Ce site est édité par l'INRS
Les poussières

Peinture d’avions : maîtriser le risque lié aux chromates

Pour protéger ses salariés des poussières chromatées, libérées notamment lors des phases de ponçage, l’entreprise Sabena Technics Toulouse, spécialisée dans la peinture d’avions, a mis en place une démarche alliant mesures organisationnelles et équipements de protection collective et individuelle.

5 minutes de lecture
Corinne Soulay - 02/05/2024
Lien copié
Un salarié de l'entreprise Sabena Technics ponce des éléments d'un avion.

Avenue Latécoère, rue Louis-Bréguet, Clément-Ader… Dans ce quartier de Cornebarrieu, bourgade de Haute-Garonne qui jouxte les pistes de l’aéroport de Toulouse, la toponymie, dédiée aux pionniers de l’aviation, donne le ton. La zone regroupe de nombreuses entreprises liées à l’aéronautique, parmi lesquelles Sabena Technics Toulouse – filiale indépendante du groupe de maintenance aéronautique Sabena Technics –, spécialisée dans la peinture d’avions. Chaque année, près d’une centaine de petits et gros porteurs, essentiellement des avions neufs d’Airbus, entrent ici dans le plus simple appareil – la tôle uniquement protégée d’une couche verte anti-corrosion –, pour en ressortir quelques jours plus tard, rutilants, bardés des couleurs des compagnies aériennes.

LES CHIFFRES

  • 150 employés dont 110 peintres, pour une moyenne d'âge de 32 ans. 
     
  •  750 avions ont été peints depuis l'ouverture du site en janvier 2015, dans les 4 hangars répartis sur un terrain de 10 000m2.
     
  • 10 à 12 jours et deux équipes de 14 personnes sont nécessaires pour peindre un A350 ; la peinture des petits porteurs prend 6 à 8 jours et mobilise deux équipes de 9 salariés en vacation matin et soir.

Une « mise en beauté » qui nécessite plusieurs étapes délicates. En premier lieu, l’avion est installé dans l’un des quatre hangars du site et encerclé d’imposants docks roulants, des plates-formes mobiles à garde-corps, capables d’atteindre une vingtaine de mètres de haut et de s’approcher à 20 cm du fuselage. La première phase consiste à poncer manuellement la surface de l’appareil, de manière à égrener la sous-couche, avant l’application de la peinture : d’abord une couche primaire, ocre, puis le plus souvent une blanche, suivie de diverses couleurs pour les écritures, le contour des hublots… et enfin le vernis. Entre ces différentes opérations, les salariés s’attellent à masquer et démasquer, à l’aide d’adhésif et de papier kraft, les zones de l’aéronef qui ne doivent pas être peintes. « C’est ce qui prend le plus de temps, confie le directeur général, Fabien Andral. Avec la ventilation, lorsque vous peignez au pistolet électrostatique, cela crée un nuage qui risque de polluer les surfaces à proximité. »

Objectif : atteindre des valeurs d'exposition aux CMR proches de 0

Ces étapes successives induisent différents risques. « Outre les chutes de hauteur ou de plain-pied, le point critique est le ponçage, souligne Nadège Pascaud, ingénieur-conseil à la Carsat Midi-Pyrénées. Car même s’il s’agit d’un égrenage superficiel – appelé brittage –, l’opération libère des poussières chromatées, en particulier du chrome VI, issues de la sous-couche primaire. » Or, ces substances sont classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques).

Vue d'ensemble d'un atelier de l'entreprise Sabena Technics.
Nos clients commencent à fournir des avions non chromatés, mais cela reste une minorité », explique Fabien Andral. Pour prévenir ce risque chimique, l‘entreprise a donc mis en place une démarche de prévention associant mesures organisationnelles et équipements de protection collective et individuelle. « C’est nécessaire car la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) pour les chromates est extrêmement basse – 0,001 mg/m3 – et pour assurer une bonne protection de ses salariés, l’entreprise doit atteindre 10 % de ces VLEP », pointe Didier Durrieu, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées.

Travailler en zone Atex

Cap sur le hangar SA4, construit en 2020 et dédié aux gros-porteurs (A330 et A350). Ici, pas de téléphone ni d’appareil photo, la zone est Atex (atmosphère explosive), un autre risque lié aux poussières, qui peuvent agir comme combustible. « Nous avons réalisé une évaluation des risques et prévu des mesures de prévention et de protection, comme l’utilisation de matériel adapté (malaxeur et ponceuses pneumatiques…). Tout est consigné dans le DRPCE », précise Maurane Barreaud, la responsable HSE.

Pour l’heure, les opérateurs terminent le ponçage d’un mastodonte de 77 mètres de long, et plus de 40 d’envergure. Dans la vaste salle, un léger souffle est perceptible, témoignage d’un système de ventilation qui renouvelle entièrement l’air en 10 minutes. Le principe ? Une gaine textile microperforée, qui court au milieu du plafond tout le long de la salle, et deux imposantes centrales de ventilation installées de part et d’autre de l’appareil, au niveau des ailes, qui soufflent de l’air chaud aspiré par le bas, à travers des grilles aménagées dans le sol. « Il faut trouver le juste équilibre pour la vitesse car lorsqu’on applique plusieurs épaisseurs de peinture, si on envoie de l’air chaud trop vite, la surface risque de sécher et des bulles de dégazage peuvent se former dessous et créer des imperfections », indique Fabien Andral.

Après le ponçage, le soufflage

Le hangar dispose en outre d’un système d’aspiration centralisée, auquel l’opérateur peut brancher sa ponceuse à n’importe quel endroit au niveau des docks. Résultat, les poussières sont aspirées à la source, filtrées, puis l’air épuré est rejeté à l'extérieur. Pour compléter l’arsenal, les salariés portent des EPI adaptés : une combinaison intégrale, des gants et une cagoule ventilée par un moteur accroché dans le dos, dont les filtres sont changés chaque semaine. Des conditions de sécurité qui satisfont Michel Josselin, chef d’équipe : « Quand j’ai débuté dans le métier il y a vingt ans, on faisait ça en t-shirt et avec un masque chirurgical. Avec ces équipements, ça change tout ! » Chaque année, des prélèvements atmosphériques sont réalisés : pour le SA4, les VLEP sont respectées.

Deux salariés de l'entreprise Sabena Technics en situation de travail.

Des résultats plus difficiles à obtenir dans les autres hangars, qui accueillent des avions plus petits (A320, A321) et ne disposent pas d’aspiration centralisée. Les opérateurs branchent alors leurs ponceuses à des aspirateurs. Dernièrement, les résultats des prélèvements ont nécessité la mise en place d’un plan d’action pour améliorer la protection des salariés. « Il y a deux moments critiques : la phase de ponçage en elle-même et la phase de soufflage, juste après, pour nettoyer les poussières résiduelles. Le problème, c’est que cela les remet en suspension », observe Maurane Barreaud. L’idée est donc de laver l’avion au jet d’eau. De nouveaux prélèvements ont été effectués avec ce nouveau procédé, à la fois atmosphériques et à l’intérieur des cagoules ventilées pour évaluer leur niveau de protection. L’entreprise est en attente des résultats.

Retour au SA4. Une fois le ponçage terminé, la prudence reste de mise. Dans un local dédié, doté d’une aspiration au niveau du sol, les opérateurs passent la souffleuse sur leur combinaison. Celle-ci est ensuite jetée dans une poubelle dédiée et les vêtements de travail mis au lavage. Un protocole nécessaire pour éviter de contaminer l’extérieur avec les poussières de chromates.

À TÂCHE EXCEPTIONNELLE, PROTOCOLE EXCEPTIONNEL

L’été dernier, Sabena Technics Toulouse s’est vu confier une mission inhabituelle : repeindre trois avions en reconversion, c’est-à-dire des aéronefs déjà peints, devant être transformés pour rejoindre la flotte d’une nouvelle compagnie. « Là, le ponçage n’est plus surfacique, il faut revenir à la tôle à nue donc poncer en profondeur, avec le risque de générer beaucoup plus de poussières toxiques », détaille Damien Denefeld, directeur des ressources humaines. L’entreprise a donc mis en place un protocole spécifique : les opérateurs bénéficiaient d’un appareil de protection respiratoire à adduction d’air, un équipement contraignant qui nécessitait de limiter son port à 20 minutes. D’autre part, les peintres ont dû appliquer une peinture primaire fortement chromatée. « Une campagne de prélèvements biologiques (tests urinaires) a été mise en œuvre par la médecine du travail, souligne le DRH. Les résultats des analyses, qui n’ont montré aucun problème, ont fait l’objet d’une restitution individuelle aux salariés et collective anonymisée, ainsi que de plusieurs réunions de la CSSCT sur le sujet. »

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les poussières

En savoir plus