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Travail à la chaleur

Anticiper les mesures de prévention en cas de fortes températures

Le travail en période de forte chaleur peut avoir des conséquences graves sur la santé des salariés, s’il n’est pas anticipé et des mesures de prévention mises en place. Le point avec le docteur Emmanuelle Peris, experte d’assistance médicale à l’INRS.

3 minutes de lecture
Delphine Vaudoux - 11/06/2024
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Vue d'un travailleur sur un chantier en situation de travail à la chaleur.

Travail & Sécurité. En milieu professionnel, à partir de quelle(s) température(s) doit-on prendre des mesures contre la chaleur ?

Dr Emmanuelle Peris. Il faut prendre des mesures à partir du moment où il y a un risque d’effets sur la santé. Et le seul critère de la température n’est pas suffisant. En effet, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte : la température de l’air sec, l’humidité et la vitesse de l’air, l’exposition au soleil, l’activité physique, le port de vêtements potentiellement isolants, le port d’équipement de protection individuelle (EPI), l’accès à l’eau des salariés, leur acclimatation… donc, on l’aura compris, on ne peut déterminer une température à partir de laquelle on devra agir. Cependant, en pratique, il est recommandé aux entreprises de mettre en place des moyens de prévention des ambiances thermiques à partir du moment où les salariés risquent d’être exposés… et avec le réchauffement climatique, on considère que toutes les entreprises sont concernées.

Peut-on néanmoins donner des ordres de grandeur ?

Dr E. P. On peut prendre comme valeur repère 28 °C pour un travail avec une activité physique et 30 °C pour un travail de bureau. Mais ce ne sont que des repères : au dessous de ces valeurs, on ne peut pas garantir l’absence de risques et, au-delà, la situation peut tout à fait être maîtrisée.

Certaines activités sont-elles plus concernées que d’autres ?

Dr E. P. Oui, celles pour lesquelles les salariés travaillent à l’extérieur, avec une charge physique, que ce soit sur des activités d’encadrement de sport, de loisir, du BTP… ou ceux qui travaillent à l’intérieur dans des locaux mal isolés ou mal ventilés, ou mal climatisés, ou encore ceux qui travaillent déjà dans des ambiances thermiques chaudes, comme en fonderie, en verrerie, dans la restauration, en blanchisserie…

Quels sont les risques pour les travailleurs ?

Dr E. P. Les travailleurs sont exposés à un sur-risque d’accident du travail, par baisse de la vigilance, des temps de réaction plus longs ou encore à cause des mains moites. Il y a aussi des effets sur la santé : des petits boutons, des œdèmes… des effets qui vont passer assez rapidement. Mais aussi d’autres plus graves comme des syndromes d’épuisement : les salariés vont transpirer normalement, évacuer leur sueur tout aussi normalement… le corps va ainsi lutter contre la chaleur. Mais si les pertes d’eau ne sont pas compensées, on va observer un syndrome d’épuisement, avec une sensation de malaise, une soif. Et si ce syndrome n’est pas pris en charge, il va évoluer vers le coup de chaleur qui constitue le syndrome le plus grave. Dans ce cas, la température corporelle dépasse les 40 °C et on peut observer des troubles neurologiques… ces patients pourront évoluer vers le décès ou bien avoir des séquelles. La prise en charge médicale est nécessaire et doit être extrêmement rapide.

Quelles sont les mesures de prévention qui peuvent être prises pour prévenir les risques liés aux périodes de forte chaleur ?

Dr E. P. Elles peuvent être collectives ou individuelles et peuvent – et je dirais même qu’elles doivent – être largement anticipées. Citons par exemple : installer une climatisation, mécaniser des tâches, organiser un ombrage sur un chantier, commander de l’eau ou des ventilateurs… En matière de prévention collective, on peut aussi anticiper les décisions que l’on prendra en période de forte chaleur, comme des modifications d’organisation du travail, le décalage des tâches les plus physiques aux plages de température plus fraîches, le aménagement des horaires de travail… on peut ainsi dire qu’on revoit l’organisation du travail tous les jours, en fonction de la météo, de la chaleur, et de l’exposition solaire des salariés. Au niveau individuel, les mesures de prévention vont surtout consister à bien informer les travailleurs des mesures mises en place, et de ce qu’ils peuvent et doivent faire en cas de forte chaleur. L’employeur doit aussi inciter les salariés à boire de l’eau souvent, par petite quantité ; à prendre des pauses à l’ombre ou dans des lieux climatisés ; à faire preuve de vigilance envers les collègues en cas de malaise, vomissement, maux de tête… Ils doivent savoir quoi faire en cas de signes évoquant un coup de chaleur chez un collègue.

On voit arriver sur le marché de nouvelles technologies pour « rafraîchir » les travailleurs, qu’en pensez-vous ?

Dr E. P. Des dispositifs tels que des serviettes rafraîchissantes, des gilets rafraîchissants faisant appel à plusieurs technologies sont effectivement disponibles… Ces mesures à caractère individuel peuvent compléter les actions initiées dans le cadre de la démarche de prévention des risques professionnels : elles ne peuvent cependant pas se substituer à une prévention collective, comme une adaptation de l’organisation du travail. Si on prend l’exemple des gilets rafraîchissants, ils semblent bien fonctionner sur l’astreinte thermique de travail, mais les études menées ne portent que sur un faible nombre d’observations.

A-t-on une idée du nombre de personnes victimes chaque année, en France, de coups de chaleur dans le cadre de leur travail ?

Dr E. P. D’après Santé publique France, pendant la période de surveillance (de juin à septembre), une dizaine d’accidents du travail mortels en lien possible avec la chaleur ont lieu chaque année. Mais attention, ces chiffres peuvent être sous-estimés et concernent uniquement les décès, ne rendant pas compte de l’ensemble des accidents et effets sur la santé.

UNE PRÉOCCUPATION AU NIVEAU MONDIAL

Selon un récent rapport de l’Organisation internationale du travail, le changement climatique a déjà un impact sur la sécurité et la santé des travailleurs dans toutes les régions du monde et les mesures existantes en matière de sécurité et de santé au travail peinent à faire face aux risques associés. En particulier, il estime que plus de 2,4 milliards de travailleurs, soit 70,9 % de la main-d’œuvre mondiale, sont susceptibles d’être exposés à une chaleur excessive pendant leur travail. Le rapport note en outre de nombreux problèmes de santé liés au changement climatique chez les travailleurs, notamment certains cancers, des maladies cardiovasculaires, respiratoires, rénales ou encore des problèmes de santé mentale. Par exemple, 1,6 milliard de personnes sont susceptibles d’être exposées à la pollution de l’air sur leur lieu de travail, accentuée par le déréglement climatique, ce qui entraîne chaque année jusqu’à 860 000 décès parmi les travailleurs en extérieur. De même, 15 000 décès annuels sont liés au travail en raison de l’exposition à des maladies parasitaires et à transmission vectorielle, dont, là encore, la propagation est liée aux modifications du climat. En outre, 1,6 milliard de travailleurs sont exposés aux rayons UV, avec plus  de 18 960 décès liés au travail chaque année en raison d’un cancer de la peau sans mélanome.

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