Pauline Martin est conseillère prévention à la Communauté d’agglomération de La Rochelle, où un programme est dédié aux effets du changement climatique sur la santé et la sécurité des travailleurs. S’appuyant sur l’activité des agents, elle s’emploie à la recherche de solutions pour réduire les risques lors des épisodes de fortes chaleurs.
À la mi-juin dernier, c’est exactement à cette heure-ci, alors que les chaleurs écrasaient la région, qu’avait été montée la première cellule de crise canicule de la ville et de la Communauté d’agglomération de La Rochelle, en Charente-Maritime. Maintenue jusqu’à la levée de l’alerte, elle avait pour objet la santé et la sécurité des agents et du public. « En présence de la direction générale des services, des décisions sur la fermeture des déchetteries étaient prises pour l’après-midi, ainsi que d’autres aménagements horaires, là où c’était possible », se souvient Pauline Martin, conseillère prévention de la structure. Depuis trois ans, c’est elle qui suit de près l’impact du réchauffement climatique sur l’activité des 2 600 agents [NDLR. Récemment l’agglomération rochelaise a absorbé le CCAS, passant à 3 200 agents.] qui exercent « un peu tous les métiers ». En arrivant au bureau, ce matin de juillet 2025, elle étudie les demandes d’intervention qu’elle reçoit par mail. À pied, à vélo ou en voiture électrique, elle ira à la rencontre des agents, en compagnie de David Nouraud, son collègue chargé des formations à la sécurité au sein du service prévention et handicap, qui compte huit agents.
Direction l’éco-crèche des Minimes, où des films anti-UV ont été installés sur les vitres. « Après les vagues de chaleur de l’été 2022, il devenait urgent de s’interroger sur les effets du changement climatique sur nos activités afin de ne plus agir dans l’urgence. L’Anact avait lancé un appel à projets auquel nous avons répondu, explique-t-elle sur le trajet. Il a fallu convaincre les directions. J’ai proposé un projet de 18 mois basé sur l’écoute des agents et la mise en place d’un observatoire de la santé et la sécurité au travail sur les effets du réchauffement climatique. L’Anact subventionnait le temps passé sur le projet pour diagnostiquer, élaborer un plan d’actions, échanger sur les solutions, capitaliser… » Ce travail a abouti à la réalisation d’un livret prévention distribué aux services. Il comprend un formulaire d’aide à l’évaluation des risques liés à la chaleur, des recommandations et des outils. « Les représentants du personnel l’attendaient car, d’une direction à l’autre, il pouvait y avoir des inégalités dans les pratiques. Certains chefs de service ne se sentaient pas outillés pour prendre des décisions, reprend-elle. À partir d’une liste des possibles, chacun peut désormais piocher en fonction de ses contraintes. » Pour l’éco-crèche, par exemple, la climatisation ne faisait pas sens. « Les films anti-UV nous font perdre 4 à 5 degrés lors des pics de température. Nous avons ajouté des stores, acheté un brasseur d’air et végétalisé la cour – et bientôt une pergola – pour rafraîchir l’atmosphère », explique Madeline Mathieu Louvet, qui dirige la structure.
Changement de décor à la déchetterie de Salles-sur-Mer. « À la suite d’échanges avec les agents, nous avons réhabilité les abris d’où ils se postent pour observer ce qui se passe sur la plateforme », indique David Nouraud. Ces abris ont été déplacés près des arbres, agrémentés de plaques blanches en hauteur et sur le côté pour faire écran au soleil, tandis qu’au sol, une peinture anti-réfléchissante a été appliquée. « Ça reste malgré tout compliqué aux heures les plus chaudes, nous confie Stéphanie Leullier, qui travaille sur la plate-forme. Après, il n’y a pas de solution idéale. En cas d’alerte orange ou rouge, nos horaires sont adaptés. » « Parfois il faut batailler, évoque Pauline Martin. Pour les sites accueillant du public, il peut y avoir des réticences sur les aménagements organisationnels. Les propositions faites aux directeurs doivent remonter jusqu’aux élus. Le levier est de rappeler que le changement climatique présente un réel risque pour les agents et occasionne des aléas qui dégradent les situations de travail et perturbent le service public. »
De l’autre côté de la ville, Jesse Gaucher, coordinateur du Centre de valorisation des déchets (CVD) de Laleu, met en route un brumisateur géant, récemment installé. « J’ai contacté le fournisseur pour des ajustements au niveau des buses », nous informe-t-il. « Ce n’est pas un gadget, contrairement à ce que la direction pensait quand nous l’avons proposé. Le brumisateur est à l’usage des agents et du public. On le teste ici avant d'envisager de le déployer, en l’intégrant en amont sur les projets de platesformes », précise la conseillère prévention. Aux heures chaudes, elle vient observer les besoins et les contraintes des agents et des encadrants. Elle en profite pour faire des rappels sur la fréquence des pauses – si possible dans des espaces frais et ventilés – et la mise à disposition d’eau fraîche pour les agents. « On a reçu les nouveaux équipements de protection individuelle », lui indique Jesse Gaucher. Des gilets à fermeture éclair, avec une maille plus aérée, qui sont désormais de couleur orange : le jaune attirait trop les insectes. Sur le terrain, casquettes sahariennes et lunettes de soleil sont également fournies.
Après le déjeuner, Pauline Martin est attendue au Musée du nouveau monde, dans le centre de La Rochelle. Elle vient discuter des mesures réalisées avec les sondes connectées du service, qui permettent de relever la température, l’humidité, la qualité de l’air intérieur et la luminosité. Dix capteurs fonctionnant 24 heures sur 24 sont répartis sur les sites soumis aux plus fortes contraintes thermiques. « La semaine du 21 juin, on était à 32 degrés sous les toits », relate Mélanie Moreau, la directrice, qui avait dû fermer certaines salles, en l’expliquant au public. « Nous sommes dans un bâtiment partiellement classé dans lequel on ne fait pas ce qu’on veut, détaille-t-elle. Pour préserver nos collections, on ne peut pas ouvrir certaines fenêtres. Très vite, la chaleur monte. » Avec l’aide du service prévention et handicap, elle a envisagé le réaménagement d’espaces pour permettre aux occupants des bureaux à l’étage de se rabattre au rez-dechaussée, même s’il faut composer avec la proximité de l’accueil et les flux de visiteurs. Des ventilateurs ont été achetés. Les agents en salle sont dotés de gourdes et brumisateurs. « Un montage d’expo en pleine canicule, c’est intense », confirme Michael Dexet, régisseur technique. « Malheureusement, les solutions pérennes sont coûteuses, explique la conseillère prévention. Je transmets les relevés de mesures aux services techniques avec lesquels sont évoqués les ajustements qui pourraient être apportés. » Un travail de longue haleine.
Nous nous rendons à pied à l’hôtel de ville de La Rochelle. Le bâtiment a été rouvert fin 2019 après une réfection totale, à la suite d’un incendie en 2013. Façade renaissance refaite à l’identique mais intérieur ultra-moderne, avec de beaux espaces baignés de lumière naturelle. « Malheureusement, l’impact du réchauffement climatique n’a pas été anticipé, regrette Pauline Martin. Aujourd’hui, nous demanderions à le porter dans le projet. » Pour l’heure, les films anti-UV et les brasseurs d’air sont efficaces. « En plus de réduire la chaleur, les filtres apportent une luminosité différente qui me fatigue moins les yeux », constate Stéphanie Le Lay, à la direction de la culture et du patrimoine.
Travaux, subventions, achats de matériel, dans les locaux de la police municipale, où il reste difficile pour les agents de prendre un temps de repos au frais, on envisage toutes les solutions. « La tenue des agents est réglementée : ils portent 12 kilos d’équipements lourds, de couleur sombre. Sur la chaussée, il est compliqué de se rafraîchir », remarque Christine Soliwada, responsable de la police municipale, qui s’efforce d’« acheter moins mais mieux, en prenant en considération des besoins individuels ». « Les premiers tests de gilets rafraîchissants n’ont pas été concluants, mais nous maintenons notre veille sur les EPI innovants », ajoute Pauline Martin. Elle déplore, compte tenu de la nature des activités de la police municipale et des conditions dans lesquelles elles sont réalisées, que les demandes faites pour des travaux d’isolation de la salle de pause n’aient pas abouti. L’espoir réside désormais dans la perspective d’un déménagement, qu’il faudra préparer en intégrant le phénomène de réchauffement climatique qui affecte l’activité des agents et les infrastructures. « Le service prévention et handicap va nous accompagner dans le travail d’anticipation, précise Christine Soliwada. Il est indispensable que les risques liés à la chaleur soient appréhendés en intégrant nos contraintes mais aussi l’avenir et l’évolution des métiers de la police municipale. »