En 1920, Charles Gaudin rachète du matériel de couvreur à une veuve de guerre pour lancer son entreprise. Se doutait-il alors que l’aventure perdurerait un siècle plus tard ? Après lui, son gendre, Francis Deniaud, puis ses descendants ont, tour à tour, tenu les rênes de l’affaire familiale. « En septembre dernier, mon neveu, qui prépare son CAP couvreur, nous a rejoints. La cinquième génération est déjà sur les rangs », glisse Yves-Éric Deniaud, dirigeant depuis 2014. Si la prospérité de l’entreprise, basée à Sainte-Gemmes-sur-Loire, dans le Maine-et-Loire, s’est bâtie sur la construction et la réfection des toits en ardoises de la région angevine, ces dernières années ont vu les couvertures métalliques prendre une part de plus en plus importante dans son activité.
Mettre à jour les méthodes de travail
« J’ai diversifié notre savoir-faire avec le travail du métal. Il est présent dans huit appels d’offres sur dix et est très majoritaire sur les marchés publics depuis plusieurs années, explique Yves-Éric Deniaud. Alors que mon père ne réalisait que rarement ce type de chantiers, aujourd’hui ils représentent de 70 à 90 % de notre chiffre d’affaires. » Une stratégie judicieuse puisque son entreprise emploie actuellement 20 salariés et est l’une des trois plus grosses entreprises de couverture du département en termes de volume d’activité.
MACHINES ET OUTILS À LA RESCOUSSE
« Constatant l’efficacité des actions visant à réduire les risques de chute de hauteur et ceux liés à la manutention sur chantier, l’entreprise Deniaud a décidé de faire évoluer son atelier, souligne Jérôme Chouteau, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire. Nous avons participé financièrement à l’acquisition de machines numériques de découpe et de pliage qui réduisent les gestes répétitifs, les positions contraignantes et le port de charge puisque ces opérations se faisaient auparavant manuellement. » De quoi non seulement améliorer les conditions de travail, mais aussi impacter positivement la productivité. « Et pour fixer les plaques de métal entre elles sur les toits, nous avons dorénavant recours à une machine de sertissage portative qu’il suffit de faire glisser à la jonction des deux parties. Avant, nous utilisions des pinces… », complète Loïc Rineau, le chef de chantier. Là encore, moins de contraintes sur les corps et un gain de temps certain.
Si le jeune dirigeant a su faire les bons choix d’un point de vue économique, il avait malheureusement conservé les méthodes de travail de ses aïeux qui se préoccupaient peu des conditions de travail. « Lors de mes visites de chantiers il y a quatre ans, j’ai constaté des manquements qui m’ont conduit à mettre l’entreprise sous injonction (NDLR : l’injonction adressée par la Carsat a pour objectif de pousser l’employeur à agir, pour supprimer un risque constaté sur une situation de travail. Passé le délai fixé, si aucune mesure n’est prise, une majoration du taux de la cotisation AT/MP de l’établissement est appliquée), se remémore Jérôme Chouteau, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire. Je souhaitais faire réagir la direction et l’amener à s’engager dans une démarche de prévention. » Et la tactique fonctionne car, si le dirigeant est dans un premier temps agacé, il ne tarde cependant pas à se mettre en ordre de marche.
Bien monter un échafaudage
« La nacelle acquise en 2018 m’a rapidement convaincu de l’intérêt de faire évoluer les choses, affirme ce dernier. Elle facilite et sécurise complètement la réalisation d’opérations ponctuelles comme l’installation d’un échafaudage volant ou la pose d’évacuations pluviales puisque son utilisation limite le risque de chute. » Sur sa lancée, Yves-Éric Deniaud poursuit l’homogénéisation, entamée avant sa rencontre avec la Carsat, de son parc d’échafaudage qui était composé de matériel de marques disparates incompatibles entre elles. Objectif : pouvoir répondre aux différentes configurations de bâtiments tout en respectant les exigences de sécurité.
En parallèle, les salariés ont suivi une formation dédiée aux bonnes pratiques de montage de ces indispensables structures métalliques (ces bonnes pratiques sont présentées dans la recommandation R408 de la Cnam, « Montage, utilisation et démontage des échafaudages de pied »). « Nos échafaudages sont classiques, mais je réfléchis à nous équiper de modèles à montage et démontage en sécurité (MDS) », indique Yves-Éric Deniaud. « C’est idéal, commente Jérôme Chouteau. Ils ne nécessitent pas de harnais ni de cordes pour être montés en sécurité car ils imposent d’installer les garde-corps du niveau supérieur avant d’en fixer le plancher. Une sécurité qui a l’avantage de ne pouvoir être contournée. »
Une grue pour les couvreurs
À Trélazé, à 20 minutes d’Angers, trois immeubles de trois étages et 19 maisons individuelles sont sortis de terre. La grue de l’entreprise alimente en plaques de métal le sommet du dernier bâtiment dont la toiture n’est pas terminée. « L’essayer c’est l’adopter, assène Loïc Rineau, chef de chantier, en posant un regard satisfait sur l’engin. En une demi-heure, tout le matériel est sur le toit. Cela pouvait nous prendre des heures auparavant. Mais, surtout, c’est moins physique et on ne risque plus la chute en se passant les plaques de métal d’un étage à l’autre, technique qui demandait de retirer le filet de sécurité de l’échafaudage. »
FORMER ET CONVAINCRE
La démarche de prévention dans laquelle l’entreprise Deniaud s’est engagée possède un volet formation. Ainsi, tous les salariés sont amenés à suivre des stages sur la prévention des chutes de hauteur, ainsi que sur le montage en sécurité d’échafaudages de pied et volants. « Il est parfois compliqué de convaincre les plus anciens d’appliquer toutes les consignes de sécurité, concède Yves-Éric Déniaud, le dirigeant. Mais les jeunes sont davantage sensibilisés à la prévention. Ils ne veulent plus, comme leurs aînés, sacrifier leur santé à leur vie professionnelle. Les bonnes pratiques finiront par s’enraciner et faire partie intégrante de la culture du métier. » En cohérence avec sa volonté affichée d’accélérer ce changement de mentalité, l’entreprise a reclassé l’un de ses salariés comme responsable sécurité qui suit les chantiers pour s’assurer du respect des bonnes pratiques de prévention.
Pouvant atteindre une hauteur de 30 m et soulever des charges de 800 kg à 1,5 t, cette grue a été conçue spécifiquement pour le métier de couvreur. Elle a été acquise avec l’aide financière de la Carsat et remplace avantageusement le vieux monte-charge limité à des colis de 150 kg qu’il fallait déplacer régulièrement pour atteindre les différentes zones des chantiers. Et lorsque des bâtiments mitoyens empêchaient son installation, il n’y avait pas d’autre choix que de monter le matériel par les escaliers ou l’échafaudage. De nombreux voyages dont la fréquence faisait grimper le risque de chute, sans compter l’épreuve physique que représentaient ces allers-retours les bras chargés.
S’il reste du chemin à parcourir, une culture de prévention semble s’être installée dans l’entreprise. « Mon précédent employeur n’arrêtait pas le travail alors même que le toit devenait glissant. Apparemment, la politique ici est de ne pas monter sur le toit quand il pleut. C’est rassurant », se félicite Charlie Lefrançois, un couvreur qui vient tout juste d’intégrer les effectifs. « Quand on sait que nous nous battons encore avec sept couvreurs sur dix rien que pour obtenir la mise en œuvre d’échafaudages, on mesure l’avancée significative de l’entreprise Deniaud en seulement quatre ans », conclut Jérôme Chouteau.