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Travailler avec des enfants

À l'hôpital, une dynamique d'équipe au service des plus petits

Depuis deux ans, les professionnelles des crèches, services maternité et néonatalogie de l’Assistance publique–hôpitaux de Marseille (APHM) travaillent sur un projet d’amélioration des conditions de travail. Une démarche axée sur la prévention des TMS et RPS, pour laquelle les salariées ont été mises à contribution.

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Corinne Soulay - 01/10/2024
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Vue d'une nurserie.

Le nourrisson, minuscule, est lové dans les bras de sa mère. Né il y a à peine quelques heures à l’hôpital de la Conception, Assistance publique-hôpitaux de Marseille (APHM), il s’apprête à subir son premier bilan sanguin. La maman a été installée dans un fauteuil d’allaitement muni d’accoudoirs. Assise à califourchon sur un tabouret à roulettes, avec appui ventral permettant de se pencher en avant sans solliciter le dos, l’infirmière tourne autour pour positionner au mieux la jeune femme. Reste ensuite à trouver la veine, sur le tout petit poing recroquevillé… L’intervention est délicate mais, grâce aux équipements ergonomiques, elle se fait sans stress et sans posture contraignante pour la professionnelle.

« Il s'agit d'un exemple d'équipement qui participe à l'amélioration des conditions de travail au service maternité, explique Lidwine Dumoulin, conseillère en prévention des risques professionnels à l’APHM. En 2022, nous avons répondu à un appel à projets de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour le secteur de la petite enfance et nous avons mis en œuvre une démarche de prévention à la fois des troubles musculosquelettiques (TMS) et des risques psychosociaux (RPS). » Un projet décliné dans les cinq crèches de l’hôpital, accueillant les enfants des salariés, trois services de néonatalogie et le service maternité.

REPÈRES

  • L’établissement a avancé avec la CNRACL, qui s’occupe des agents de la fonction publique, et souhaite poursuivre le travail engagé par une collaboration plus étroite avec la Carsat.

Dans ce dernier, où sont pris en charge des grossesses et accouchements pathologiques, cela s’est traduit par l’achat de matériels – baignoire à hauteur variable, chariots de repas, fauteuil massant… –, mais aussi par des mesures organisationnelles. « Un gros travail de désencombrement des couloirs a été réalisé, note la préventrice, coordonnatrice du projet. Concernant les RPS, deux salles, au lieu d’une, ont été dédiées aux bains des nouveaux-nés pour réduire les engorgements et permettre aux auxiliaires de puériculture un meilleur accompagnement à la parentalité, ce qu’elles considèrent comme une composante valorisante de leur travail. »

Pluridisciplinarité et intelligence collective

Pour prévenir les violences externes, très présentes dans le service, les visites ont été limitées, et l’accueil des co-parents amélioré avec la possibilité de rester dormir et bientôt le réaménagement de la salle d’attente. Pour éviter les interruptions de tâches, sources de tensions entre le personnel et les accompagnants, deux volontaires en service civique ont été missionnés pour orienter les visiteurs.

« Pour aboutir à ces solutions, nous avons suivi la même méthodologie dans tous les services, relève Lidwine Dumoulin. Il a d’abord fallu créer des outils pour recueillir et analyser les accidents de travail, comprendre leurs causes, interroger la direction… » Une seconde phase a été consacrée à des observations de terrain, par les conseillers en prévention de l’APHM, les infirmières ou internes du service de santé au travail. L’occasion d’identifier les situations à risque, de faire des études de poste et d’évaluer le nombre de postures délétères.

Des entretiens ont ensuite été menés afin de mesurer l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, et d’interroger les professionnelles sur leur état de santé. À partir de ces données, un diagnostic a pu être posé. « Nous l’avons présenté au personnel et à l’encadrement et avons monté quatre groupes de travail, deux sur les RPS, deux sur les TMS, pour chaque secteur. L’idée était de se reposer sur l’intelligence collective, avec des groupes pluridisciplinaires, composés de médecins du travail, de kinésithérapeutes, de médecins du sport… et surtout les agents concernés, qui sont les plus à même de trouver des solutions adaptées. »

« Les groupes de travail ont permis de mieux comprendre la charge des unes et des autres. »

Illustration en réanimation néonatale, où Lidwine Dumoulin est accueillie comme la « bonne fée ». « Les chariots à hauteur constante sont arrivés ! », l’interpelle la cheffe de service. Chaque jour, les professionnelles manutentionnent de nombreux cartons de lait et de solutés qu’elles posaient, jusqu’à présent, sur des chariots de service à deux plateaux fixes, ce qui nécessitait de se baisser ou de lever les bras chargés. Autre point d’achoppement : la décontamination des couveuses. Historiquement, deux personnes étaient préposées à cette tâche pourvoyeuse de TMS (gestes répétitifs…) et qui les exposait au risque chimique via les produits d’entretien. « Pour y remédier, nous sommes passés au nettoyage à la vapeur, une réorganisation a été actée et des travaux engagés : désormais, toutes les professionnelles des trois services de néonatalogie doivent s’y atteler à tour de rôle », détaille Lidwine Dumoulin. Problème : ce changement a été ressenti, au départ, comme un surplus de travail et a suscité des tensions entre services.

« Les groupes de travail ont permis d’échanger et de mieux comprendre la charge des unes et des autres. Plus globalement, cela a créé une dynamique positive d’équipe », souligne Mme Julliard, cadre de l’unité. L’une des pistes a été de favoriser la présence parentale auprès des nourrissons, parfois grands prématurés, afin à la fois d’améliorer la qualité du soin, critère de sens pour les professionnelles, et de soulager les équipes. Pour cela, des lits pliants et des paravents ont été acquis, pour que les parents puissent rester 24h/24, ainsi que des fauteuils ergonomiques pour faciliter la pratique du peau-à-peau et de l’allaitement.

En prévention, privilégier l’amélioration continue

Changement d’ambiance… et de gabarits d’enfants : dans un autre bâtiment, les crèches de l’hôpital Conception accueillent 175 enfants, âgés de 2 mois à 3 ans. Ces établissements, et les trois autres des hôpitaux nord et sud, ont bénéficié de l’accompagnement d'un cabinet spécialisé en santé-sécurité au travail (SST). « Nous avons passé un mois et demi en immersion dans chaque crèche, avec un temps d’observation et d’entretiens avec tous les agents, décrit Sonia Franchitto, consultante. Cela a nourri le diagnostic et nous a permis de sensibiliser les professionnelles à la SST. » La mise en lumière de problèmes de communication entre sections a débouché sur l’instauration de réunions régulières et de temps collectifs informels. Pour pallier un manque de reconnaissance ressenti par les auxiliaires de puériculture, des événements conviviaux ont été lancés, avec l’aide du service de communication interne.

Vue d'une situation de travail en nurserie.

Les effectifs pouvant atteindre jusqu’à 40 enfants par section, le niveau sonore était également facteur de stress et de fatigue. Les groupes ont donc été divisés en deux, nécessitant un réaménagement et l’achat de matériel adapté. Casiers rehaussés, tables en demi-lune, tabourets carrés à roulettes… Si les nouveaux équipements sont légion, pour l’heure, tous ne sont pas utilisés. « Il faut accompagner leur mise en place, faire de la pédagogie et prendre en compte les retours du terrain : c’est ça l’amélioration continue ! », martèle Lidwine Dumoulin. Parfois aussi, une réflexion supplémentaire s’impose avant de pouvoir intégrer le nouvel élément.

À la crèche de l’hôpital nord, par exemple, le change-debout n’a pas encore trouvé sa place. « Il faut un point d’eau à proximité pour limiter le risque infectieux, nous réfléchissons au réaménagement de l’espace pour l’installer au bon endroit », explique Mylène René-Corail, la responsable. Deux ans après le début du projet, une campagne d’évaluation est prévue en octobre pour mesurer l’efficacité des mesures mises en place.

LE TÉMOIGNAGE DE...

Lidwine Dumoulin, chargée de prévention des risques professionnels à l’APHM, coordinatrice du projet

« Ce projet a permis de mieux structurer la prévention des risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail des services et de faire évoluer nos pratiques. Cela a été l’occasion de réfléchir collectivement à la mise à jour des documents uniques d’évaluation des risques professionnels et de créer des outils de remontées de terrain. Nous y intégrons notamment quotidiennement les déclarations d’événements indésirables, ce qui nous permet d’analyser le “presque accident” et d’agir au plus tôt. Les conseillers en prévention sont montés en compétence, notamment sur les études de poste et l’analyse des RPS. La pluridisciplinarité, la collaboration avec les partenaires sociaux et le CSE ont révélé l’importance de travailler collégialement, avec les acteurs de la prévention. »

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