
L’accident est survenu sur un chantier de démoussage de la toiture d’une maison individuelle, sous une ligne électrique aérienne sous tension (400 volts). La victime, qui était montée dans le panier d’une nacelle araignée, est entrée en contact avec des fils sous tension et a été électrocutée [NDLR. Ce récit est issu de la base de données nationale Epicea]. La ligne était signalée dans la fiche préparatoire de travaux, mais aucune déclaration d'intention de commencement de travaux (DICT) n'avait été établie, ni consignation, ni isolation des fils électriques. En France, les réseaux de transport et de distribution d’électricité représentent près de 1,4 million de kilomètres de lignes, en majorité aériennes. Une gigantesque toile d’araignée constituée également de câbles souterrains et de postes de transformation.
Les accidents survenant lors d’interventions ou de travaux sur ou au voisinage de ces lignes, postes de transformation et canalisations enterrées sont rares, mais leurs conséquences peuvent être très graves. Chaque année, ils coûtent la vie à près de dix travailleurs du régime général. « Si le nombre de dommages sur ouvrages baisse, ce n’est pas le cas des accidents liés au contact avec les réseaux aériens, souvent les plus graves. Les lignes à haute tension sont en général éloignées des zones de travaux en milieu urbain, mais de nombreuses lignes intermédiaires (20 000 volts), transportant le courant dans les zones rurales et périurbaines, arrivent en limite de collectivités, où la densité des réseaux peut être importante », explique Didier Petitcolas, responsable du domaine Énergies et réseaux à la direction technique de l’OPPBTP.
Les secteurs du BTP et agricoles particulièrement touchés
« Les principaux risques pour les travailleurs sont des risques d’électrisation, d’électrocution et de brûlure. Ils sont liés au contact direct avec une pièce nue sous tension ou indirect avec une pièce conductrice mise sous tension accidentellement, ainsi qu’aux arcs électriques pouvant être causés par un court-circuit. Ces derniers peuvent provoquer des brûlures graves et être à l’origine d’incendies ou d’explosions, précise Sandrine Hardy, experte d’assistance conseil à l’INRS. Le simple fait d’être à proximité de la ligne, sans la toucher, peut entraîner la formation d’un arc électrique. C’est la zone d’amorçage, qui est d’autant plus importante que la tension est élevée. »
REPÈRES
La référence, en matière de moyens de prévention à mettre en oeuvre, de niveaux d'habilitation correspondants et de référentiel de formations à respecter, est la norme NF C18-510 qui définit les règles de l’art pour la prévention du risque électrique lors d’opérations sur les ouvrages et installations et dans un environnement électrique.
Les travailleurs les plus concernés sont en premier lieu ceux du BTP, puis ceux chargés des travaux agricoles, forestiers ou d’entretien de la végétation, en particulier lors de travaux en hauteur ou de l’utilisation d’engins : grues, chariots de manutention télescopiques, nacelles, pompes à béton… « On peut également citer les intervenants en façade et toiture (pour la pose d’isolation par l’extérieur, de panneaux photovoltaïques…) ou encore ceux chargés du remplacement de poteaux télécoms. Sur les réseaux enterrés, deux accidents graves sont survenus en 2024 lors du plantage de fiches dans le sol pour implanter les bordures de trottoir », évoque Guy Turlier, chargé de mission direction prévention, santé, sécurité chez Enedis.

Mettre hors tension, protéger, rester à distance
Les dommages sur les réseaux enterrés, en général liés à une méconnaissance de leur emplacement exact, surviennent lors de l’atteinte accidentelle d'une canalisation, par exemple au passage d’engins de terrassement. Ils entraînent le plus souvent des arrêts de chantier, une perte de continuité de service, des perturbations de circulation, des dégâts matériels et, dans les cas les plus graves, des accidents de personnes.
« Bien souvent, les accidents survenant à proximité des lignes électriques impliquent des travailleurs qui ne sont pas formés à l’électricité, tout simplement parce que leur mission initiale ne relève pas du domaine électrique, intervient Sandrine Hardy. Ils opèrent dans le voisinage de ces installations sans en connaître les dangers spécifiques. » La conscience d’un risque qui est peu visible et la connaissance des prescriptions réglementaires pour travailler à proximité de réseaux électriques, notamment en ce qui concerne les distances minimales de sécurité, peuvent faire défaut.
À UN FIL DU DANGER
À Pulnoy, en Meurthe-et-Moselle, Enduiest réalise des travaux de ravalement de façade en isolation, peinture et projection de façade. « Nous intervenons à 80 % pour des chantiers de particuliers et 20 % avec des majors du BTP, précise Fabien Carpentier, P-DG de la PME familiale. Nos chargés d’affaires réalisent un premier travail de repérage : les travaux vont-ils avoir lieu au voisinage d’une ligne aérienne ? Existe-t-il des câbles électriques isolés qui doivent être protégés ? » Christelle Cauchy, assistante administrative, se rend ensuite sur le guichet unique en ligne. « Via la procédure DT/DICT, j’informe les exploitants sur la nature des travaux prévus (isolation, ravalement…), les moyens (échafaudages, outils…) et demande une protection de chantier », explique-t-elle. L’exploitant réalise, si besoin, une étude de la situation et revient vers elle dans le mois. « Souvent, l’exploitant en profite pour faire des travaux de mise à jour des réseaux. Nos attentes correspondent à une bonne protection de câbles et leur maintien hors de portée pendant la durée des travaux. Nous avons interdiction stricte d’y toucher », précise l’assistante administrative. Les câbles en façade peuvent être déportés ou isolés dans des fourreaux de protection isolants.
C’est dans ce contexte qu’en 2024, le décret 2024-552, complétant le cadre réglementaire fixé par le Code du travail, est venu préciser les mesures de prévention pour la protection des salariés effectuant des travaux d’ordre non électrique à proximité des installations et des ouvrages. Il rappelle notamment le caractère obligatoire de l’évaluation des risques par l’employeur, tenu de définir et mettre en œuvre des mesures de prévention pour supprimer le risque électrique ou, à défaut, le réduire autant que possible.
La première des mesures réside dans la mise hors tension des lignes dont les travaux sont susceptibles de s’approcher. Il existe en effet des distances de sécurité, définies selon la tension des lignes, à ne pas franchir. Pour les réseaux aériens, c’est 3 mètres si la tension est inférieure ou égale à 50 kV, et 5 mètres si la tension est supérieure à 50 kV. Ces distances concernent les travailleurs, les équipements de travail, les engins, et le matériel ou les charges manutentionnés. Lorsque les travaux impliquent de franchir cette zone de voisinage, la mise hors tension ou la pose de protection par l’exploitant du réseau est obligatoire.
Bien préparer l’intervention
Des travaux sur une installation sous tension ne doivent avoir lieu qu’en cas d’impossibilité technique ou de nécessité de maintenir une continuité de service, et après la mise en place de mesures de prévention définies à la suite de l’évaluation des risques spécifiques aux opérations à mener. Celles-ci visent à maintenir la ligne hors de portée, par éloignement, placement d’obstacles ou isolation. « En ce qui concerne les canalisations isolées enterrées, il est défini une zone d'approche prudente de 0,50 mètre, dans laquelle des précautions particulières doivent être prises. Par exemple, les entreprises pourront utiliser des techniques de terrassement en méthode douce pour atténuer les risques d’endommagement de réseaux, indique Mimoun Mjallad, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Par ailleurs, si, par contrôle visuel, l’isolant s’avère endommagé, la ligne doit être considérée comme nue et doit être consignée. »

Avant tous travaux, les entreprises ont également l’obligation d’échanger avec les exploitants de réseaux. Entrée en vigueur en 2012, la réforme anti-endommagement a introduit un guichet unique informatique qui permet aux responsables de projets et entreprises de travaux de réaliser leurs démarches de préparation avec un accès à la liste des exploitants de réseaux concernés. Le maître d’ouvrage ou responsable de projet doit remplir une déclaration de travaux (DT). De son côté, l’entreprise les exécutant doit fournir une DICT. Ainsi avertis, les exploitants doivent donner les informations dont ils disposent sur la localisation et les caractéristiques des ouvrages et installations électriques concernés.
Ensuite, il reste essentiel de se rendre sur place, en amont du chantier, pour observer l’environnement réel de travail. « Les phases préparatoires d’une intervention sont des étapes clés », souligne Sandrine Hardy. Si des incohérences avec les informations fournies sont observées, des échanges et investigations complémentaires devront être lancés. « Ce travail préparatoire va permettre de définir l’organisation et les méthodes de travail à appliquer : plans de circulation, outils/moyens utilisés, mise en place éventuelle de gabarits pour empêcher l’accès à certains engins… », reprend Mimoun Mjallad. Des engins pourront également être équipés de détecteurs de lignes. « Une aide sur laquelle tout ne doit pas reposer, avertit l’expert. Ces détecteurs mesurent un champ électrique qui peut être très fluctuant en fonction de l’environnement. Ils ne doivent donc intervenir qu’en complément de l’ensemble des mesures organisationnelles. »
Formation, habilitation et publications
Pendant des mesures d’organisation du travail : la formation des travailleurs. Une autorisation d’intervention à proximité des réseaux (AIPR) est obligatoire pour les profils concepteur (chargé de la préparation et du suivi des projets), encadrant (chef de chantier, conducteur de travaux) et opérateur, pour les conducteurs d’engins ou les travaux urgents. L’employeur, avant de la délivrer, doit s’assurer que la personne a été formée et a les compétences requises pour ces interventions. L’un des moyens est la réussite à un examen par QCM passé dans un centre d'examen figurant sur la liste du ministère chargé de la Transition écologique.
Pour autant, l’AIPR ne dispense pas de l’habilitation électrique pour les travaux qui risquent d’entraîner le franchissement des distances de sécurité ou ceux effectués dans la zone d’approche prudente d’une canalisation isolée enterrée. L’INRS a publié plusieurs brochures de référence sur l’habilitation électrique et les travaux réalisés à proximité des réseaux. L’OPPBTP, en lien avec Enedis, les organisations professionnelles et des entreprises, a élaboré des guides spécifiques, notamment pour les travaux sur les réseaux de télécommunication ou encore les travaux en toiture et façade (à retrouver sur le site web www.preventionbtp.fr). « La réglementation sur les risques électriques est compliquée à appréhender pour un artisan. Toutes les entreprises ne font pas leur déclaration préalable, par méconnaissance ou par manque de temps, constate Didier Petitcolas. Nous essayons, avec les organisations professionnelles, de porter les sujets qui les concernent. Des vidéos de récits d’accidents seront également prochainement mises en ligne sur le site de OPPBTP. Avec le même objectif de sensibiliser aux risques. »
TRAVAUX D'ENTRETIEN DE LA VÉGÉTATION
L’arrêté du 5 juillet 2024 apporte des précisions concernant les travaux d’entretien de la végétation -et d’abattage d’arbres, notamment en termes de distance entre la végétation et la ligne. L’utilisation d’un engin mobile doté d’une cabine et d’un dispositif assurant l’isolement électrique entre la cabine et l’outil de coupe est autorisée, lorsque celle-ci ne dépasse pas la zone délimitée par la distance minimale d’approche correspondant à la tension de la ligne. Ceci sous réserve que la végétation ne surplombe pas la ligne et du respect des distances de sécurité de 3 ou 5 mètres entre l’engin ou son outil et la ligne. Dans les autres cas, la mise hors tension est obligatoire. Pour l’abattage d’un arbre, la hauteur de l’arbre et le sens de la chute sont à prendre en considération.