« Les poussières sont des dispersions de particules solides dans l’air, formées par un procédé mécanique ou par une remise en suspension depuis les lieux de dépôt. » Cette définition recouvre, en milieu de travail, des réalités multiples. L’exposition aux poussières concerne la quasi-totalité des activités professionnelles. Il peut s’agir de poussières minérales (calcaire, silice, verre…), métalliques (acier, zinc, cuivre, plomb…) ou organiques (bois, farine, matières plastiques, déjections animales…). Les procédés qui sont susceptibles d’en émettre sont nombreux : broyage, concassage, usinage, ponçage, manipulation de produits pulvérulents…
Outre les effets immédiats parfois générés, comme l’irritation, les poussières peuvent induire des effets différés, pas toujours visibles. « Quelle que soit leur nature, il faut considérer les poussières comme des agents chimiques dangereux, affirme Bruno Courtois, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Aucune n’est bonne à inhaler. » L’inhalation est en effet la principale voie d’exposition aux poussières en milieu professionnel, même s’il existe des expositions – plus limitées – par voie cutanée et surtout digestive (en portant à la bouche des mains ou objets contaminées). Respirer des poussières peut entraîner diverses pathologies qui dépendront du type de particules (nature des poussières, taille, forme…) et de la quantité inhalée. [NDLR. On parle de poussières pour des particules de quelques dizaines de nanomètres à 100 micromètres. Ce dossier exclut le cas des nanomatériaux pour lesquels la taille confère à la matière des propriétés physiques, chimiques et biologiques différentes.]
« Les poussières vont pénétrer plus ou moins profondément dans le système respiratoire selon leur taille, s’y déposer et y persister plus ou moins longtemps. Elles pourront alors entraîner des effets d’intensité variable, localement ou à distance, précise Laureline Coates, conseillère médicale en santé au travail-toxicologie professionnelle à l’INRS. Le risque toxicologique résulte de la combinaison entre la toxicité de la substance et le niveau d’exposition. » Plus leur persistance dans l’organisme est longue, plus la probabilité d’apparition d’effets différés peut augmenter.
Silicose, cancers, asthme... Une grande diversité de pathologies
Pour certaines poussières, il n’a pas été démontré d’autres effets que la surcharge pulmonaire. D’autres sont en revanche connues pour causer des pathologies particulières : les poussières de silice cristalline peuvent notamment entraîner la silicose, le cancer du poumon ou des maladies auto-immunes ; les poussières de bois sont responsables entre autres de cancers naso-sinusiens ; les poussières de plomb provoquent le saturnisme ; les poussières de farine constituent la première cause reconnue d'asthme professionnel en France… Outre les effets sur la santé, il y a, au-delà d’une certaine concentration de poussières combustibles dans l’air, un risque de formation d’atmosphères explosives.
Point de départ de la prévention : l’évaluation des risques. Concernant les agents les plus dangereux, en particulier cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR), il faut substituer, dès que c’est possible, leur usage et les procédés qui en émettent. De façon générale, identifier la cause des émissions de poussières peut permettre d’envisager la suppression de la pollution : utiliser quand c’est possible des produits dont la granulométrie est suffisamment grossière pour qu’ils ne soient pas pulvérulents, préférer une formulation liquide à une poudre, etc. L’utilisation de moyens de protection collective, comme abattre la poussière par pulvérisation d’eau, confiner les procédés émissifs, aspirer les polluants à la source et ventiler, permettra ensuite de poser les fondations d’une prévention efficace.
La prévention collective d’abord
« La priorité doit être donnée à une ventilation locale avec aspiration à la source. Idéalement, l’air doit être filtré et rejeté à l’extérieur, souligne Bruno Courtois. Il faut également veiller à ce que l’opérateur ne se trouve pas entre le dispositif d’aspiration et la source de pollution. » Dans certains cas, une ventilation générale sera utilisée en complément pour diluer les poussières par apport d’air neuf. Lorsque ces mesures ne suffisent pas, les équipements de protection individuelle tels que des appareils de protection respiratoire pourront être envisagés.
L’application est souvent plus complexe sur chantier qu’en atelier, mais des solutions existent : mise en dépression d’équipements, outils de découpe (scies, ponceuses…) équipés de moyens de pulvérisation d’eau ou reliés à des systèmes d’aspiration, abattage à l'humide sur les lieux de déversement de matériaux, pose de revêtement sur les pistes pour réduire l’empoussièrement lors du passage d’engins… Dans le secteur des carrières et de la construction, les dispositifs de mesure optique en continu des poussières sont de plus en plus répandus pour observer des pics d’exposition et optimiser les moyens d’action.
Les entreprises concernées peuvent bénéficier de l’expertise des Carsat/Cramif/CGSS et de leurs centres de mesures physiques. Les organisations professionnelles agissent également auprès de leurs adhérents, à l’instar de l‘Union nationale des producteurs de granulats (UNPG), représentant les exploitants de carrières. « Nous incitons nos adhérents à avoir une approche globale du sujet poussières dans leur évaluation des risques, pour répondre aux objectifs environnementaux et ceux liés à la maîtrise des expositions professionnelles. Nous diffusons un guide de prévention, des fiches de bonnes pratiques… », remarque Olivier Mailloux, membre de la commission santé-sécurité de l’UNPG. « Les PME sont souvent en demande d’un accompagnement technique, juridique, ou pratique, explique pour sa part Sandra Rimey, secrétaire générale des Minéraux industriels France. En 2023, nous avons organisé un séminaire Nepsi, un réseau européen qui regroupe un certain nombre d'organisations sectorielles européennes de salariés et d’employeurs dans le but de promouvoir la diffusion de vidéos, guides, applications, supports de formation… L’occasion aussi pour les professionnels d’échanger sur leurs pratiques de prévention. »
Autre profession active, la boulangerie-pâtisserie, particulièrement touchée par les poussières de farine. En lien avec des équipementiers, l’Assurance maladie-risques professionnels et le Laboratoire national de la boulangerie-pâtisserie (Lempa) ont multiplié les actions qui, au fil des ans, ont contribué à l’évolution du matériel et à la réduction de l’exposition dans les fournils. En 2022, avec trois meuniers, le développement de farines de fleurage à faible indice de pulvérulence a été amorcé. Avec une même volonté d’innovation technique de rupture, des tests sont, depuis, réalisés sur des farines panifiables. « Le projet a rencontré un succès d’estime chez des boulangers confrontés à l’asthme professionnel », indique Arnaud Sorin, directeur technique des moulins Foricher, l’une des minoteries engagées. Aujourd’hui, des freins techniques et économiques subsistent. L’enjeu est de convaincre la profession qu’il y a peut-être, avec ce type de solution alternative, l’opportunité de trouver un nouveau souffle.
POUSSIÈRES ET RÉGLEMENTATION
Plus les poussières sont dangereuses, plus les règles de prévention à respecter pour protéger les travailleurs sont strictes. Au niveau réglementaire, des dispositions spécifiques sont prévues pour les poussières d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR). Des valeurs limites d’exposition professionnelle réglementaires contraignantes ou indicatives sont fixées pour certaines, comme les poussières de silice cristalline, de bois ou de plomb. « Dans les locaux de travail, il existe également des valeurs réglementaires de concentration dans l’air à respecter qui s’appliquent à tout type de poussières et qui sont fixées dans la partie ventilation du Code du travail, précise Bruno Courtois. Elles sont, en moyenne sur 8 heures, de 4 mg/m3 pour la fraction inhalable (poussières totales) et 0,9 mg/m3 pour la fraction alvéolaire. » Ces valeurs ont été abaissées en 2023 pour se mettre en conformité avec une recommandation de l’Anses de novembre 2019. Pour les mines et carrières, la valeur pour les poussières alvéolaires, qui s’applique en extérieur, reste fixée à 5 mg/m3.