Travail & Sécurité. Pourquoi avoir choisi le thème des équipements de travail mobiles et de levage pour la campagne santé-sécurité de 2023 ?
Christelle Chambarlhac. Nous avons commencé par questionner les agents de contrôle, qui ont la meilleure vision du terrain. Les équipements de travail mobiles et de levage, à l’origine de nombreux accidents de travail graves et mortels, ont été souvent mentionnés. C’est ce qui nous a orientés vers ce sujet.
Léa Yahiel. Partant de là, le SIT s’est appuyé sur le travail du bureau des équipements et des lieux de travail qui a analysé les signalements des inspecteurs du travail à la suite de leurs enquêtes sur les accidents du travail mortels et graves. Sur la période 2017-2020, 8 500 signalements d’accidents graves et mortels avaient été enregistrés, dont 38 % étaient liés à l’utilisation d’équipements de travail. C’était la première cause d’accidents signalés. Parmi ces 38 %, 24 % étaient mortels. Et en les analysant plus finement, il est ressorti que la majorité d’entre eux étaient liés à des heurts engins/piétons.
Comment avez-vous organisé ensuite cette campagne ?
C. C. Il y a eu un travail préparatoire avec les agents de terrain pour construire un guide méthodologique destiné aux agents de contrôle d’une part et pour élaborer des documents d’information destinés aux différents interlocuteurs (employeurs, salariés, intérimaires, etc.) d’autre part. Les préventeurs – Cnam, INRS, MSA, OPPBTP… – ont été associés aux réflexions. Pour être le plus efficace possible, nous avons ensuite restreint le champ d’action en nous concentrant sur trois familles d’équipements : les chariots automoteurs, les tracteurs avec chargement frontal et les engins de chantier. Nous avons aussi identifié des publics particulièrement vulnérables : les jeunes, les intérimaires, les travailleurs détachés et les salariés des locatiers. Enfin, nous avons orienté nos agents vers quatre points de contrôle à traiter lors des visites en entreprise. Le premier était l’évaluation des risques liés à l’utilisation des équipements de travail mobiles servant au levage. Plus précisément, comment celle-ci avait été réalisée par les entreprises et quelles mesures de prévention avaient été prises. Le deuxième point portait sur les règles de circulation en entreprise. Le troisième concernait les vérifications obligatoires des engins. Et le dernier portait sur les autorisations de conduite : contrôle de connaissances, aptitude médicale…
Comment s’est déployée la campagne sur le terrain ?
C. C. Nous avons mobilisé nos 1 800 agents de contrôle de novembre 2023 à janvier 2024, avec un arrêt des remontées d’information du terrain en mai 2024. Toutes les régions ont été couvertes, ainsi que les départements d’outremer. Au total, 5 520 contrôles ont eu lieu, représentant 4 573 établissements distincts. Ils ont donné lieu à 6 453 suites, réparties en 93 % de lettres d’observations, 2 % de mises en demeure et 1 % de PV.
Si on reprend les quatre points de contrôle, quels constats avez-vous faits ?
C. C. Précisons d’abord que les chiffres obtenus n’ont pas de valeur statistique, il ne s’agit pas d’un échantillon représentatif. Parmi les constats, il s’avère que moins de la moitié des documents d’évaluation des risques étaient conformes, et que pour 10 % des établissements, il n’existait pas de document unique. Pour ce qui est des règles de circulation – séparation des voies engins/piétons, dimension/inclinaison des voies, état des sols –, les agents ont estimé que les mesures n’étaient totalement adaptées que dans 32 % des situations contrôlées. Dans 46 % des cas par exemple, il n’y avait pas du tout de matérialisation de voies de circulation. Sur les autorisations de conduite, seuls les conducteurs qui étaient en poste au moment du contrôle ont fait l’objet des vérifications. 26 % d’entre eux ne disposaient pas d’autorisation de conduite pour l’engin qu’ils pilotaient. Pour les jeunes travailleurs (de 15 à 18 ans), ce chiffre grimpe à 45 %. Compte tenu de notre échantillon, cela ne représente qu’une vingtaine de personnes rencontrées. Les chiffres sont du même ordre de grandeur – 46 % – pour la population des intérimaires et des CDD. Par ailleurs, 26 % des personnes rencontrées n’avaient pas d’information précise sur les lieux de circulation autorisés, ni d’instruction ; pour 22 %, leur aptitude médicale n’avait pas été vérifiée et environ un quart des établissements n’avaient pas formé leurs salariés à la conduite de leur équipement et/ou contrôlé leurs connaissances. Enfin, dans deux tiers des contrôles, les vérifications générales périodiques étaient incomplètes ou inexistantes.
Quels bilans avez-vous tirés de ces constats ?
C. C. Ça a été une campagne riche en enseignements. Nous savions qu’il y aurait des non-conformités, mais le niveau demeure assez inquiétant. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de tels résultats. Néanmoins, nous avons constaté que quand un inspecteur du travail a fait des observations, dans la quasi-totalité des cas, l’employeur a régularisé. Cela signifie que nous ne sommes pas obligés d’aller jusqu’à la sanction pour obtenir une régularisation. Cependant, 3 à 6 % des entreprises ne se sont pas mises en conformité après les observations. Cela nous conduit à dire que la campagne est utile, au moins pour les entreprises contrôlées, puisque nous arrivons à améliorer la situation.
L. Y. Le fait que la réglementation ne soit pas respectée, cela interroge... Même si cela nous conforte sur certains éléments que l’on avait dans le viseur, comme les vérifications générales périodiques qui ne sont pas effectuées dans les temps. En fait, cela confirme ce que l’on pressentait déjà, et cela va nous aider dans le ciblage des actions et des publics, notamment en vue du prochain « Plan santé au travail » (PST). Le PST 4 s’achève fin 2025. Nous préparons le PST 5, c’est une phase propice aux réflexions, par exemple sur la sécurité des jeunes, qui est clairement une préoccupation.
Quelles vont être les suites ?
C. C. Nous avons la volonté de revenir sur cette campagne, de faire une sorte de « saison 2 », pour voir si les entreprises ont amélioré leurs pratiques. La réflexion est en cours en interne, sur sa forme, mais nous souhaitons rester mobilisés sur cette thématique. En plus du public jeune, nous menons également des réflexions sur le secteur agricole qui ressort comme prioritaire. Cette campagne nous a confortés sur le besoin de cibler plus particulièrement ces populations. Nous avons aussi un objectif en interne : faire que nos agents continuent à monter en compétences sur le sujet des équipements de travail mobiles et de levage, qu’ils aillent davantage sur ce thème prioritaire. Plus de 60 % de nos agents estiment que la campagne a été utile pour les faire monter en compétences, qu’elle leur a permis d’harmoniser leurs pratiques – un point qui nous est souvent reproché – et d’être plus présents sur cette thématique.
L. Y. Les résultats de cette campagne, et notamment les heurts engins/piétons, orientent nos réflexions. Bien qu’il existe une réglementation, l’accidentologie demeure élevée. Un de nos objectifs est de faire que la réglementation soit mieux connue et mieux appliquée sur le terrain.
C. C. Et la matière récupérée – notamment les analyses d’accidents – va nous permettre de réaliser des fiches employeurs, avec la préoccupation d’atteindre les petites entreprises, qui manquent souvent de moyens.