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Les horaires atypiques

Privilégier le travail en journée pour les agents de propreté

Depuis neuf ans, le groupe de nettoyage Candor, en Normandie, s’attelle à convaincre ses clients d’accueillir les agents de propreté en journée, et non tôt le matin ou tard le soir, comme c’est l’usage dans le secteur. Avec, à la clé notamment, moins de fatigue et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle pour les équipes.

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Corinne Soulay - 05/06/2024
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Une salariée de l'entreprise Candor en situation de travail.

Se lever à 4 heures, rouler en pleine nuit pour prendre son poste à 5 heures, nettoyer des bureaux vides pendant 3 heures, sans jamais croiser personne, puis rentrer chez soi, pour recommencer éventuellement le même cycle, dans une autre entreprise, en fin de journée… Fatou (l’entreprise n’a pas souhaité communiquer les noms de famille) est agent de propreté. En 33 ans de métier, elle a expérimenté le travail en horaires décalés, largement majoritaire dans le secteur. Mais depuis qu’elle est salariée chez Candor, en Normandie, son rythme a changé.

Ce vendredi matin, c’est à 9 heures qu’elle pousse les portes du siège du groupe qui l'emploie - en tant que salariée de Candor, elle effectue le ménage à la fois chez des entreprises clientes du groupe mais aussi au siège de Candor - à Val-de-Reuil, dans l’Eure, où elle est chargée de nettoyer quotidiennement les bureaux, sanitaires et parties communes du premier étage. Deux heures plus tard, elle enchaînera sur une autre mission de trois heures, dans une société du tertiaire, cliente de Candor. Un réveil plus tardif, pas de coupure en journée… Fatou est ravie. « J’ai six enfants, explique-telle. Avec ce rythme, j’ai le temps de les voir le matin, de préparer et partager le petit déjeuner avec eux et je suis à leur côté le soir. » Avec un temps de sommeil rallongé et une réduction des trajets, l’agent de propreté se sent aussi moins fatiguée.

Chez Candor, le cas de Fatou n’est pas une exception. Depuis neuf ans, le groupe s’attache à convaincre ses clients – des entreprises du tertiaire mais aussi des établissements de santé, des industries… – d’accueillir les agents de propreté dans leurs locaux aux horaires standards. Une persévérance qui vaut à Candor d’être nommée « ambassadrice travail en journée » par la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP).

Objectif ? Améliorer les conditions de travail des agents de propreté afin de réduire le turnover, important dans le secteur. « La possibilité d’enchaîner plusieurs missions, en continu, dans la journée, permet notamment, pour celles et ceux qui le souhaitent, de passer d’un temps partiel à un temps complet, avec une hausse du pouvoir d’achat, argue Jean-Philippe Daull, dirigeant du groupe Candor. Sans compter les bénéfices sur la qualité de vie, en particulier un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. » Autant de leviers pour fidéliser les salariés, dans une profession où beaucoup cumulent plusieurs employeurs.

Des travailleurs invisibles qui sortent de l'ombre

Mais difficile de faire bouger les lignes : « Il y a beaucoup de réticences côté clients car, culturellement, les agents d’entretien sont des opérateurs de l’ombre. On n’a pas l’habitude de les voir. Beaucoup de clients redoutent la coactivité, pensent qu’ils vont être dérangés dans leur travail. Mais, en réalité, dans la plupart des cas, cela peut être mis en place sans problème. » À entendre les éclats de rire qui fusent du bureau au bout du couloir, où Fatou s’active, spray et chiffon à la main, la cohabitation peut même se révéler chaleureuse.

« On échange quelques mots, c’est convivial, acquiescent Anaïs, Angélique et Marie-Blandine, assistantes du service paie et occupantes des lieux. Et puis, si on a un besoin particulier, on peut lui demander directement. La communication est plus fluide que si on ne se voyait jamais. » En horaires décalés, les demandes spécifiques ou commentaires se font généralement via un cahier de liaison, un outil plus impersonnel et parfois moins efficace car certains agents de propreté peuvent présenter des difficultés de lecture. De son côté, Fatou apprécie aussi ces interactions sociales : « Tu parles avec les gens, tu vois du monde, c’est agréable. »

LA BRANCHE S’ENGAGE

Depuis 2008, la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP) a lancé différentes actions afin de développer le travail en continu/en journée dans le secteur. Elle a notamment nommé sept « ambassadeurs » sur toute la France, dont fait partie le groupe Candor. La branche met aussi à la disposition des entreprises et de leurs clients des ressources pour favoriser le changement. Boîte à outils pédagogiques, accompagnements sur mesure des entreprises et des clients, formations… L’occasion de rappeler les étapes nécessaires à la mise en place d’une telle organisation : d’abord, prendre le temps d’expliquer la démarche côté clients et côté agents, en associant ces derniers au projet, mener une étude de faisabilité conjointe avec le client (élaboration des objectifs, étude du rythme du site, construction d’un plan d’intervention…) puis mettre en œuvre la nouvelle organisation et prévoir un suivi (bilan à trois mois auprès du client et des agents, évaluation des effets sur le turnover, l’absentéisme…).

« Il y a une reconnaissance, un sentiment d’utilité, cela donne du sens au travail, contrairement aux agents qui opèrent tôt le matin ou tard le soir, qui sont parfois apparentés à des travailleurs isolés », renchérit Émilie Schapman, la directrice qualité sécurité environnement (QSE) du groupe. D’autre part, la plupart des agents se déplaçant en transports en commun, les trajets en horaires décalés s’avèrent souvent plus compliqués et chronophages, avec des trains et bus circulant moins fréquemment qu’en journée. « Et cheminer à pied, seul ou seule dans la nuit, dans des zones industrielles parfois reculées, peut s’avérer anxiogène », ajoute la directrice QSE.

Une implication de toutes les parties pour une coactivité sans accroc

Les avantages du travail en journée sont donc légion. Reste qu’instaurer ce rythme ne s’improvise pas : si on veut que la coactivité se déroule sans accroc, cela nécessite une implication de toutes les parties. « Avant de mettre en place la prestation, nous travaillons en amont avec le client pour évaluer précisément l’activité dans ses locaux afin de repérer les différentes tâches à réaliser, mais aussi les périodes les plus propices pour faire intervenir l’agent de propreté et répartir son activité en conséquence », détaille Nathalie, une responsable clientèle.

Vue d'une situation de travail dans une entreprise.

Le lundi, par exemple, c’est le jour des réunions au siège de Val-de-Reuil. Certains bureaux sont bondés, Fatou réserve donc leur nettoyage pour le vendredi, où l’activité est plus calme. De même, dans l’entreprise où elle doit se rendre vers 11 heures, elle commencera à passer l’aspirateur sur le temps du déjeuner pour que le bruit ne gêne pas l’activité.

Salles de réunion, bureaux, sanitaires, couloirs… La mission de Fatou touche justement à sa fin, elle s’apprête à rejoindre son prochain lieu de travail. « J’en ai pour seulement cinq minutes en voiture, c’est tout près », se réjouit-elle. Un autre paramètre organisationnel qui ne doit rien au hasard. « Nous faisons en sorte que les agents opèrent sur une même zone géographique afin de limiter au maximum les temps de trajet, cela contribue aussi aux bonnes conditions de travail », souligne Émilie Schapman.

En neuf ans, l’entreprise Candor a réussi à convaincre près de 30 % de ses clients d’opter pour des prestations en journée. « Tous ceux qui ont fait ce choix sont satisfaits, et aucun n’a souhaité revenir aux horaires décalés. Nous continuons nos efforts, cela va prendre du temps, mais on ne fera pas machine arrière », conclut Jean-Philippe Daull.

CANDOR EN CHIFFRES

  • 2 400 salariés travaillent pour le groupe. Une très grande majorité sont des femmes (80 %), à l’image de la proportion nationale dans le secteur de la propreté. La moyenne d’âge est de 45 ans.
  • Le chiffre d’affaires 2023 s’élève à 45 millions d’euros.
  • 3 000 clients bénéficient des prestations du groupe : un quart sont des entreprises du tertiaire, un quart des copropriétés, un quart des entreprises liées à la santé (industrie pharmaceutique, hôpitaux…). Le dernier quart se répartit entre des industries, des sociétés de transports et de logistique, la grande distribution…
  • 30 % des clients ont opté pour le travail en journée.
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