
Léonie* est la première à sortir de la sieste. Au multi-accueil Gribouille, structure disposant de 25 places à Saint-Médard-en-Jalles, dans le département de la Gironde, l’agitation du début d’après-midi reprend. Sous l’œil d’une auxiliaire de puériculture, l’enfant monte seule par le petit escalier du change debout. « On l’a obtenu grâce à un financement de la CAF, explique Claire Le Maître, la directrice. L’enfant se tient à sa hauteur et la professionnelle change sa couche sans avoir à se baisser. » En face, sa collègue s’occupe d’Éloi, qui grimpe sur l’escalier central qui dessert deux plans de change en vis-à-vis, disposant chacun d’un point d’eau. Aucun tiroir à tirer, pour un minimum de contrainte gestuelle.
ORGANISATION
Dans la pratique, en matière d’organisation, le changement s’inscrit sur le long terme. La ville insiste sur la conciliation vie professionnelle-vie personnelle, en limitant par exemple les réunions en soirée. Elle œuvre pour améliorer l’environnement physique du travail, avec l’aménagement de salles de pause dans chaque structure. Cela vient d’être fait au multi-accueil Gribouille. Des moments de rencontre et des ateliers métiers contribuent également à renforcer le sentiment d’appartenance à la collectivité.
« Le métier d’auxiliaire de puériculture est extrêmement pénible. Nos agentes – car ce sont toutes des femmes – sont sollicitées en permanence, exposées au bruit. Elles adoptent des postures qui ne sont pas adaptées à l’adulte, au niveau du sol », remarque Frédérique Noel, psychologue du travail et chargée de mission à la direction petite enfance et parentalité de la mairie de Saint-Médard-en-Jalles. En 2021, la mairie répond à un appel à projets pour l’amélioration des conditions de travail des auxiliaires de puériculture lancé par le Fonds national de prévention de la CNRACL. « Nous sommes, parmi les lauréats, celui qui obtenu la dotation la plus importante : 400 000 euros », précise la chargée de mission. En 2022, un contrat est signé pour un projet sur deux ans. La mairie entreprend d’abord d’établir un diagnostic avec la diffusion auprès des personnels concernés d’un questionnaire anonyme sur les risques professionnels. Elle obtient 97 % de réponses sur ses structures : une crèche collective, trois multi-accueils, une crèche familiale, un relais petite enfance et un espace parentalité.
Évaluer les risques en se basant sur le travail réel
« J’ai ensuite proposé des entretiens individuels de deux heures pour parler des conditions de travail et du travail en équipe. 50 agentes ont répondu. Puis, avec une collègue ergonome, nous les avons suivies sur une journée entière », poursuit Frédérique Noel. Mouvements, déplacements, interactions, fluidité dans la transmission des informations, exposition au bruit… Tout a été scruté en détail. En parallèle, la CNRACL fait réaliser un audit sur la perception des risques au travail.
Fin 2022, une synthèse des travaux est présentée aux élus, à la direction générale et aux représentants du personnel. Avec un code couleur qui parle à tous : en vert, ce qui fonctionne ; en orange, ce qui doit être travaillé ; en rouge, ce qu’il faut traiter en urgence. Sur cette base, un plan d’actions est établi par un comité technique représentant les différentes structures et les métiers. Chacun partage ses expériences, teste des produits, échange sur ses pratiques.
DIX GESTES
Les dix gestes les plus pénibles du quotidien ont été identifiés avec les agentes. Pour les illustrer et mettre en avant les moyens de se préserver, dix photos portraits et dix capsules vidéo ont été réalisées avec elles et certains des enfants accueillis. Ce travail est affiché dans les établissements et relayé via les réseaux sociaux. Par ailleurs, chaque agente a reçu un livret pédagogique et un questionnaire sur les risques psychosociaux.
« Nous avons posé des nuages absorbeurs de bruit dans un couloir par lequel on accède aux dortoirs. Des jeux en bois y sont fixés aux murs. Il y avait un bruit infernal », se souvient Sandra Mulle, aide-auxiliaire au multi-accueil Simone Veil, structure dimensionnée pour 25 enfants, où travaillent onze salariées. « Certaines professionnelles utilisaient des boules Quiès, ce qui me posait question par rapport aux enfants. D’autres ne voulaient plus y travailler », souligne Florine Ardouin-Cardona, la directrice. Désormais, quand le niveau sonore monte un peu trop, un nuage connecté passe au rouge. Un traitement acoustique complémentaire est prévu dans l’espace commun et l’espace repas.

On y retrouve Claire Hornn, auxiliaire de puériculture, installée sur une chaise ergonomique à roulettes. « Pour donner le repas ou faire des jeux autour de tables en demi-lune, c’est top ! On est moins cassé que sur un tabouret en bois », assure-t-elle. Pour d’autres situations, des assises de sol ergonomiques avec dossier, facilement transportables, permettent de s’installer confortablement devant un cercle d’enfants. « On a le dos calé pour raconter une histoire en surveillant le dortoir par exemple. L’enfant qui veut un câlin peut s’appuyer contre nous sans que l’on supporte son poids », évoque Julie Gouffé, auxiliaire de puériculture. Outre les équipements ergonomiques destinés aux adultes – on pourrait citer les raclettes pour rassembler les jouets et les pinces pour les ramasser, les retourneurs de poubelles ou encore les réhausses de fond d’évier –, il y a ceux destinés aux enfants, dont les professionnelles bénéficient. Par exemple : les poussettes doubles ou triples, ultralégères, maniables, avec guidon réglable en hauteur. « On a sollicité l’avis des professionnelles pour le choix », insiste Florine Ardouin-Cardona.
Former et communiquer
Autre déclinaison du projet, l’axe formation : ergonomie, lutte contre les violences éducatives ordinaires, gestion du temps, communication non violente et assertive, nettoyage… « Nous n’avons pas oublié l’encadrement car même dans un cadre bienveillant, il faut s’intéresser aux moyens d’éviter des maladresses managériales », mentionne Frédérique Noel. Et quand tout cela est fait, il faut communiquer. Au mur du multi-accueil Gribouille, se trouve la photo d’une agente, installée sur une assise adaptée et jouant avec un enfant. Un autre cliché est assorti d’un message-clé : « Pensez à vous quand vous l’aidez à s’asseoir pour ne pas le regretter le soir. »
« Ces portraits avec nos agentes et nos enfants illustrent les moyens de se préserver au quotidien. C’est important de communiquer en interne, mais aussi auprès des familles, des habitants de Saint-Médard, des acteurs de la petite enfance, qu’ils sachent que nos professionnelles prennent soin de leurs enfants en prenant soin d’elles », affirme Frédérique Noel. Derrière, il y a la volonté de faire connaître la prévention. Car les difficultés de recrutement sont réelles. D’ici deux ans, avec le projet d’ouverture de la Maison de la petite enfance et des capacités d’accueil augmentées, les besoins en personnel vont croître. Et il faut donner aux professionnels de la petite enfance des raisons de choisir Saint-Médard-en-Jalles.
*Les prénoms ont été changés.
PÉRIMÈTRE ET RÉALISATIONS
La direction petite enfance et parentalité Saint-Médard-en-Jalles compte 85 personnes réparties sur plusieurs structures : crèche collective, multi-accueils, crèche familiale, relais petite enfance, espace parentalité. La mairie a englobé dans son projet l’ensemble des métiers de la petite enfance : auxiliaires de puériculture, mais aussi directrices d’établissement, agents techniques, psychologues… Un livret de 77 fiches actions a été réalisé. Elles s’articulent autour de l’achat d’équipements, la formation des agentes, le changement des pratiques organisationnelles et la communication. Quand une action suscite l’adhésion des équipes, son déploiement sur les autres structures est envisagé. « C’est le cas pour les nuages acoustiques, cite Frédérique Noel, chargée de mission à la direction petite enfance et parentalité. Le bruit peut constituer une usure nerveuse qui affecte la qualité de travail et peut générer des risques psychosociaux. »