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Les horaires atypiques

Logistique : un changement d'horaire pour réduire la fatigue des salariés

À la faveur de la création d’un nouveau centre de distribution, les salariés de la base logistique du groupe Colruyt, à Choisey (Jura), ont vu leurs conditions de travail s’améliorer avec, en particulier, un changement de leur rythme de travail décalant l’horaire de prise de poste de 4 heures à 6 heures du matin.

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Corinne Soulay - 05/06/2024
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Vue d'une situation de travail à la préparation de commande chez Colruyt.

Parking spacieux, peinture rutilante, allées immaculées… Inaugurée en juin dernier, la base logistique du groupe de grande distribution Colruyt, à Choisey, dans le Jura, est encore flambant neuve. Le bâtiment de 24 000 m2, doté d’une cinquantaine de quais, vient s’ajouter aux deux autres entrepôts hexagonaux de l’enseigne belge, celui de Gondreville, en Meurthe-et-Moselle, et celui de Rochefort-sur-Nenon, à une quinzaine de kilomètres de là. « Ce dernier était arrivé à saturation, explique Christophe Achard, le directeur supply chain de Colruyt. Désormais, la base de Choisey abrite 100 % de l’activité frais pour le national (100 magasins), les produits secs à forte rotation ainsi qu’une grande partie des fruits et légumes, et celle de Rochefort ne stocke plus que les produits secs nécessitant une moindre rotation. »

Ce déménagement participe d’un vaste programme dédié à la logistique, initié par le groupe en 2019. « L’objectif était de concevoir différemment les zones de picking, ce qui nécessitait plus de place et de créer de nouveaux centres de distribution, mais aussi de repenser l’activité, en travaillant sur la question de la pénibilité, car nous avions une sinistralité élevée », souligne Jordi Gonzalez, le chef du service qualité hygiène sécurité (QHS).

Dans ce cadre, le projet de Choisey a été présenté à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. « Nous avons insisté sur la prise en compte des interventions ultérieures sur ouvrage ainsi que sur les circulations extérieures afin de réduire les risques d'accidents entre les différents flux sur le site : poids lourds, véhicules légers, piétons, flux des déchets », précise Richard Faivre, contrôleur de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté.

Une entreprise ciblée TMS Pros

Pendant cette période, l’entreprise a également été suivie dans le cadre du programme TMS Pros de l’Assurance maladie-risques professionnels, ce qui a permis de repérer et d'étudier des situations contraignantes, notamment sur les postes de préparation, et de prévoir leur amélioration. L’occasion aussi de réaliser des changements organisationnels importants, parmi lesquels la modification des horaires de travail.

Jusqu’à présent, deux équipes de jour travaillaient en alternance, matin et après-midi, avec une prise de poste à 4 heures du matin pour le premier créneau. « Cela signifiait un réveil vers 2 h 45 pour la plupart des collaborateurs, ce qui ne respecte pas la physiologie de l’organisme, relève Christophe Achard. Nous avons travaillé sur le sujet avec le service de prévention et de santé au travail pour changer cela, d’autant qu’à l’époque notre pyramide des âges comportait beaucoup de salariés en fin de carrière, et l’alternance hebdomadaire, dans ces conditions, devenait difficile pour eux. » Des échanges qui ont abouti à reporter l’horaire de démarrage à 6 heures du matin. Un rythme effectif depuis novembre 2023.

UNE SINISTRALITÉ EN BAISSE

Depuis 2019, les efforts de l’entreprise en matière de prévention – notamment sur la réduction des troubles musculosquelettiques, à travers le programme TMS Pros de l’Assurance maladie-risques professionnels – ont permis de faire baisser le taux de fréquence ((nombre d'accidents en premier règlement/heures travaillées) x 1 000 000) e l’enseigne. En magasins, celui-ci a diminué de 27 % en cinq ans, passant de 42,15 à 30,90. Mais parallèlement, le taux de gravité ((nb des journées perdues par incapacité temporaire/heures travaillées) x 1 000) a augmenté de 1,65 à 1,85. En logistique, le taux de fréquence a presque été divisé par deux, passant de 137,98 à 74,8, et le taux de gravité de 4,39 à 3,85. Pour autant, pour ces deux derniers indicateurs, les chiffres restent au-dessus de la moyenne nationale. « Nous allons dans le bon sens, mais il y a toujours des choses à faire », concède Christophe Achard, le directeur supply chain chez Colruyt.

Au secteur des produits frais, où la température avoisine 3 °C, Yoann Monnin, coordinateur, n’y voit que des avantages : « Je suis beaucoup moins fatigué. Ici, on cumulait réveil en pleine nuit et conditions thermiques difficiles. Avant, vers 9 h, j’avais systématiquement un gros coup de fatigue, ce qui n’est plus le cas. Et je n’éprouve plus le besoin de faire la sieste non plus. J’ai gagné du temps pour moi. » Dans cette zone, les conditions de travail ont également été améliorées avec l’installation d’aérothermes dernier cri. Le bruit a été réduit ainsi que les mouvements d’air.

Un effet bénéfique sur le risque routier

« Ces avancées se combinent aux nouveaux horaires et augmentent l’impact positif sur la pénibilité et la fatigue, assure Jordi Gonzalez. C’est d’autant plus bénéfique pour les postes qui demandent une vigilance accrue. » Après avoir prélevé les produits frais dans les allées, les opérateurs déplacent leur chariot roll isotherme dans une zone spécifique, où un autre collaborateur prend le relais. Armé d’une perche, celui-ci injecte du CO2 dans l’enveloppe du chariot afin de former de la glace carbonique qui garantira le respect de la chaîne du froid. Une tâche qui exige justement de la concentration.

Dans le secteur du chargement, au volant de son chariot élévateur, Cyril Mairet, un opérateur polyvalent, pointe aussi l’intérêt du changement de rythme sur le risque routier : « Avant, j’avais 26 km à faire sur des petites routes à 3 h 30 du matin. Il fallait vraiment être vigilant. Aujourd’hui, je dors davantage et, en plus, le nouvel entrepôt est deux fois plus près de chez moi que l’ancien. »

Vue d'une situation de travail dans un entrepôt Colruyt.

À l’opposé du bâtiment, dans la zone de réception des marchandises, c’est l’intensité du travail qui a diminué. Les nouveaux horaires ont été assortis d’une nouvelle organisation : un « portier », installé à l’entrée du site, est désormais chargé de réguler l’arrivée des camions, afin d’éviter les engorgements, habituels auparavant, en particulier à la prise de poste, et qui pouvaient être stressants pour les salariés.

Si, pour l’heure, l’impact de ce changement d’horaire sur la sinistralité n’a pas été établi, globalement, il permet de créer un environnement plus propice à la sécurité des travailleurs, selon Anne-Laure Tazet, la conseillère QHS : « Il y a moins d’absentéisme et de retard à la prise de poste, donc les salariés ne manquent plus le brief du chef d’équipe où sont abordés des points de sécurité. D’autre part, les fonctions supports – managers, service QHS, RH… – et les opérateurs se retrouvent plus ou moins sur le même rythme, donc ils se croisent davantage. »

Sur les 200 salariés de l’entrepôt, 35 continuent néanmoins de travailler en horaires atypiques : l’équipe de nuit, qui opère de 21 h 40 à 5 heures. En matière de sécurité au travail, ils reçoivent les mêmes informations que les équipes de jour, notamment les flash sécurité, organisés en cas d’accident du travail (rappel des faits, des causes et des actions mises en œuvre). Mais des mesures d’accompagnement supplémentaires sont prévues, notamment une formation spécifique pour sensibiliser aux bonnes pratiques en matière de gestion du sommeil et d’hygiène de vie, afin de limiter les effets délétères de ces horaires décalés.

EN MAGASINS, LE TRAVAIL SE FAIT DE JOUR

Créée dans les années 1960, la chaîne de supermarchés belge Colruyt a traversé la frontière en 1997, implantant son premier magasin hexagonal à Pontarlier, dans le Doubs. Depuis, une centaine d’autres ont ouvert, majoritairement dans l’est de la France, associés à trois bases logistiques, ce qui correspond au total à plus de 3 200 salariés. Concernant les horaires atypiques, l’enseigne a conservé une particularité liée à son origine, comme en témoigne Jordi Gonzalez, le chef du service QHS : « Dans nos magasins, aucun de nos collaborateurs ne travaille de nuit, comme cela se fait souvent dans la grande distribution. La mise en rayon ou même le travail des artisans boulangers… tout se fait en journée, au plus tôt à partir de 6 heures et au maximum en présence des clients. C’est un marqueur de notre identité, une organisation héritée de nos magasins belges que j’ai toujours vu fonctionner ainsi. »

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