Ce site est édité par l'INRS
Le port de charges

Soins à la personne : accompagner, sans porter

Au foyer d’accueil médicalisé (FAM) Les Myosotis, à Dourdan, le personnel apprend à accompagner les résidents polyhandicapés dans leurs déplacements, en les portant le moins possible. Un véritable changement de culture qui exige l’implication de tous.

5 minutes de lecture
Corinne Soulay - 04/10/2023
Lien copié
Illustration d'une aide à la mobilité au foyer les Myosotis.

« Allonge-toi », « Plie les genoux », « Attrape le perroquet », « Oh hisse ! On tire sur les bras ! »… En ce début d’après-midi, au foyer d’accueil médicalisé (FAM) Les Myosotis, à Dourdan, en Essonne, Sandrine – lunettes bleues, t-shirt corail et sourire vissé aux lèvres – suit consciencieusement les consignes de Stéphane Le Roux, le kinésithérapeute. L’objectif est de s’allonger dans son lit. La jeune femme est atteinte d’une infirmité motrice cérébrale à l’origine d’importantes raideurs articulaires qui la contraignent à se déplacer en fauteuil roulant. Il y a quelques mois encore, son transfert du fauteuil au couchage, puis son installation au lit, impliquait le portage par un soignant. Désormais, Sandrine s’y attelle seule, grâce au guidage verbal de Stéphane. À peine a-t-il eu à lui tenir les pieds, pour accompagner le mouvement de ses jambes, de l’extérieur vers l’intérieur du lit.

Ces progrès sont le résultat d’un virage pris il y a un an par la direction du FAM. « Nous avons été ciblés TMS-Pros par la Cramif, car nous avions un taux d’accidentologie important chez nos salariés, notamment des lombalgies consécutives à des transferts assis-assis ou des rehaussements au lit, se souvient Ingrid Laudren, directrice de l’établissement, qui accueille quinze résidents polyhandicapés et quinze atteints de trouble du spectre autistique. Cela a été une opportunité pour nous : Stéphane Le Roux, notre kinésithérapeute, a ainsi pu être formé, en tant que référent TMS, à l’hôpital Saint-Joseph de Paris, au soin de manutention, une approche qui vise à supprimer les portages délétères. Et, progressivement, il forme tout le personnel. »

Une aide financière de la Cramif

L’idée est de se départir des automatismes qui consistent à porter systématiquement les résidents lorsqu’ils doivent se relever, sortir de leur siège, se redresser au lit, et, au contraire, de s’appuyer sur leurs capacités pour les accompagner dans les différents déplacements. Le soignant les guide par la parole, ce qui nécessite de connaître les éléments constitutifs de chaque déplacement pour être capable de décomposer et verbaliser tous les mouvements à réaliser. « Il faut aussi s’adapter aux capacités cognitives des résidents et, pour certains, user de mots très simples pour être compris », précise Stéphane Le Roux.

Drap de glisse, poignée de traction, lève-personne… Les professionnels ont aussi recours à des outils d’aide à la manutention, si nécessaire, en fonction des capacités du résident. « Certains ont plus de “spasticité” le matin au réveil que le soir, par exemple. Le même déplacement pourra donc se faire avec ou sans lève-personne, selon le moment de la journée », illustre le kinésithérapeute.

L'AVIS DE...

Stéphane Le Roux, kinésithérapeute

« Il y a deux ans, lors de mon entretien annuel, j’ai sollicité la directrice pour suivre une formation, car je souhaitais soulager mes collègues qui avaient beaucoup de douleurs dues à leur pratique. Elle a tout de suite été d’accord, malgré la durée de la formation (13 jours). C’est à ce moment que nous avons rencontré Patricia Pietrancosta de la Cramif, via le programme TMS Pros, qui nous a permis de financer cet apprentissage. Depuis, je forme les salariés par session de huit personnes. Pour eux, ce n’est pas simple : c’est un changement total de paradigme, il faut déconstruire toutes leurs habitudes. Mais, lorsqu’ils comprennent que la manutention est abordée comme un soin, et qu’en faisant participer le résident au déplacement, au lieu de le faire à sa place, cela permet de ralentir sa perte musculaire et de maintenir son autonomie, cela redonne du sens à leur pratique. »

Exemple pratique avec Andrea, qui doit se rendre de son lit à la salle de bain, mais ne tient pas le poids de son corps sur ses jambes. Sa chambre de 32 m2 est dotée, au plafond, de rails en H motorisés qui permettent d’accrocher un lève-personne et de l’utiliser à n’importe quel endroit de la pièce. Un second rail, courbe, auquel la barre du H peut être raccordée, complète la structure et permet d’accéder à la salle de bain. « Seules trois chambres sont équipées de ce type d’installation, mais dans le cadre d’un contrat de prévention, la Cramif participe au financement de douze nouveaux rails, afin qu’il y en ait dans toutes les chambres début 2024 », précise Patricia Pietrancosta, contrôleuse de sécurité à la Cramif.

« Pour que les outils d’aide à la manutention soient utilisés, le personnel doit être formé. »

Au chevet d’Andrea, deux aides-soignantes. Lentement, elles l’équipent d’un harnais qu’elles accrochent à un cintre, relié au rail. Puis elles déplacent Andrea verticalement, grâce à une télécommande, et l’accompagnent manuellement à travers la chambre, le poids de la résidente permettant un déplacement sans effort. Une fois sur son lit de douche, c’est Andrea, sur les consignes de l’équipe, qui décrochera, seule, les sangles de son harnais. Bilan : zéro portage pour les professionnelles et trois éclats de rire pour la résidente, qui a manifestement apprécié la balade dans les airs.

Investissement, organisation et formation

La procédure a néanmoins nécessité une bonne maîtrise du rail motorisé. « Pour que les outils d’aide à la manutention soient utilisés, le personnel doit être formé », confirme Stéphane Le Roux. Et de se remémorer l’exemple d’un drap de glisse boudé par le personnel, bien qu’il soit censé faciliter le transfert latéral ou vertical du résident dans son lit : « Le modèle dont on disposait n’avait qu’un seul côté glissant et les soignants l’utilisaient dans le mauvais sens, explique le kinésithérapeute. Résultat : c’était plus contraignant pour eux que de soulever le résident par les épaules. » Pour y remédier, la chambre d’accueil temporaire installée à côté de celle d’Andrea a été transformée en salle de formation, lorsqu’elle n’est pas occupée. Et le drap de glisse est désormais adopté.

Illustration d'un lève-personne utilisé au foyer des Myosotis.

Déployer une telle démarche dans l’ensemble de l’établissement implique non seulement des investissements – outre les rails, de nouveaux lits présentant cinq réglages, dont la position assise, ont récemment été achetés –, mais aussi des adaptations organisationnelles : il faut notamment aménager l’emploi du temps des salariés pour inclure des temps de formation ou leur permettre de travailler à deux si besoin, et surtout supprimer la pression temporelle qui pèse parfois sur le personnel. Il a ainsi été décidé que la toilette du matin, moment essentiel dans le cadre du soin et qui inclut plusieurs déplacements plus ou moins longs à réaliser, serait prioritaire sur le reste des activités.

Autant d’aménagements qui exigent l’implication de la direction. Aux Myosotis, la directrice – qui suivra prochainement une formation de cinq jours réservée aux dirigeants – est convaincue : cette année, un seul accident de travail est à déplorer. Lors du service de nuit, une aide-soignante s’est blessée à l’épaule en redressant une résidente à forte corpulence… Elle n’avait pas encore été formée à la démarche.

PAS À PAS, LA DÉMARCHE SE DÉPLOIE

Après le personnel en charge des résidents polyhandicapés, les salariés au contact des résidents atteints de trouble du spectre autistique seront formés au dernier trimestre 2023. Avec la nécessité d’adapter la pratique à ce public spécifique. « Certains équipements, comme le lève-personne, ne sont pas appropriés, précise Stéphane Le Roux. Beaucoup se mettent au sol, en position foetale. Il faut combattre le réflexe qui consiste à se baisser pour les porter et les aider à se redresser. Le principe reste le même : on s’adapte aux capacités de la personne. On peut approcher un fauteuil et inviter le résident, avec des mots directs et simples, à se mettre à quatre pattes puis à prendre appui sur le fauteuil pour se relever. » La dernière équipe à être formée sera celle de nuit, constituée de quatre salariés. En tout, une trentaine de personnes du FAM auront suivi la formation.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Le port de charges

En savoir plus