
« J’ai moi-même été accueillante, c’est épuisant. On reçoit des gens en colère, blessés, humiliés, des enfants en situation de refus. Et face à la grande détresse que l’enfant exprime, parfois, on peut avoir des doutes sur son propre rôle et l’intérêt de poursuivre », évoque Alice Dalaine, psychologue et formatrice. Elle accompagne depuis plus de deux ans les salariés de l’association Souffles de vies dans le cadre de l’analyse des pratiques professionnelles, les aidant à réfléchir sur les situations qui leur demandent un investissement supplémentaire ou leur posent des problèmes.
À Melun, en Seine-et-Marne, Souffles de vies reçoit des familles adressées par le juge aux affaires familiales et organise des visites entre des enfants et le parent avec lequel il ne vit plus. Un dispositif qui vise à recréer, maintenir ou préserver un lien qui pourrait être rompu ou distendu. « Les visites ont lieu en général pendant six mois, le plus souvent tous les quinze jours. Il existe 400 espaces de rencontre en France, explique Marie-Christine Malengana, psychologue et directrice de l’association. Dans un lieu collectif, cinq à six familles sont accueillies simultanément par quatre intervenants issus de l’équipe pluridisciplinaire. Un fonctionnement qui permet de croiser les regards et de dédramatiser. »
Faire face à des situations conflictuelles
Ces psychologues, éducateurs, assistants sociaux, éducateurs spécialisés… sont confrontés à des situations conflictuelles et complexes. Pour trouver un point d’entrée, la rencontre peut être organisée autour de jeux. Réunir plusieurs familles ensemble peut également aider. Parfois, il est nécessaire de se laisser le temps pour parvenir à organiser la rencontre. En arrière-plan, la question de la charge mentale n’est jamais loin.
« La Caisse d’allocations familiales nous demande d’organiser huit séances annuelles d’analyse des pratiques professionnelles. Nous en faisons une par mois. L’intervenante externe n’a pas de position hiérarchique. Elle décortique les situations, aide à comprendre les enjeux en se focalisant sur le positionnement professionnel », précise Marie-Christine Malengana. « C’est un moment qui nous permet d’évacuer. Dernièrement, une maman nous a déposé sa fille de façon extrêmement violente. La psychologue nous aide à faire un pas de côté et à exprimer notre ressenti », explique Sophie Jeannin, référente Aide sociale à l’enfance.
Chez Souffles de vies, la professionnelle se dit chanceuse de pouvoir bénéficier de formations en nombre. « C’est malheureusement loin d’être le cas partout », regrette-t-elle. Si la formation initiale est essentielle, notamment pour comprendre le cadre d’intervention bordé par la justice, le besoin de formation continue s’exprime aussi fortement, notamment vis-à-vis des risques psychosociaux. « Une fois par mois, nous organisons également une réunion de service pour passer collectivement en revue les situations des familles, qui peuvent mettre en jeu des questions d’éthique personnelle. Il peut par exemple nous être demandé d’organiser des rencontres dans les cas de violences conjugales avérées », reprend la directrice.
Travailler sur le collectif pour désarmorçer les tensions
« Lors des premières analyses de pratiques professionnelles, j’ai pris la température de l’équipe. Et j’ai choisi de commencer par les conflits internes. Il a fallu un peu de temps pour créer un espace de confiance, permettant à chacun de s’exprimer sans défiance. Puis nous avons abordé le fond des pratiques », se souvient Alice Dalaine. Les temps d’accueil sont limités, avec de larges plages horaires, en général le mercredi ou le samedi, sur fond de tensions qui peuvent rapidement conduire les équipes à « se trouver en surchauffe ». Son intervention est vécue comme un temps de régulation et de prévention. « Ils mettent des mots sur ce qu’ils vivent et nous remettons en route une dynamique d’équipe. En se mettant autour de la table, on désamorce ce que ces émotions vives provoquent. Ainsi, ils s’accordent entre eux pour travailler de manière plus instinctive et en confiance. »
Les salariés formulent des hypothèses, des propositions. « On fait le point, par exemple, sur qui est le plus à l’aise avec telle famille, à tel endroit. L’idée est de pouvoir se passer le relais facilement et s’accorder », reprend l’intervenante. Ce travail sur le collectif contribue, de son point de vue, à apaiser certaines tensions. « On le fait sur site, sans avoir à se déplacer, confirme Sophie Jeannin. En nous faisant prendre du recul sur la situation, cela nous aide à nous recentrer sur notre mission. Souvent, nous sommes confrontés à un sentiment d’injustice du parent hébergeant. Lorsque l’on parvient à ce que les deux trouvent par eux-mêmes un accord, on a rempli notre rôle. »