille technologique sur les intelligences artificielles (IA) et leur arrivée massive dans le monde du travail, l’INRS et les acteurs de la prévention ont à répondre à un double défi : comment les IA peuvent-elles les aider à mieux prévenir les risques ? Et aussi, comment répondre à de nouveaux risques qui seraient introduits dans le travail par l’arrivée des IA ? Un grand nombre d’organisations du travail les utilisent pour « optimiser et améliorer » leurs processus, mais cela amène aussi de nouveaux dangers : une société organisant des livraisons via l’IA peut exposer ses livreurs à plus de risques routiers, à des rythmes accrus, à des violences… Autant de travaux à mener, et pour lesquels là encore, l’INRS est attendu.

Vous parlez volontiers publiquement de la prévention dite « primaire ». En quoi est-elle essentielle ?

P.-Y. M. La prévention « primaire » est à la base d’un travail sérieux pour améliorer la santé et la sécurité au travail. Il s’agit d’intervenir au plus près, dès les phases de conception des équipements, postes, lieux et situations de travail, sans en oublier l’organisation. Là aussi, l’INRS a un rôle essentiel à défendre afin de faire vivre des pratiques au quotidien et à tous les niveaux d’interventions possibles – que le droit du travail seul ne peut pas garantir – et de faire, à terme, baisser la sinistralité au travail. Ses actions en faveur d’une normalisation des outils de travail prenant en compte la prévention en sont un exemple saillant.

REPÈRES

> À partir de 1991. Poste d’informaticien salarié dans un service de prévention et de santé au travail (ACMS) ; formation à l’épidémiologie de terrain (1993) ; retraité (2024)
> 1998. Entrée à la CFTC
> 2003. Nomination en tant qu’administrateur au conseil d’administration (CA) de l’INRS ; membre également au CA de l’Afsset (2008-2010) puis de l’Anses, dont il est désigné vice-président (2011–2022)
> 2005-2007. Premier mandat en tant que président du CA de l’INRS
> 2025-2027. Second mandat en tant que président du CA de l’INRS

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