Chaque année, quelque 1 000 salariés de la Base installée France de Framatome sont amenés à intervenir lors d’arrêts de tranche dans les centrales nucléaires mais aussi sur des chantiers de construction de nouveaux réacteurs. L’environnement, le temps, le matériel, la formation, l’entraînement…, tout est identifié, vérifié, répété avant l’intervention proprement dite.
« Tout arrêt de tranche d’une centrale nucléaire coûte cher. L'exploitant de celle-ci cherche donc à optimiser la durée de ces temps d’arrêt », explique d’emblée Yohan Monneret, directeur de l’établissement Chalon-Sully de Framatome, le leader international de la conception et la fourniture d’équipements, de services et de combustible pour les centrales nucléaires. Dès lors, chaque opération est minutieusement préparée : cela va de l’organisation du chantier, en passant par l’intervention, avec notamment la formation des intervenants, jusqu’à la mise à disposition du matériel.
Par exemple, le remplacement d’un générateur vapeur, l’une des pièces maîtresses d’une centrale, mobilise plusieurs centaines de personnes et de conteneurs de matériel. Une telle opération se prépare plusieurs mois, voire années, avant au sein des équipes de la Base installée de Framatome (IB), qui regroupe près de 1 700 salariés sur deux sites, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et Sully-sur-Loire (Loiret). Parmi eux, ils sont 900 à intervenir lors d’arrêts de tranche de centrales ou pour installer de nouveaux réacteurs.
Les activités principales de l'IB consistent à maintenir en état le parc existant, le moderniser pour étendre sa durée d’exploitation en sûreté et intervenir sur les constructions neuves. Cela se traduit par des opérations de montage, d’inspection, de soudage ou encore de traitement thermique. Le site de Chalon-sur-Saône s’étend sur 21,5 hectares dont 110 000 m2 de surface bâtie. Ces installations comprennent des plates-formes de formation, un vaste entrepôt de colisage/entreposage, des cellules de topométrie (mesurage dimensionnel 3D), des centres de développement de robotique et de contrôles non destructifs, et des ateliers de décontamination des outillages utilisés lors des opérations en centrales.
C’est en 2012 qu’a été initiée la démarche de prévention des troubles musculosquelettiques (TMS), dans le but d’améliorer l’ergonomie sur de nombreux postes de travail et de réduire les risques professionnels. D’ailleurs, « compte tenu du nombre de salariés, les chiffres de sinistralité sont plutôt bons », remarque Jean-Louis Grosmann, ingénieur-conseil à la Carsat Bourgogne Franche-Comté. Les premières études sur les TMS au sein des équipes de la Base installée ont commencé en 2013-2014, et ont abouti à une catégorisation du port de charges.
« On a identifié quatre niveaux de risques, explique Antoine Ducroux, ingénieur prévention des risques : si le matériel pèse moins de 5 kg, le risque est faible, il n’y a pas de restriction ; jusqu’à 15 kg, pas de restriction particulière, mais une vigilance est de mise ; de 15 à 30 kg, le port doit se faire à deux ; et enfin, au-dessus de 30 kg, la manutention mécanique est obligatoire. » Le travail en centrale ayant lieu dans un temps court, tout est anticipé, répété. « Dans les centrales, complète Olivier Théallier, le directeur sécurité et radioprotection, l’espace est contraint, et les interventions de maintenance n’ont pas toutes été prévues à la conception… Il faut donc identifier les risques pour faire en sorte que ces interventions se déroulent dans les meilleures conditions possibles. »
Partout, des aides à la manutention
C’est dans l’atelier de remise à niveau des outillages (Arno) qu’est préparée une partie du matériel nécessaire aux interventions. « Je mets à disposition des équipements variés, comme des ponts roulants, des établis, des moyens de manutention, des fraiseuses… », explique Didier Fauverteix, le responsable de l’Arno, devant un grand panneau blanc où sont indiquées les opérations en cours, ainsi que les fiches de chantier, les besoins en levage ou les permis de feu. « Devant chaque espace de travail, il y a un panneau qui mentionne les EPI obligatoires et les opérations qui vont être réalisées, pour voir si elles sont compatibles avec celles prévues dans des box voisins… », complète Maria Ogandaga-Azizet, la responsable santé sécurité environnement (SSE).
Les chariots et autres matériels de type élingues sont tous vérifiés et en libre-service. Partout, des aides à la manutention sont disponibles. Ainsi, pour remplir ou vider les caisses, les opérateurs ont à leur disposition des gerbeurs à géométrie variable leur permettant de travailler à hauteur. « Et si, par exemple, on estime qu’un chantier va être bruyant, on va essayer de l’isoler, poursuit la responsable SSE. Si ça n’est pas possible, on demandera aux personnes intervenant à proximité de porter des protections auditives. »
À l’une des extrémités du bâtiment, un conteneur blanc est en cours de chargement. Des caisses, étiquetées, sont alignées. « Le matériel qui revient est entièrement contrôlé, réparé si besoin ou remplacé. L’ensemble est géré par un logiciel de maintenance », poursuit le responsable de l’atelier. Les caisses en métal sont totalement étanches, et compatibles avec un transport de classe 7 qui concerne les substances radioactives. « Auparavant, elles pesaient 20 kg à vide. Nous avons trouvé des caisses, avec les mêmes caractéristiques, ne pesant que 5 kg à vide, remarque Antoine Ducroux. Un travail important a aussi été réalisé sur les roulettes des cadres les supportant. »
Harnais de posture
Une fois remplies, ces caisses sont pesées et leur poids indiqué à l’aide d’une étiquette de couleur différente selon le niveau de risque identifié. Elles sont ensuite empilées et déplacées sur des cadres munis de roulettes en polyuréthane, le matériau le plus adapté pour les déplacer sur des surfaces variées, de type caillebotis. Une rampe amovible permet d’accéder au conteneur. Vincent Techeng, coordonnateur de maintenance, porte un harnais de posture : « Il accompagne mes mouvements et il est agréable quand il s’agit de se baisser. Cela me soulage quand je fais des gestes répétitifs. Je le porte quelques heures par jour, par exemple pour le colisage ou le déplacement de charges lourdes. » « Ce n’est qu’une fois que toutes les autres solutions ont été explorées que nous cherchons et faisons tester des exosquelettes ou des harnais », précise Antoine Ducroux.
Dans le conteneur, pour que les caisses ne se déplacent pas lors du transport, les roulettes sont bloquées et un tapis antidérapant est glissé sous chacune d’elles. De plus, les piles de caisses ne doivent pas dépasser 1,50 m de haut pour des questions de visibilité et de sécurité. À leur arrivée sur site, elles peuvent être déchargées manuellement ou au pont roulant grâce au toit amovible du conteneur.
« Lors des interventions en centrale, il est primordial d’être bon du premier coup », lance Yohan Monneret. C’est pourquoi les techniciens s’entraînent en « situation réelle », grâce à des plates-formes dédiées. Un soudeur, par exemple, est embauché avec, généralement, plusieurs années d’expérience dans l’industrie. Avant d’être opérationnel en centrale, il sera évalué et, surtout, il passera des qualifications sur des modes opératoires et des pièces identiques à celles qu’il retrouvera lors des interventions. La plate-forme d’entraînement au soudage comprend ainsi huit box de soudage manuel, quatre pour des qualifications particulières et six pour du soudage automatique.
« Les nouveaux embauchés se forment près de trois mois aux méthodes et processus de Framatome, remarque Emir Erdogan, assistant à la plate-forme d’entraînement de soudage. Ensuite, la durée de la qualification peut aller de deux jours à une semaine. L’essentiel, c’est que le soudeur se sente à l’aise avec les travaux qu’il aura à réaliser rapidement et souvent en zone à risque [NDLR : potentiellement contaminée]. » Et si le soudeur n’est pas amené à souder pendant plusieurs mois, il repassera par la plate-forme pour maintenir ses compétences.
Autre bâtiment, autre plate-forme d’entraînement, cette fois-ci pour tout ce qui est mécanique. Ce bâtiment a été récemment rénové et la place disponible pour les entraînements agrandie. On s’y entraîne à l’usinage et aux interventions mécaniques sur les tuyauteries que l’on retrouve en centrale. Pour certaines opérations de soudage ou de meulage, nécessitant les bras en l’air, l’opérateur peut porter un exosquelette. « Nous l’avons développé avec une start-up, explique Antoine Ducroux. Il est ignifugé et parfaitement adapté à nos besoins. »
Martin Potier, l’un des soudeurs, s’équipe : veste en toile ignifugée, gants adaptés à la soudure à réaliser, casque pour la protection respiratoire équipé d’une ventilation assistée avec filtration d’ozone et de différents écrans de vision. « C’est un peu la Rolls des protections respiratoires : confortable, avec une bonne répartition des charges et une palette d’écrans de couleurs à disposition… », apprécie Jérémy Pelletier, le responsable de la plate-forme d’entraînement au soudage.
Quant à l’exosquelette, Martin Potier l'apprécie lorsqu’il travaille avec les bras au-dessus des épaules : « En centrale, nous pouvons avoir douze tuyauteries à meuler. 18 heures sont nécessaires pour en meuler une, et sur ces 18 heures, je peux porter l’exosquelette 6 heures, ce qui me soulage bien. »
« Les salariés se plaignent parfois de douleurs lors des opérations de meulage, surtout quand ils en font de façon intensive sur des temps courts. L’exosquelette, testé et adapté à leur activité, peut en effet les soulager », complète la médecin du travail.
À l’usinage, Philippe Tramois, technicien maintenance, intervient sur une pièce avec une unité mobile de chanfreinage. Pour l’heure, il est assis sur un petit siège à roulettes, mais il est souvent amené à travailler debout, de façon prolongée. Il a pu tester un exosquelette de type actif, muni d’une batterie. « En position debout, il peut m’arriver de le porter 6 heures, annonce-t-il. Il est en revanche moins adapté à la position assise. »
Une démarche d’amélioration continue
Tout au long de l’année, des études de postes sont réalisées, la dernière en date portant sur le déplacement de pompes de 35 kg dans des escaliers. « Les études peuvent être identifiées à l’occasion de la révision du document unique d’évaluation des risques professionnels ou lors de visites pluridisciplinaires, avec la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) et le service de prévention et de santé au travail. Il peut aussi y avoir des demandes métiers ou encore des situations identifiées comme dangereuses », explique Maria Ogandaga-Azizet. « Les enquêtes de types Evrest (Évolution et relations en santé au travail) ou le baromètre Icap (Indice de capacité d’adaptation professionnelle) sont également de bonnes sources d’information, elles nous donnent des pistes d’amélioration », complète Antoine Ducroux.
LES FONCTIONS SUPPORT AUSSI
Deux fois par semaine, un éveil musculaire est proposé aux personnes travaillant dans les bureaux. « Même si ça n’est pas une démarche de prévention des risques professionnels, remarque Jean-Louis Grosmann, ingénieur-conseil à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté, ça peut y participer et faire office de réunion informelle, de café du matin… Ça permet de réunir les collaborateurs. » Ce jour-là, la séance est animée par Antoine Ducroux. D’un peu partout, les salariés se rapprochent du patio où va avoir lieu la séance et suivent attentivement les consignes. Ceux en télétravail peuvent en faire de même en visioconférence. La séance dure une dizaine de minutes. Elle est proposée deux fois par semaine et les exercices varient selon les animateurs. Par ailleurs, dans les bureaux, certains collaborateurs peuvent bénéficier de bureaux réglables en hauteur pour alterner les positions de travail debout et assis, d’autres ont la possibilité de s’asseoir sur des sièges-ballons afin de soulager leurs lombaires.