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Les horaires atypiques

Smovengo et la Cramif collaborent pour améliorer les conditions de travail

Smovengo a en charge la gestion et la maintenance des Vélib’, le réseau de vélos en libre-service de Paris et sa proche banlieue. Chaque nuit, ses agents sillonnent la capitale pour s’assurer que les stations sont bien remplies et récupérer les cycles à réparer. Un travail en horaires atypiques qui a connu des améliorations grâce à la collaboration de l’entreprise avec la Cramif.

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Corinne Soulay - 05/06/2024
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Un salarié de l'entreprise Smovengo en situation de travail.

Lorsque vient le mois d’avril, à Paris, la capitale se met à l’heure de printemps : les squares se parent de cerisiers en fleurs, les cafés déploient leurs terrasses… et les Parisiens enfourchent les Vélib’. « Il y a une saisonnalité, avec des pics d’utilisation aux beaux jours, confirme Maximilien Thille, directeur adjoint des opérations de Smovengo, l’opérateur de Vélib’ Métropole, le réseau de vélos en libre-service de la ville de Paris et des communes alentour. Au printemps et en été, on peut compter jusqu’à 180 000 courses quotidiennes. »

En coulisse, cela nécessite une mécanique bien huilée : des équipes fixes, de jour et de nuit, en provenance de deux sites – Alfortville (Val-de-Marne) et Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) –, se relaient pour que les stations les plus plébiscitées ne se retrouvent pas à court de vélos et pour assurer la réparation et le remplacement des cycles défectueux.

Dès la prise du marché en 2018 par Smovengo, la Cramif, qui avait accompagné l’opérateur précédent sur la prévention des risques professionnels, a suivi de près la nouvelle organisation et alerté l’entreprise sur les risques liés au travail de nuit en lien avec la conduite. D’autant qu’au départ, les équipes enchaînaient six nuits d’affilée, un jour de repos, puis quatre nuits et trois jours de repos, avec tous les dimanches travaillés. Un rythme intense, rapidement remis en cause par les salariés.

Dans le cadre d’une démarche participative entre la direction et les salariés, deux équipes de nuit ont donc été mises en place, l’une opérant du lundi au jeudi et la seconde du vendredi au dimanche. « Nous recommandons d’éviter le travail de nuit dès que c’est possible, note Philippe Beslot, le contrôleur de sécurité qui suivait à l’époque l’entreprise pour la Cramif. Mais comme, contractuellement, le travail de nuit était prévu dans le cadre du marché public, et que ces nouveaux horaires étaient issus d’un consensus social et remportaient l’adhésion des salariés, il était difficile de modifier cette nouvelle grille horaire pour réduire les amplitudes de travail de nuit. »

Études chronobiologique et création d’un poste de responsable HSE

À la demande du contrôleur de sécurité, l’entreprise fait néanmoins réaliser une analyse théorique de ces nouveaux horaires par un cabinet spécialisé dans la chronobiologie. Un complément d’étude est aussi mené, comprenant des évaluations qualitatives du risque de somnolence et du niveau de vigilance, ainsi que des entretiens avec des salariés. Conclusion : la nouvelle grille est bien perçue par les agents, comparativement aux anciens horaires.

En 2019, la création d’un poste de responsable HSE (hygiène, sécurité, environnement) chez Smovengo permet aussi au contrôleur d’approfondir la collaboration. « D'un côté, la sinistralité augmentait et, d'un autre, la direction envisageait de changer les véhicules et les remorques. C’était le bon moment pour réaliser un diagnostic sur les troubles musculosquelettiques, se remémore Philippe Beslot. Notre but était d’avancer sur ce sujet, mais aussi de proposer une démarche de prévention globale, qui intègrerait les risques liés aux horaires de nuit. »

Menée fin 2020, l’étude ergonomique inclut des observations de terrain et met en lumière plusieurs enseignements. Chaque nuit, un agent parcourt en moyenne 200 km et manutentionne l’équivalent de plus de trois tonnes de vélos. À l’époque, les deux modèles de camions utilisés sont imposants : ils mesurent respectivement 8,90 m de long et plus de 10 m, une fois la rampe descendue.

Résultat : des difficultés pour stationner les véhicules et intervenir en sécurité. Les agents ont tendance à porter à bout de bras les vélos pour les transférer par le côté de la remorque plutôt que d’utiliser la rampe prévue à cet effet. « Or, la charge physique accompagnée d’un travail en horaire atypique augmente la fatigue, rappelle Françoise Hervé, contrôleuse de sécurité à la Cramif. Ce qui entraîne une baisse de la vigilance avec de longues distances à parcourir et, par conséquent, une augmentation du risque routier. » La nuit est aussi plus propice aux agressions.

Un salarié de l'entreprise Smovengo en situation de travail.

L’étude relève également des désagréments liés au logiciel d’intelligence artificielle qui programme les trajets. « Il ne s’adaptait pas aux réalités de terrain, pointe Françoise Hervé. Il ne tenait pas compte de l’état de la circulation ou envoyait parfois les agents dans des stations éloignées alors que, sur leur chemin, ceux-ci observaient des stations vides ou des Vélib’ à réparer, sans pouvoir intervenir sur le logiciel pour modifier leur parcours. Cela engendrait une perte de sens pour certains agents expérimentés. »

De cette analyse complète, l’ergonome de la Cramif tire plusieurs pistes d’actions. En particulier, elle élabore un cahier des charges détaillé pour l’achat des nouveaux véhicules. Celui-ci est ensuite finalisé avec l’entreprise. « Le nouveau camion a été testé durant un trimestre par les équipes, cela a permis de prendre en compte les remontées de terrain et de prévoir des ajustements avant commande », remarque Maximilien Thille. Ainsi, par exemple, le sol de la remorque était lisse et des flaques se formaient en cas de pluie : le fabricant a pu rectifier ce point en créant des perforations dans le métal afin que l’eau ruisselle et que les chaussures accrochent davantage.

Des camions plus ergonomiques

Alors que le ciel affiche un camaïeu de rose annonçant le coucher du soleil, à Alfortville, Jean-Didier Kautick, salarié de Smovengo depuis six ans, charge son véhicule de Vélib’ récemment réparés, prêts à réintégrer les stations. Premier constat, le camion est moins encombrant que les anciens modèles et sa remorque est désormais pourvue d’un garde-corps, qui non seulement protège le salarié des chutes de hauteur lorsqu’il se trouve dessus, mais l’empêche également de transférer directement les vélos de la rue à la remorque. Un cycle dans chaque main, l’agent polyvalent d’exploitation les achemine donc par la rampe, en les faisant rouler, sans les porter. Autre avancée, le camion est doté d’un système de lumières qui permet, lorsqu’il est à l’arrêt, d’éclairer l’arrière du véhicule et les stations à proximité pour travailler en sécurité. Un écran à l’arrière exhorte aussi les automobilistes à la patience. « Le gros plus, c’est la boîte automatique, confie Jean-Didier Kautick. C’est beaucoup moins fatigant que de conduire avec une boîte manuelle. Et il y a une caméra de recul pour faciliter les manœuvres. »

Des mesures organisationnelles ont aussi été prises pour optimiser les trajets et réduire le risque routier. Les zones d’intervention sont désormais sectorisées, les agents des Hauts-de-Seine s’occupant du nord de Paris et ceux du Val-de-Marne du sud. Les opérations les plus sollicitantes, à savoir « l’injection », la dépose en station des vélos réparés, et le « ramassage », qui consiste à récupérer les cycles détériorés pour les ramener au dépôt où ils seront pris en charge par l’atelier, sont planifiées en début de nuit. « Nous réservons la “régulation”, le fait de rééquilibrer les stations en allégeant celles qui sont pleines et en complétant celles qui manquent de vélos, en fin de nuit, lorsque le salarié est plus fatigué, car cela demande moins d’effort », détaille Maximilien Thille.

Un salarié de l'entreprise Smovengo en situation de travail.

Un nouveau logiciel, plus adapté à l’activité, a aussi été adopté et un « data analyste » est chargé d’optimiser l’outil en intégrant les contraintes réelles du travail. Armé de son téléphone, Jean-Didier Kautick visualise la première adresse où il doit se rendre. Il n’a plus qu’à cliquer sur l’onglet GPS, pour connaître le trajet le plus court en fonction des conditions du trafic. Cap sur le XIVe arrondissement, 133, rue Didot. Vingt-cinq minutes plus tard, l’agent est arrivé à destination. Garé en double-file pour stationner au plus près de la station, il commence par sécuriser sa zone d’intervention à l’aide d’un cône de signalisation réfléchissant, puis descend la rampe et achemine un à un les vélos vers leur borne en forme de diapason. À peine a-t-il terminé de remplir la station que trois utilisateurs se ruent sur des vélos à assistance électrique… La tournée recommence. La mission : remplir la remorque de vélos et retourner au dépôt où ils seront réparés en journée dans l’atelier.

Prochaine étape, avenue de la Porte-de-la-Plaine, XVe arrondissement, à moins de 2 km, pour en récupérer deux. « Le nouveau logiciel permet de rayonner sur une zone restreinte, souligne Azeddine Bentefrit, responsable exploitation de nuit. L’idée est de mieux organiser les trajets et de permettre aux agents de faire une pause dans une salle de repos où ils seront mieux que dans leur camion. »

Des salariés sensibilisés au travail de nuit

Une roue voilée, un guidon abîmé : ici, les vélos sont faciles à déloger de leur borne. Pour l’opérateur, la procédure, bien rodée, ne prend que quelques minutes. Troisième arrêt, à seulement 400 m. Cette fois, Jean-Didier Kautick doit utiliser du matériel adapté pour retirer le vélo. Mais l’opération se fait sans stress : l’agent a pu garer son véhicule sur une place sécurisée, donc il ne gêne pas la circulation. « Chaque arrondissement a ses avantages et ses inconvénients, nous confie-t-il. Dans le XVe, les artères sont larges et il y a souvent de la place pour se garer, tandis que dans le centre de Paris, les rues sont étroites, mais les stations très rapprochées et nous sommes plus près du dépôt. » Pas le temps de s’appesantir, le camion redémarre…

De 20 h 30 à 0 h 30, son premier retour au dépôt, le début de nuit se sera déroulé sans encombre. « On est parfois exposé à des conflits en station, mais nous sommes formés pour abandonner la mission à la moindre suspicion avant de sortir du véhicule et, dans le nouveau logiciel, les stations à risque sont bloquées la nuit. On n’y va pas, cela limite les problèmes. »

« Deux référents biorythmes ont été formés afin de sensibiliser les salariés aux rythmes circadiens et aux effets du travail de nuit sur la santé. »

Autres améliorations apparues à la suite des deux études, chronobiologique et ergonomique, deux référents biorythmes ont été formés afin de sensibiliser les salariés aux rythmes circadiens et aux effets du travail de nuit sur la santé. Pour compléter le dispositif, Maximilien Thille, ancien responsable QSE (qualité, sécurité, hygiène), a créé un livret à destination des nouveaux embauchés. Au sommaire, les mesures à adopter avant, pendant, après les nuits de travail et pendant ses jours de repos, en termes d’habitudes de sommeil, d’alimentation, d’hygiène de vie, de siestes… L’entreprise s’est également dotée de trois animateurs QSE pour développer une culture de prévention et se dit à l’écoute des demandes de mobilité des salariés qui souhaiteraient passer à une activité diurne.

EN CHIFFRES

  • 15 ans, c’est la durée du contrat qui lie Smovengo et le syndicat Autolib’ et Vélib’ Métropole, l’entreprise ayant remporté en 2017 l’appel d’offres du marché de vélos en libre-service sur un vaste territoire qui regroupe la Ville de Paris, la Métropole du Grand Paris et 60 communes limitrophes.
  • 20 000, c'est le nombre de vélos en circulation que visait l'entreprise pour le premier trimestre 2024. La flotte étant composée de 60% de modèles mécaniques et 40% de vélos à assistance électrique.
  • 1 475 stations Vélib’ sont réparties sur Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. En période de forte affluence, le nombre d’utilisations par jour et par vélo oscille entre 7 et 15.
  • Près de 5 millions de trajets sont réalisés chaque mois à Vélib’.
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