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Les engins de chantier

Le bon engin pour supprimer les risques existe

Au Mans, dans la Sarthe, l’entreprise de travaux publics Eurovia Atlantique cherchait à supprimer le risque d’ensevelissement lors du déversement d’enrobé à l’arrière des bennes. Pour ce faire, elle a opté pour un engin encore peu employé en France : un camion de type Sprider, pourvu d’un bras télescopique automatisé, capable de déposer l’enrobé à l’endroit précis où il doit être étalé. Mission accomplie.

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Corinne Soulay - 30/01/2023
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Utilisation d'un camion benne "sprider" sur un chantier d'enrobé bitumeux.

C’est une série d’accidents, de gravités différentes, mais présentant le même scénario, intervenus dans le secteur des travaux publics, qui a provoqué le changement. En 2017, notamment, alors qu’une équipe s’attelle à refaire les trottoirs sur le chantier d’une maison de retraite en Île-de-France, l’un des opérateurs – un intérimaire de 27 ans – s’approche de la benne inclinée qui déverse l’enrobé, pour y remplir sa brouette. Soudain, les portes arrière du camion lâchent : l’homme se retrouve enseveli jusqu’au torse sous 7 tonnes d’enrobé, chauffé à 150°C. Son pronostic vital est d’abord engagé. Il survivra finalement, brûlé à 80%, avec deux doigts en moins.

Chez Eurovia, entreprise spécialisée dans les chantiers de travaux publics, la tragédie marque un tournant: la maison-mère exige de ses 150 agences hexagonales qu’elles trouvent des solutions techniques pour supprimer le risque d’ensevelissement. Un défi de taille, car la pratique du chargement de l’enrobé à la brouette à l’arrière du camion est largement répandue. Pendant plusieurs mois, dans toute la France, les agences ont donc planché sur le dossier.

Supprimer le risque d'ensevelissement 

Certaines ont opté, temporairement, pour des rallonges de brouettes, sortes de châssis qui permettent de positionner manuellement l’appareil devant la trappe de la benne, tout en restant à distance de la zone de danger. D’autres ont opéré des changements plus conséquents et investi dans des engins sécurisés, comme le Distrimix, un camion doté, à l’arrière, d’un distributeur mécanique. À l’intérieur, une vis sans fin transfère l’enrobé vers une goulotte, placée sous le camion. Il ne reste plus qu’à positionner la brouette dessous pour le récupérer. Une alternative jugée intéressante.

C’est cependant un autre engin qui retient l’attention de l’agence Eurovia Atlantique du Mans, qui profite alors d’une coïncidence favorable. « Un locatier – un prestataire à qui nous louons à la fois des engins et les services des conducteurs associés – réfléchissait justement à la possibilité d’acheter un engin particulier, un Sprider, explique Pierre-Yves Guichard. Mais pour rentabiliser son investissement, il voulait s’assurer qu’une entreprise allait le lui louer régulièrement. » Cet engin présente à la fois une benne entièrement fermée et calorifugée pour transporter l’enrobé et, à l’arrière, un bras télescopique articulé pour le déposer directement où il doit être étalé. Exit le risque d’ensevelissement. L’agence Eurovia Atlantique est partante.

Un bras téléscopique

En ce jour de novembre, l’engin est déployé sur un petit chantier urbain sur la commune de La Flèche, à une quarantaine de kilomètres du Mans. Objectif : aménager un tronçon du boulevard de la petite-Vitesse, une ruelle bordée de nouveaux pavillons, sur 300 mètres environ. Pour l’heure, les opérateurs s’occupent du revêtement des trottoirs. Le porteur télécommandé, chargé de 18 tonnes d’enrobé, se déplace lentement au plus près de la zone à couvrir. En cabine, pas de conducteur: celui-ci se tient debout, télécommande à la main, à l’arrière du camion. Il le manœuvre à distance, jetant régulièrement des coups d’œil à un écran qui permet de visualiser l’avant du véhicule et d’éviter des heurts éventuels avec un autre engin ou un piéton.

ENROBÉ : RÉDUIRE LE RISQUE LIÉ AUX ÉMANATIONS

Les engins utilisés pour la pose d’enrobés induisent un risque spécifique lié aux fumées de bitume, un mélange d’hydrocarbures utilisé comme liant, qui ont des effets nocifs pour les voies respiratoires. L’exposition aux fumées de bitume lors des travaux de revêtement routier a été classée comme possiblement cancérogène pour l’homme par le Circ. « Pour réduire l’exposition, plusieurs mesures peuvent être mises en place, précise Cécile Fonteneau, experte d’assistance-conseil risque chimique à l’INRS. La première solution consiste à choisir des engins, tels certains finisseurs, qui intègrent un système de captage des fumées à la source. » Cela permet de réduire de moitié l’exposition des travailleurs. « Une autre piste concerne la température de mise en œuvre du bitume: une augmentation de 12 °C conduit à multiplier par deux la production de fumées de bitume et, inversement, plus on baisse sa température, moins il produit de fumée », ajoute l’experte.

Une fois l’engin positionné au bon endroit, l’opérateur actionne le bras télescopique à l’arrière et vient le placer à quelques centimètres au-dessus du trottoir pour déverser l’enrobé. Là, trois opérateurs se tiennent prêts à répartir et niveler le tout avec leurs râteaux. Outre la suppression du risque d’ensevelissement, les déplacements et manutentions manuelles sont aussi considérablement réduits ainsi que le risque de troubles musculosquelettiques. Car, à l’intérieur de la benne, une vis sans fin malaxe l’enrobé et le transfère sur un tapis, doté d’un dispositif calorifique, qui permet de le garder à bonne température, jusqu’à son déversement. La matière est ainsi plus malléable pour les opérateurs.

Par ailleurs, auparavant, la benne était stationnée à un endroit fixe et ils devaient multiplier des allers-retours munis de leurs brouettes. Sur le chantier, les opérateurs se servent aussi du Sprider pour alimenter en enrobé un autre engin, un mini-finisseur. Monté sur chenilles, il permet de recouvrir automatiquement, plutôt qu’au râteau, des surfaces plus importantes, d’une largeur comprise entre 1,50 et 2,50 m. Plus besoin d’utiliser une pelle hydraulique pour le transfert de l’enrobé, le bras télescopique vient directement charger la trémie. Et, pour éviter les arrêts momentanés de chantier causés par les allers-retours à l’usine afin de s’approvisionner en enrobé, Eurovia a également simplifié la procédure en employant un camion ravitailleur dernier cri : l’engin vient stationner à la perpendiculaire du Sprider, positionne sa benne au-dessus de la sienne, puis y déverse son contenu.

Remplissage du camion "sprider" avec un camion ravitailleur.

« C’est intéressant car ce n’est pas une solution ponctuelle, toutes ces mesures forment une démarche complète, donc viable et pérenne », se félicite Éric Liger, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays de la Loire. Côté Eurovia aussi, le compte est bon : le Sprider est utilisé plus de 1400 heures par an. « Quasiment à l’année », traduit Pierre-Yves Guichard. Et l’agence a fait des émules. Celle de Granville, notamment, a procédé à l’achat d’un tel engin en 2021. De là à envisager un déploiement national? Pas si simple. « Les délais d’obtention de ce type d’équipement sont longs, pointe Pierre-Yves Guichard. Nous avons eu la possibilité de trouver cet engin chez un de nos locatiers, cela nous a permis de le mettre rapidement en place dans nos équipes. Mais il existe également d’autres solutions permettant de répondre à un large spectre de configuration de chantier. »

Pour en savoir plus sur les fumées de bitume

  • « Bitume », dossier web INRS : point complet sur les effets du bitume sur la santé des travailleurs qui y sont exposés, l’évaluation des risques et les mesures de prévention.
  • Webinaire « Bitume. Comment améliorer la prévention du risque chimique sur les chantiers de construction routière ? » : une conférence INRS en ligne pour les chefs d’entreprise, les préventeurs et les responsables de chantiers de construction routière.
  •  Fumées de bitume. 7 conseils pour améliorer la protection des travailleurs , dépliant INRS, ED 6300 : un document à destination des employeurs des entreprises de construction routière.
  •  Fumées de bitume. 5 conseils pour se protéger , dépliant INRS, ED 6301 : Des conseils simples destinés aux encadrants de proximité sur les chantiers pour informer les opérateurs.
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