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Les horaires atypiques

Travail de nuit, en décalé, le week-end... Comment limiter les impacts sur la santé ?

Les effets négatifs sur la santé physique et mentale des horaires atypiques sont de mieux en mieux connus. Si l’action de prévention la plus efficace consiste à réorganiser l’activité pour instaurer des horaires standards en journée, le changement n’est pas toujours possible. Dans ce cas, des mesures, notamment organisationnelles, s’imposent pour limiter les conséquences délétères.

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Un salarié en situation de travail de nuit.

Quel est le point commun entre un boulanger qui débute à 5 heures du matin, week-end compris, un pizzaiolo dont les journées de travail sont coupées 4 heures dans l’après-midi, une infirmière qui enchaîne les gardes de nuit ou l’opératrice d’une plate-forme logistique en 3 x 8 ? Les secteurs sont différents, les activités diverses, mais toutes ces personnes travaillent en horaires atypiques. L’expression s’applique aux postes qui sortent du cadre des horaires standards – qui se définissent par le fait de travailler en journée, entre 7 heures et 20 heures, en semaine, avec une pause méridienne et deux jours consécutifs de repos le weekend. Sont donc concernés par cette appellation le travail de nuit et le travail posté en équipes alternantes (3 x 8, 5 x 8…), le travail le samedi et/ou le dimanche, mais aussi les activités fractionnées, les grandes amplitudes horaires (journée ou nuit de 12 heures), le travail matinal (avant 7 heures) ou tardif (après 20 heures)…

Des modalités de travail expérimentées par bon nombre de Français : selon la Dares, 45 % des salariés travaillent en moyenne au moins une fois, sur une période de quatre semaines, en horaires atypiques. Le plus répandu (36 %) étant le travail du samedi. Un quart des salariés travaillent le soir, un sur cinq le dimanche et 10 % de nuit. D’après l’Institut national d’études démographiques (Ined), si le travail du soir et de nuit a légèrement reculé entre 2013 et 2019, celui du samedi, du dimanche et du matin (de 5 à 7 heures) a augmenté pour certaines catégories de salariés, en particulier les femmes, qui sont désormais proportionnellement plus nombreuses que les hommes à travailler en horaires atypiques.

Parmi les secteurs d’activité recourant le plus souvent à ces organisations, ceux qui assurent la continuité de la vie sociale, comme l’hôtellerie-restauration, le commerce ou le transport-entreposage sont les principaux, ainsi que les salariés de la fonction publique chargés de la protection et la sécurité des personnes ou encore de la permanence des soins.

Travail de nuit : des effets bien connus

Quelles sont les conséquences de tels rythmes sur la santé et la sécurité des travailleurs ? Le niveau de connaissances diffère selon le type d’organisation. Les plus étayées concernent le travail de nuit et le travail posté, qui ont fait l’objet d’une expertise de l’Anses en 2016. « L’homme est fondamentalement rythmique et diurne, explique Laurence Weibel, experte d’assistance médicale à l’INRS. Nous sommes programmés pour vivre le jour et dormir la nuit. L’alternance lumière-obscurité joue un rôle majeur dans la synchronisation des horloges biologiques internes qui régulent de nombreux phénomènes physiologiques comme notre sommeil, notre digestion, les sécrétions hormonales… Or, lorsqu’on travaille de nuit, on est exposé de manière anarchique et irrégulière à la lumière du jour, ce qui entraîne une désynchronisation de nos horloges biologiques qui, associée à une dette de sommeil, va avoir des effets sur la santé. »

Vue d'ensemble d'un chantier de nuit.

Le travail de nuit et le travail posté sont ainsi reconnus comme facteurs de pénibilité. Outre des conséquences immédiates (troubles de la vigilance, somnolence et augmentation de l’accidentologie…), on note des effets à moyen terme comme des troubles du sommeil, une fatigue chronique, ou encore des problèmes de mémorisation et de concentration, et des répercussions à plus long terme. Le risque de développer un syndrome métabolique est avéré, et l’activité nocturne pourrait entraîner anxiété et dépression, diabète, maladie cardiovasculaire, cancer... Une étude de l’Inserm publiée en 2018 montre ainsi que les femmes non ménopausées, exposées au travail de nuit, présentent 26 % de risque en plus de développer un cancer du sein.

DES FACTEURS DE PÉNIBILITÉ INCLUS DANS LE C2P

Six facteurs de risques professionnels ouvrent des droits au titre du compte professionnel de prévention (C2P), à condition de dépasser des seuils annuels minimums d’exposition. Parmi eux, le travail de nuit, si le salarié est actif une heure entre minuit et 5 heures au moins 100 nuits par an, et le travail en équipes successives alternantes (5 x 8, 3 x 8, etc.), si celui-ci implique au minimum 1 heure de travail entre minuit et 5 heures, au moins 30 nuits par an. Les salariés concernés doivent faire l’objet de déclarations spécifiques nominatives de la part de l’employeur, dans le cadre de la déclaration sociale nominative (DSN), auprès de la Carsat, Cramif, CGSS qui administre les comptes individuels professionnels de prévention. En fonction des facteurs de risques auxquels il est exposé, le salarié cumule chaque année, au cours de sa vie professionnelle, des points qui peuvent être mis à profit pour quatre utilisations : financer une formation pour accéder à un poste moins ou non exposé, bénéficier d’un départ anticipé à la retraite à taux plein, disposer d’un travail à temps partiel avec maintien de rémunération ou financer un projet de reconversion professionnelle.

En entreprise, l’évaluation des risques doit donc prendre en compte ces horaires atypiques et conduire à la mise en place de mesures de prévention adaptées. Selon le Code du travail, le recours à une telle organisation doit être exceptionnel et justifié. Première solution à privilégier, donc : supprimer le travail de nuit ou le travail posté et passer exclusivement en activité diurne. Mais si le changement est possible dans certains secteurs, d’autres, comme celui du soin, nécessitent une activité en continu 24 heures sur 24. « Dans ce cas, il faut associer le CSE ou les instances à une réflexion sur les rythmes et horaires de travail, indique Laurence Weibel. On sait aujourd'hui que certaines organisations sont clairement plus pathogènes que d'autres. »

Agir sur l’organisation pour respecter les horloges biologiques 

Des aménagements peuvent être mis en œuvre pour limiter au maximum la désynchronisation des horloges. En cas de travail posté, il est conseillé de décaler l’heure de prise de poste le matin après 6 heures, afin d’éviter d’écourter le sommeil, notamment la période de sommeil paradoxal propice à la récupération psychique. Mieux vaut également adopter une vitesse de rotation rapide, en limitant le nombre de nuits consécutives (trois maximum). « Si on enchaîne des cycles de plus de trois nuits, l’organisme est constamment en train de s’adapter alors que si on change rapidement, il n’a potentiellement pas le temps de se décaler », justifie Laurence Weibel. Une autre possibilité est d’opter pour un rythme en 2 x 8, avec deux équipes alternant matin et après-midi, associées à une équipe de nuit permanente, composée de volontaires.

Il peut aussi être utile de mener une réflexion sur le contenu du travail, en planifiant en début de nuit les tâches nécessitant une forte attention ou avec une charge physique importante. Dans une étude, la chercheuse en ergonomie Béatrice Barthe, de l'université de Toulouse, montre ainsi que dans certains services de néonatologie, les infirmiers anticipent les périodes de somnolence, en s’occupant des soins et du change des nourrissons à leur prise de poste et en se limitant à de la surveillance au milieu de la nuit lorsque l’attention a tendance à diminuer.

La pratique de la sieste peut également prévenir les baisses de vigilance. « Rien ne remplace la qualité d’un sommeil nocturne pour la récupération, mais un “petit somme” de 1 h 30 avant de dîner et de reprendre le service, est une bonne habitude à prendre en cas de dette de sommeil, conseille le Pr Damien Davenne, chronobiologiste à l’université de Caen et à l’Inserm. Une microsieste de 10 à 20 minutes au moment où notre organisme montre une baisse de l’attention est aussi très efficace pour la cognition. »

« Pour compléter ces aménagements, il convient d’affecter en priorité aux horaires de nuit les salariés volontaires, et de les informer sur les impacts sur leur santé, recommande Carole Gayet, experte d’assistance-conseil à l’INRS. Et surtout, faciliter le basculement en horaires de jour quand les salariés en font la demande. »

Pour chaque horaire atypique, des actions à mettre en œuvre

Si les effets du travail posté et de nuit sur la santé et la sécurité des salariés ainsi que les actions à mettre en œuvre sont désormais bien connus, il est plus difficile d’évaluer l’impact des autres rythmes atypiques. Pour autant, leurs répercussions sur le quotidien des travailleurs ne sont pas anodines. Selon l’INRS, travailler le dimanche « implique une perte des liens sociaux, familiaux et amicaux ainsi qu’une diminution du temps de loisirs qui vont au-delà de ceux qui peuvent être observés un jour de semaine, en raison du caractère synchronisateur de ce jour ». L’activité dominicale affecte également le sommeil, car la qualité du repos n’est pas la même un jour en semaine : plus de bruit, des activités familiales à assurer… Concernant les horaires fractionnés, ils posent aussi des problèmes d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Le travail du soir augmente en outre les risques d’accident et les problèmes de santé, notamment dus au décalage de l’heure du dîner.

Ces dernières années, une organisation a particulièrement le vent en poupe auprès des salariés : le travail en 12 heures, avec ou sans nuit. Sur le papier, elle cumule les avantages. D’abord, elle implique un temps de repos rallongé, souvent des plages de trois jours de travail successifs suivis de quatre jours de repos, ce qui signifie moins de trajet donc des économies et, en théorie, moins de risque routier. Les salariés y voient aussi la possibilité de bénéficier de plus de temps auprès de leurs proches, ce qui facilite l’organisation familiale. Dans le secteur du soin, où le sous-effectif chronique induit une intensification de la charge de travail, les salariés affirment aussi avoir plus de temps pour mener à bien leur mission et trouver plus de sens à leur métier. Mais, la réalité est moins rose. « Dans les faits, les équipes travaillent généralement plus de 12 heures : elles arrivent en avance pour pouvoir faire les transmissions avec l’équipe précédente, pointe Évelyne Morvan, responsable d’études à l’INRS. Les salariés se disent assez fatigués et ont du mal à récupérer. »

Travail en 12 heures, plus de burnout et de dépression

Dans une étude publiée dans la revue de sciences sociales et humaines Temporalités, la chercheuse Béatrice Barthe pointait chez les salariés soumis à ces amplitudes horaires une augmentation exponentielle du risque d’accident du travail à partir de la neuvième heure de travail consécutive, et de la huitième heure de travail en cas de travail de nuit. Elle relevait aussi des incidences potentiellement négatives des longs intervalles de repos des opérateurs entre deux cycles d’activité : « Pendant ce temps (…), le travail continue, de nouvelles consignes sont, par exemple, transmises, (…), de nouveaux problèmes émergent, etc. À son retour, l’opérateur a besoin de prendre connaissance de ce qui a changé (…). Si cette phase préalable d’actualisation (…) n’est pas possible, cela peut avoir des conséquences préjudiciables sur la fiabilité et la sécurité. »

Vue d'une situation de travail sur une chaîne de montage automobile.

Selon une étude menée par des chercheurs marseillais sur plus de 3 000 infirmiers et aides-soignants, ceux qui travaillent entre 10 et 12 heures ont aussi plus de risques de burnout et de dépression que leurs homologues en 7 heures. « Les effets de ces horaires atypiques sont plus importants avec l’avancée en âge, ajoute le Pr Davenne. Lorsqu’il est jeune, l’être humain est très plastique. Mais, en vieillissant, c’est beaucoup plus difficile pour l’organisme de s’adapter. »

Là encore, si un passage à des horaires standards n’est pas envisageable, il est possible d’intervenir sur l’organisation du travail, notamment en adaptant le contenu des tâches à réaliser en fonction du niveau de vigilance et de fatigue, ou en instaurant la possibilité de faire des pauses ou une microsieste. Mais, pour que ce moment de récupération soit possible, cela demande de convaincre et former la ligne managériale et de mettre en place un temps et un espace dédiés, sinon les salariés y renoncent.

Des actions de sensibilisation sur l’hygiène de vie doivent aussi être menées. « La régularité des heures de repas, la répartition des apports énergétiques dans la journée, un niveau suffisant d’activité physique, une bonne hygiène de sommeil… Tout cela participe à synchroniser ses horloges biologiques et à limiter les effets négatifs des horaires atypiques sur la santé », insiste le Pr Davenne.

Plus globalement, quel que soit le type d’horaires atypiques envisagé, le fait d’associer les salariés ou leurs représentants aux discussions sur les modalités pratiques (horaire de prise de poste, fréquence des rotations, temps de pause…) est un facteur d'acceptation. Et pour que les actions de prévention portent leurs fruits, celles-ci doivent être intégrées à une démarche de prévention globale des risques professionnels.

FLASH, MICRO OU ROYALE : DES SIESTES POUR AMÉLIORER LA VIGILANCE

La sieste a des effets bénéfiques immédiats : elle permet d’améliorer les niveaux de vigilance pendant plusieurs heures et diminue les risques d’erreurs, d’accidents de travail et de trajet. Deux périodes physiologiques sont propices à sa pratique : la nuit (entre 1 et 6 heures du matin) et la journée, en début d’après-midi. Trois formats sont possibles. La sieste « flash » dure moins de 10 minutes, elle consiste à fermer les yeux et se relaxer, au calme, sans forcément dormir. Elle permet de récupérer en termes de vigilance. La microsieste dure entre 10 et 20 minutes maximum. Elle ne permet pas d’aller dans le sommeil profond et donc le réveil est plus facile. La sieste royale court dans l’idéal sur 1 h 30, ce qui correspond à un cycle de sommeil. Elle permet d’entrer dans le sommeil profond et de compenser la dette de sommeil. Elle doit se faire idéalement les jours de repos car elle nécessite des conditions adéquates pour dormir (la pénombre, un lit, du calme) et induit un réveil plus lent (15 minutes environ).

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