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Les engins de chantier

Composer avec les spécificités du milieu souterrain

À Modane, en Savoie, le chantier de la future liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin qui passera sous les Alpes, est en permanence en activité. Une démarche globale de prévention des risques professionnels liés aux engins a été mise en place, intégrant les difficultés spécifiques à cet espace confiné, au relief complexe.

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Corinne Soulay - 30/01/2023
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Intervention d'une toupie à béton.

C'est un ouvrage titanesque qui est parti pour durer plusieurs années : le projet du tunnel LyonTurin, confié à la société binationale Tunnel euralpin Lyon-Turin (Telt), consiste à creuser non pas une, mais deux galeries de 57,5 km chacune, sous les Alpes, afin de relier la France à l’Italie par voie ferrée. Cap sur Modane, en Savoie, où l’activité de l’un des chantiers, le CO5A, piloté par le groupement Vinci-Webuild, bat son plein depuis septembre 2021 : 7 jours sur 7, 600 personnes se relaient en 3x8 pour creuser les quatre puits de 500 mètres de profondeur chacun, qui assureront la ventilation et le désenfumage des tunnels de base. Le groupement se charge aussi d’aménager – via un abattage à l’explosif – plusieurs cavernes, dont les chambres de montage qui accueilleront, dans quelques mois, les tunneliers.

Un terrain très complexe 

Dès l’entrée sous terre, les spécificités du terrain sautent aux yeux. Pour rejoindre le cœur du chantier, les véhicules empruntent une descenderie de près de 4 km. « Sur les trois quarts du trajet, la pente avoisine les 12%, ce qui implique un risque d’échauffement des freins », explique Roland Karam, responsable prévention et sécurité du chantier. D’autant que les engins qui circulent sont imposants : jumbos de 12,65 m de long, tombereaux de 30 tonnes, briseroches hydrauliques, toupies de béton… « Selon l’article 5.2 des règles communes opérationnelles (RCO) imposées par les ministères chargés du Travail des deux pays, au-delà d’une pente de 8% sur plus d’un kilomètre, un dispositif doit être envisagé pour stopper un engin hors de contrôle », précise Pascal Sergi, ingénieur-conseil BTP à la Carsat Rhône-Alpes, référent et expert en travaux souterrains.

Or, cette descenderie – aménagée au départ pour faire des études de sol – date d’une vingtaine d’années. À l’époque, la solution avait été de créer des fosses de freinage qui formaient des sortes de chicanes. Avec la mise en route du chantier et la multiplication du nombre d’engins, ce dispositif devenait dangereux, surtout pour les services de secours en cas d’incendie, à cause des fumées qui pourraient rendre difficile leur intervention. À l’initiative de l’inspection du travail et de la Carsat, des réunions ont été organisées sur le sujet avec les différents acteurs du chantier.

La coactivité en espace confiné induit en outre des risques accrus de collisions engins-piétons ou entre engins. « Le chantier fait l’objet d’un plan général de coordination SPS (sécurité et protection de la santé) incluant un plan de circulation de principe, et qui évolue en fonction de l’avancée des travaux », remarque Patrice Cecchinel, responsable de l’activité sécurité sur le lieu de travail au sein de Telt. Limitation de la vitesse, priorité donnée aux engins sortants, séparation des flux… Rien n’est laissé au hasard. Ainsi, chaque personne présente sur le chantier est dotée d’un boîtier portatif qui permet de la localiser. « Les collisions enginspiétons représentent une préoccupation importante en milieu souterrain, souligne Pascal Sergi. L’Association française des tunnels et espaces souterrains (Aftes) va prochainement publier des recommandations. »

DANS LES COULISSES D'UN PROJET COLOSSAL

Pour réaliser la section transfrontalière de la future ligne ferroviaire Lyon-Turin, destinée à désengorger le réseau routier transalpin, la société binationale Telt (Tunnel euralpin Lyon-Turin), maître d’ouvrage, a décidé de répartir les travaux en douze chantiers opérationnels. Localisés à différents endroits du tracé, entre Suse (Italie) et Saint-Jean-de-Maurienne (France), neuf concernent les travaux proprement dits – en particulier le creusement des deux tunnels à voie unique de 57,5 km de long, passant sous le mont Cenis, mais aussi l’aménagement des galeries de sécurité, du système de ventilation… – et les trois autres portent sur des activités connexes comme la valorisation des terres excavées, côté français et italien, et l’installation des équipements techniques (rails, éclairage…). Pour l’heure, les neuf premiers kilomètres du tunnel de base sont achevés. La fin du creusement est prévue pour 2030. Restera alors l’aménagement de la voie ferrée et une phase de test, avant de démarrer l’exploitation.

Au pied de la descenderie, à 500 m sous terre, différentes cavernes et galeries sont en cours de creusement, impliquant un ballet continu d’engins divers. Ici, une foreuse creuse les trous qui accueilleront les charges explosives. Là, un jumbo de boulonnage renforce la paroi avec des tiges de huit mètres de long. Plus loin, des chargeuses sur pneus remplissent les tombereaux des matériaux excavés afin qu’ils les transfèrent vers une caverne de stockage temporaire. À bord de ces engins aux dimensions impressionnantes, la visibilité est parfois limitée. Et dans un espace confiné où les bruits sont décuplés, les alertes sonores sont souvent noyées dans le brouhaha.

Vue à 360° et caméras

« Nous privilégions autant que possible des engins avec une visibilité à 360° en cabine, mais, pour certains, il subsiste des angles morts. Nous sommes en train de tester des caméras avec détection de personnes », souligne Roland Karam. Sans compter que certains engins, tel le jumbo de forage, doté de deux ou trois bras tentaculaires, sont difficiles à manœuvrer. « Tous nos conducteurs sont formés aux spécificités de leur engin et ils passent un Caces quand il existe, ajoute le responsable sécurité. Ils ont aussi reçu une formation SST pour pouvoir intervenir en cas de heurt. » Depuis 2013, la Carsat Rhône-Alpes propose en outre une formation complémentaire SST SMS (spécifique en milieu souterrain).

À bord de ces engins aux dimensions impressionnantes, la visibilité est parfois limitée.

Qui dit milieu fermé dit aussi concentration des polluants. Au plafond, quatre grosses gaines assurent le renouvellement de l’air. Mais pour respecter les valeurs limites d’exposition professionnelle établies pour ce type de substances, il a fallu s’adapter à la réalité du chantier. « Au vu du gabarit des engins – la plupart à moteur diesel, donc pourvoyeurs de particules – la hauteur initiale sous voûte n’était pas suffisante pour assurer une ventilation efficace: il a fallu abaisser le radier jusqu’à 70 cm, ce qui a nécessité des travaux supplémentaires », pointe Pascal Sergi.

Pour limiter ce risque chimique, l’ingénieur-conseil encourage les entreprises à opter pour des motorisations électriques. Sur le CO5A, certains engins possèdent des moteurs hybrides, mais ils restent minoritaires. En contrepartie, les autres font l’objet d’une maintenance renforcée (changement régulier des filtres à particules, etc.) et les opérateurs sont encouragés à adopter des comportements d’écoconduite. « On ne peut pas jouer sur un seul tableau pour limiter les risques professionnels, il faut une démarche globale », conclut Patrice Cecchinel.

AVIS D'EXPERT

Bruno Courtois, expert d’assistance-conseil risque chimique à l’INRS

« Les travaux exposant aux émissions d’échappement de moteurs diesel sont classés comme des procédés cancérogènes (arrêté du 26 octobre 2020 modifié). Or, en milieu souterrain, cette pollution est accrue. Le premier principe à appliquer est de remplacer ces moteurs par des modèles électriques, lorsque c’est possible. Sinon, il convient d’utiliser les moteurs diesel équipés de filtres à particules et répondant aux spécifications les plus récentes de la réglementation européenne sur les moteurs de véhicules non routiers, dont font partie les engins de chantier. La ventilation doit être adaptée à la nature et la quantité des polluants: gaz d’échappement mais aussi poussières dues aux travaux (silice cristalline notamment…), gaz liés à l’utilisation d’explosifs… Nous conseillons aussi d’opter pour des engins dotés de cabines pressurisées à air filtré. »

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