
Jouets sonores, cris, pleurs… En crèche et dans tous les espaces collectifs accueillant des enfants, le bruit peut être source de stress, de fatigue, voire d’épuisement. Pour se faire entendre, les professionnels sont parfois contraints de hausser la voix, participant eux-mêmes à l’élévation du niveau sonore. À Sadirac, crèche associative gérée par des parents bénévoles située à quelques kilomètres de Bordeaux, en Gironde, la mise en place d’une cloison pour séparer l’espace bébés des secteurs grands et moyens, a permis, à la rentrée 2022, de baisser d’un ton… pour le bien-être de tous.
EN BREF
Association à but non lucratif, la Ribambule est née en 1985. Au niveau de la communauté de communes du Créonnais, elle regroupe quatre crèches dans lesquelles travaillent 43 professionnels. Elle dispose de 89 places d’accueil.
La crèche accueille 24 enfants de quelques mois à trois ans, regroupés en trois sections : les moins de 18 mois (actuellement sept bébés), les 18-23 mois et les 24-36 mois. Douze personnes y travaillent. Pour Nathalie Ardeven, coordinatrice de l’association, « la gestion du bruit est une préoccupation permanente ». « À mon retour de congés maternité, j’ai découvert le résultat qui est épatant. À 11 h 30, les grands vont manger puis passent à la sieste. Avant, au moindre bébé qui pleurait, il y avait le stress de les réveiller ou de gêner les collègues », exprime Sercan Altuntas, l’une des salariées.
Sonomètres et dosimètres
Certains enfants sont là à partir de 7 h 30 et les derniers repartent à 18 h 30. Et eux aussi pâtissent d’un environnement trop bruyant. Car une journée est ponctuée de temps calmes et de moments plus agités. En 2021, Jean-Baptiste Bortoluzzi, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine, demande l’intervention du Centre interrégional de mesures physiques (Cimp) du Centre-Ouest pour évaluer les niveaux sonores aux postes de travail.
DU RESSENTI À L’ÉVALUATION OBJECTIVE
« En 2019, l’établissement faisait partie du programme régional Pass Aqui-Prev, dont l’objectif était d’orienter les entreprises vers une démarche de prévention progressive et pérenne avec cinq leviers d’action : l’analyse des accidents du travail, l’évaluation des risques, l’organisation de la santé et la sécurité au travail, l’accueil des nouveaux salariés et la formation », relate Jean-Baptiste Bortoluzzi, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine. C’est à l’occasion de l’évaluation finale du programme que la question du bruit a fait surface. Le contrôleur a alors demandé au Centre interrégional de mesures physiques de l’ouest de venir évaluer les niveaux sonores aux postes de travail.
Au sol, la pièce est recouverte de lino. Aux murs et au plafond, du placoplatre, en partie perforé. Des cubes acoustiques suspendus complètent le décor. Lors de l’intervention, Mathieu Le Lostec, contrôleur de sécurité au Cimp, réalise des mesures d’ambiance avec un sonomètre ainsi que des mesures sur des salariés équipés de dosimètres portatifs. Les premières donnent des niveaux d’ambiance sonores respectifs de 72 et 73 dB(A) dans les secteurs bébés et grands, y compris quand les bébés dorment, témoignant d’une propagation du bruit d’une zone à l’autre. Avec le dosimètre portatif, qui permet d’évaluer le niveau sonore au niveau de l’oreille de deux salariés, des valeurs de 81 et 86 dB(A) sont obtenues. Soit, dans le premier cas, plus que la valeur d’exposition inférieure, et, dans le second, plus que la valeur d’exposition supérieure (lire l'encadré ci-dessous).
« À la suite de ces mesures, nous avons fait plusieurs recommandations, la principale étant d’installer une cloison permettant d’isoler la zone bébés des autres secteurs. Cela répond à une logique d’activité que l’on observe dans la majorité des crèches où nous intervenons, relate Mathieu Le Lostec. Pour éviter le passage du bruit, la cloison devait s’élever sur toute la hauteur sans espace entre le haut du mur et le plafond. Un complément avec de l’absorbant acoustique aux murs et plafonds dans la zone bébés a également été recommandé. » En dernier lieu, il peut être proposé des bouchons d’oreilles sur mesure. Mais dans la pratique, les professionnels des crèches les portent peu.
Moins de bruit : une fatigue émotionnelle diminuée
S’emparant du diagnostic, l’établissement interroge les salariés sur le choix des aménagements. « Les locaux appartiennent à la communauté de communes du Créonnais, toujours très à l’écoute de nos besoins. Avec la directrice, les équipes et la référente de la communauté de communes, nous avons envisagé la façon de concevoir l’espace. Le personnel souhaitait une cloison vitrée en partie supérieure, pour garder un visu sur chaque côté, mais pas en partie basse », explique Nathalie Ardeven. Ainsi, on évite les salissures mais aussi de distraire le plus petits, attirés par ce qui se passe de l’autre côté. Avec une isolation phonique appropriée, la partie haute vitrée a été possible.

« Aujourd’hui, les moyens et les grands partagent le même espace, à partir duquel nous avons un accès aux dortoirs et au jardin. Quand ils jouent et que le brouhaha monte, les bébés sont au calme dans la pièce voisine, remarque Solène Matuszkiewicz, l’une des éducatrices. Les temps forts côté bébés sont très différents, plus imprévisibles et individualisés. Depuis cette mise en place, on est bien moins débordées. Au début, j’ai même eu cette impression paradoxale de trop calme. » « C’est un métier qui demande beaucoup d’énergie avec un rythme continu pour s’occuper des plus petits. Avec plus de calme, les enfants pleurent moins et notre fatigue émotionnelle diminue », relate Cindy Garbaye, sa collègue.
Le cloisonnement s’est accompagné d’une réflexion plus globale sur l’organisation, avec le déplacement de la zone de change, pour éviter les déplacements inutiles. D’autres aménagements ont amélioré l’environnement de travail : l’installation de la climatisation ou, plus récemment, celle d’un nouveau store. « Dans la pièce commune aux grands et aux moyens, l’ajout de cloisons acoustiques en partie basse et de panneaux absorbants suspendus pourrait également être envisagé », évoque Mathieu Le Lostec. « Si l’établissement veut aller plus loin, il pourrait bénéficier d’une aide financière », complète Jean-Baptiste Bortoluzzi. Dans la grande pièce, en gardant une belle hauteur sous plafond et une sensation d’espace, cela permettrait, sans élever de cloison supplémentaire, de créer deux volumes et deux ambiances distinctes.
RÉGLEMENTATION
Il existe des seuils d’exposition des salariés au bruit dont le dépassement doit déclencher des actions spécifiques. Deux valeurs d’exposition inférieures de 80 dB(A) sur 8 heures et 135 dB(C) de niveau de crête (niveau de bruit impulsionnel maximal) déclenchent les premières mesures d’action de prévention du bruit : mise à disposition de protecteurs individuels contre le bruit (PICB), information et formation des travailleurs, examen audiométrique préventif.