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Le port de charges

Quelles solutions pour réduire les manutentions ?

Pour prévenir les risques professionnels liés au port de charges, présents dans de nombreux secteurs d’activité, la prévention passe notamment par le déploiement de solutions organisationnelles et d’aides techniques. Mais pour qu’elles soient efficaces, celles-ci doivent être adaptées à la réalité du terrain et être le fruit d’une évaluation des risques et d’une analyse de l’activité.

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Corinne Soulay - 04/10/2023
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Un salarié porte des pots de peinture sur un chantier.

Une caissière qui manipule des packs de lait ; un peintre qui achemine, par l’escalier, des pots de peinture de 15 kg ; l'employé d'un hôtel transportant à la main des sacs de draps sales… Ces situations de travail ont toutes un point commun : la nécessité, pour le travailleur, de déplacer une charge d’un point à un autre, sans aide technique. Le port de charges fait partie de ce que le Code du travail dénomme plus largement les « manutentions manuelles », soit « toute opération de transport ou de soutien d’une charge, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement (…) exige l’effort physique d’un ou de plusieurs travailleurs ». Une définition qui inclut donc aussi la mobilisation d’équipement roulant (chariot, transpalette…).

Selon la Cnam, les manutentions manuelles sont à l’origine de près de 50 % des accidents de travail dans le secteur de la construction. Et, dans la plupart des professions du soin et de l’aide à la personne (agent hospitalier, aide à domicile…), ce taux atteint environ deux tiers. Difficile de faire la part des choses entre les accidents découlant du port de charges strict et ceux liés à l’utilisation d’équipements. Mais une chose est sûre, ce facteur de risque est largement répandu.

Les secteurs les plus touchés sont le BTP, l’aide et le soin à la personne et le transport et la logistique. « Mais le port de charges est aussi très présent dans les secteurs de la métallurgie, de la propreté, de la collecte des déchets, la grande distribution… », complète Laurent Kérangueven, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Avec, à la clé, des risques de lésions traumatiques (contusions, plaies…), de sollicitations cardiovasculaires, de chutes, de douleurs dorsolombaires, voire de maladies professionnelles type troubles musculosquelettiques (TMS).

Prendre en compte les conditions réelles

Le Code du travail prévoit que, lorsque la manutention manuelle ne peut être évitée, l'employeur prend des mesures d'organisation adaptées et met à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, le cas échant, des accessoires de préhension. Si la mise en œuvre d'aides mécaniques est impossible – et seulement dans ce cas –, les travailleurs ne peuvent être autorisés à porter des charges supérieures à 55 kg (25 kg pour les femmes) que s'ils ont été reconnus aptes par le médecin du travail. « Afin d'évaluer les risques de TMS et mettre en place des mesures efficaces, on peut utilement se baser sur la norme NF X 35-109 relative à la manutention manuelle de charge, souligne Laurent Kérangueven. Elle établit une valeur maximale acceptable de 15 kg et une valeur maximale admissible sous conditions (nécessitant la mise en place de mesures de prévention adaptées) de 25 kg. Enfin, elle définit un tonnage cumulé journalier acceptable de 7,5 t sur 8 heures. »

Un salarié porte un colis en zone froide.

La norme propose en outre une méthodologie d’analyse du risque prenant en compte les conditions réelles de réalisation des tâches de manutention : distances de déplacement, hauteur de prise et de dépose, présence ou non de poignées, postures adoptées (torsion, rotation du tronc…), conditions d’environnement (thermique, acoustique, sol encombré…) et d’organisation (contraintes temporelles, multiplicité des tâches…). Autant de facteurs susceptibles d’augmenter la charge physique… et donc autant de leviers sur lesquels agir pour améliorer les conditions de travail. « Travailler en amont avec les fournisseurs constitue une piste de prévention intéressante à développer afin que le conditionnement des produits soit adapté pour limiter la charge unitaire », avance l’expert de l’INRS.

Dès la conception des outils

Reste que l’action des entreprises se limite parfois à investir dans des outils d’aide à la manutention. « Attention à ne pas déplacer le risque, avertit Laurent Kérangueven. Les chariots ou transpalettes, lorsqu’ils ne sont pas motorisés, demandent des efforts de tirer-pousser qui sont susceptibles d’induire de fortes contraintes musculaires et articulaires. » Sans compter les risques de collisions, d’écrasement ou de coincement liés à l'utilisation de ces appareils. Table à hauteur variable, potence à bras articulé, palonnier à ventouses… Le choix d’un équipement ne se fait pas au hasard : il doit découler d’une évaluation du risque et d’une analyse du poste de travail et de l’activité pour pouvoir s’orienter vers l’aide technique adaptée.

Un salarié équipé d'un exosquelette porte un sac de farine.

Par ailleurs, en matière d'équipements, l’idéal est d’intégrer les enjeux de prévention dès la conception. « Pour qu’un concepteur réponde correctement aux besoins du client, il est nécessaire de réaliser un cahier des charges le plus précis possible comprenant les caractéristiques techniques des charges à manipuler (poids, maniabilité, encombrement…) mais aussi des informations sur l’environnement (espace restreint, qualité des sols…), insiste Laurent Claudon, responsable de laboratoire à l’INRS. Il faut aussi pouvoir tester les solutions afin de les faire évoluer si besoin. »

La même démarche est de mise avec les nouvelles technologies, qui ont le vent en poupe, comme les robots collaboratifs, conçus pour interagir avec les opérateurs, ou les exosquelettes, dont le recours ne doit être envisagé que si les mesures de prévention collective ne suffisent pas. « Les exosquelettes permettent certes de réduire l’effort des muscles extenseurs du dos, complète Laurent Claudon, mais il faut s’assurer qu’il ne génère pas de nouvelles contraintes sur d’autres parties du corps. Il est nécessaire d’étudier l’ensemble de l’activité pour s’assurer que son usage est compatible avec le reste des tâches, que les opérateurs ne sont pas gênés dans leur mouvement et qu’ils puissent par exemple courir en cas d’évacuation d’urgence. »

Une réflexion commune et anticipée

Outre les aides techniques, il est essentiel d’intervenir sur l’organisation. Le but ? Limiter le cumul de masses manipulées en une journée et éviter les reprises de manutention. Selon le secteur d’activité, ces mesures prendront des formes différentes. Dans la grande distribution, par exemple, il peut s’avérer utile de repenser le positionnement des rayonnages dans le drive, pour placer les produits les plus lourds en bout de chaîne, ou d’instaurer des délais corrects entre la commande du client et sa livraison afin de réduire la pression temporelle. Pour les opérateurs de mise en rayon, prévoir des temps de récupération ou varier les tâches permettra de réduire le temps d’exposition au port de charges.

Dans le BTP, cela peut se concrétiser par la mise en commun d’équipements sur les chantiers. « Cela nécessite que toutes les parties prenantes – maîtres d’ouvrage, architectes, entreprises… – collaborent afin d’identifier en amont toutes les charges à manipuler et envisager des solutions adaptées, comme des lifts mutualisés, précise Jean-Michel Bachelot, ingénieur-conseil à la Carsat Pays de la Loire. Les donneurs d’ordres, notamment, ont un rôle essentiel à jouer car la mise en œuvre de ce type de solutions dépend de leur volonté. » Dans d’autres secteurs, comme l’hôtellerie ou le soin et l’aide à la personne, la prévention pourra être envisagée dès la conception des bâtiments. « Quand on conçoit un Ehpad, prévoir des rails plafonniers dans toutes les chambres permet d’anticiper la perte d’autonomie des résidents », illustre Carole Gayet, experte d’assistance-conseil à l’INRS.

Aide technique ou mesure organisationnelle, quelle que soit la solution envisagée, elle ne peut se faire sans l’implication des salariés. « D’où l’importance pour les entreprises de développer des actions de sensibilisation, d’information, mais aussi de formation, conclut Laurent Kérangueven. Les formations Prap (prévention des risques liés à l’activité physique), en particulier, sont intéressantes car elles apprennent aux salariés à observer et analyser leur situation de travail, de sorte qu’ils deviennent acteurs de leur propre prévention. »

L'AVIS DE...

Émmanuelle Péris, experte d’assistance médicale à l’INRS

« En matière de grossesse, le port de charges est associé, notamment, à un surrisque d’avortements spontanés ou d’accouchement prématuré. On estime l’existence d’un risque au-delà de 10 kg par charge unitaire et de 100 kg par jour. Mais même en dessous, c’est la charge globale de travail qui doit être prise en compte. On peut citer les efforts physiques, la durée du travail ou la station debout prolongée. Le risque d’issue défavorable de la grossesse augmente avec le nombre de contraintes professionnelles. Il faut éviter l’unique approche individuelle lors de l’annonce d’une grossesse. L’employeur doit anticiper cette situation. L’évaluation des risques professionnels, en lien avec le SPST, doit considérer les risques spécifiques lors des grossesses et la démarche de prévention permettre des conditions de travail compatibles avec la grossesse. En parallèle, les femmes doivent être encouragées à déclarer leur grossesse au plus tôt et à consulter leur médecin du travail qui proposera des aménagements de poste et pourra se mettre en lien, avec l’accord de la salariée, avec la sage-femme ou le médecin traitant de celle-ci si nécessaire. »

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