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Évaluer le risque de TMS en entreprise

Faire un nouveau labo, c’est pas du gâteau !

C’est une pâtisserie-chocolaterie qui possède trois sites dans le Puy-de-Dôme, situés à Clermont-Ferrand ou à proximité. Lorsque les dirigeants ont pris la décision de regrouper une partie des activités et de créer un nouveau laboratoire tout en améliorant les conditions de travail – en particulier pour prévenir les TMS –, les choses ne se sont pas avérées si faciles.

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Delphine Vaudoux - 04/12/2025
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Vue d'une situation de travail dans l'entreprise Constant.

Le cube noir surmonté du C de Constant se voit de loin, sur l’avenue de Cournon, à Aubière, dans le Puy-de-Dôme. Cela fait tout juste deux semaines que les salariés ont investi les nouveaux locaux de l’Atelier Constant, un chocolatier-pâtissier-boulanger qui a décidé de regrouper ses activités de pâtisserie et de chocolaterie dans son nouveau laboratoire. « Là, ça va mieux, mais je dois reconnaître que ça a été très sport pendant deux semaines, d’autant que nous n’avons pas arrêté la production, sauf celle des chocolats », raconte Thierry Constant. « Chacun commence à prendre ses marques », complète son fils, Geoffrey Constant, avec qui il dirige l’entreprise. Une appropriation rapide des lieux et des outils de travail réalisée en partie grâce à l’implication de chacun et à l’intervention d’une ergonome.

L’histoire de cette lignée de pâtissiers commence avec le père de Thierry qui ouvre, en 1962, une pâtisserie à Vic-le-Comte, puis une deuxième à Longues. Cette dernière, reprise en 1998 par son fils Thierry, propose également des produits de boulangerie. En 2013, Thierry rachète La Ruche Trianon, qui comprend une boutique datant de 1902 en plein centre de Clermont-Ferrand, ainsi qu’un laboratoire et une boutique à Aubière. Cependant, il se trouve rapidement à l’étroit : « Il y a cinq ans, je me suis dit qu’il nous fallait des locaux plus grands. Je ne trouvais pas, et puis on m’a parlé d’un bâtiment à vendre qui abritait alors un couvreur. » Une fois le bâtiment acheté, il a fallu le raser entièrement pour le transformer en laboratoire pâtissier…

Pourquoi intégrer l’ergonomie dès la conception d’un nouveau laboratoire ?

C’est le binôme Geoffrey-Thierry qui mène le projet de déménagement. Il fait appel à un architecte, explique l’activité et ses besoins… « Il nous présente les plans, on travaille dessus avec mon père, on retravaille dessus, et un soir, on se dit que ça ne va pas », se remémore Geoffrey Constant. L'idée est de repartir de l’activité réelle, des besoins des salariés, de leurs contraintes… Geoffrey Constant se tourne vers un cabinet d’ergonomie référencé par la Carsat Auvergne, Aphos ergonomie. Objectif : se faire accompagner pour ce projet de nouveau lieu de travail et pour la réduction des TMS. « On a réalisé un diagnostic de l’existant, en le croisant avec les enjeux futurs », explique Coralie Lépron, ergonome au sein du cabinet.

UNE RÉALISATION LARGE ET – PRESQUE – COMPLÈTE

Bilan de la conception et de l’aménagement des locaux :

  • de grands espaces avec tout à portée de main (frigos, four et machine de découpe à l’eau dans des espaces distincts) ;
  • des flux simplifiés ;
  • des aides à la manutention : chariots, transpalettes, échelles, et bientôt un transpalette à hauteur réglable ;
  • des puits de lumière pour apporter la lumière du jour ;
  • un sol antidérapant et une autolaveuse.

Ce qu’il reste à faire :
 

  • des plans de travail réglables en hauteur, jugés un peu chers. Mais deux hauteurs de plans permettent aux pâtissiers de choisir leur poste ;
  • toutes les prises ont été positionnées en hauteur pour ne plus avoir de fils électriques au sol, mais à l’usage, il faudrait investir dans des poteaux réglables en hauteur pour que les prises soient plus accessibles.

« Elle a passé du temps avec chacun d’entre nous, complète Charlotte Cavard, la responsable du laboratoire. Elle a observé notre quotidien, nos gestes, notre matériel, nos déplacements. Elle a filmé, pris des photos… Elle m’a beaucoup questionnée sur mon travail, les manutentions, le port de charge, nos gestes. » Bien entendu, tous les entretiens étaient confidentiels. « J’étais loin d’imaginer que son intervention nous apporterait autant… cela m’a permis de grandir », concède Geoffrey Constant. « L’intervention d’une ergonome permet d’aborder tous les sujets, sans tabou et avec un œil extérieur. Les phases d’observation et d’échanges permettent d’aller au fond des choses et aux personnes de se questionner sur leur travail », remarque Bénédicte Tarnaud-Friot, ingénieure-conseil à la Carsat Auvergne, qui a assisté à la restitution du cabinet d’ergonomie.

Le travail de diagnostic débouche sur de nouveaux plans, d’abord en 2D puis en 3D. « L’ergonome s’est appuyée sur le logiciel Mavimplant, un outil d'aide à la conception 3D des lieux de travail, remarque Bénédicte Tarnaud-Friot : son travail a surtout porté sur des solutions organisationnelles, car il fallait tenir compte du fait que beaucoup de matériel venait de l’ancien labo. » « Cela a permis à chacun de se projeter dans les nouveaux locaux, de voir si les flux étaient bons, si on avait assez de place pour travailler sans se gêner. C’était très intéressant de s’immerger », insiste Charlotte Cavard.

Des aménagements ergonomiques concrets pour réduire les gestes contraignants

Derrière la boutique claire et lumineuse, se trouve l’atelier consacré à la viennoiserie. Charlotte Ganne, une pâtissière, prépare des fonds de tarte : « J’ai désormais tout à portée de main, les frigos sous mon plan de travail, la machine à foncer, moins de gestes contraignants et plus d’espace pour évoluer… ce qui a supprimé des contraintes mises en évidence par le diagnostic. Je pense que l’on porte moins et que l’on perd moins de temps. » Le sol antidérapant, choisi sur la liste de la Cnam, est doté de caniveaux placés sous certaines tables mobiles pour faciliter le nettoyage. « Nous avons accompagné l’entreprise avec un contrat de prévention. Dans ce cadre, pour compléter le choix du carrelage anti-dérapant, nous avons demandé l’achat d’une autolaveuse pour limiter les gestes contraignants pouvant être à l’origine de TMS lors des nettoyages quotidiens », complète l’ingénieure-conseil.

Vue d'une situation de travail dans l'entreprise Constant.

La pièce suivante abrite le laboratoire de pâtisserie. 163 m2, soit trois fois plus grand que le précédent. Et surtout, tout autour, de très nombreuses portes desservant les nouveaux espaces de travail : là le four, ici la plonge, ou encore la machine de découpe au jet d’eau… « Tout est accessible rapidement. On ne savait pas trop comment l’exprimer, mais c’est ce que l’on voulait » remarque Geoffrey Constant. Avant de réaliser les implantations, tous les meubles ont été mesurés, positionnés sur des plans 2D puis 3D. « Les architectes savent lire des plans, nous non. Le passage à la 3D nous a permis de les rendre concrets », poursuit le chef d’entreprise.

Sur un des pans de mur du labo, quatorze portes de frigo sont étiquetées avec les noms des différentes spécialités pâtissières de la maison. Rapatriés de deux sites distincts, ils permettent aux pâtissiers d’y stocker à tout moment les gâteaux semi-finis, un vrai plus aux yeux de tous. Deux semaines après le déménagement, Geoffrey Constant avouait pouvoir commencer à souffler. Lorsqu’on lui demande si c’était à refaire comment il procéderait, il répond sans hésiter : « Je ferais intervenir l’ergonome beaucoup plus tôt, dès l’étape de projet, pour avoir une bonne analyse de nos besoins, construire avec l’ergonome et les salariés un cahier des charges de nos besoins avant de consulter l’architecte et être plus performants. »

LE TÉMOIGNAGE DE...

Ferdinand Monéger, président d’Aphos ergonomie

« Le recours à un ergonome permet de mettre en lumière de très nombreuses spécifications de nature très différentes : architecturales, techniques, organisationnelles, humaines. Elles assurent l’efficacité des usages de demain et permettent d’éviter de nombreuses situations critiques. Mais ce qui rend ce type de démarche essentielle dans une perspective de performance durable, c’est le processus de conduite de projet fondamentalement participatif. En rendant les professionnels acteurs du changement, on les fédère autour d’un projet commun, on les fidélise, on les engage durablement dans l’entreprise. On s’assure de l’acceptation et de l’assimilation du changement. Saisir ce type d'opportunité est fondamental dans  la période actuelle où on constate une recrudescence des RPS, des difficultés d’attractivité, des difficultés à prévenir les TMS et les accidents du travail. »

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