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Évaluer le risque de TMS en entreprise

Des environnements mouvants qui compliquent la tâche

En février dernier, les dirigeantes du Mas au service des familles, Société coopérative et participative (Scop) varoise d’aides à domicile, ont fait appel à une ergonome extérieure pour évaluer le risque de TMS pour leurs salariés. Un travail en plusieurs étapes, qui a débouché sur un plan d’actions, alliant mesures techniques et organisationnelles.

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Corinne Soulay - 04/12/2025
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Illustration d'une situation de travail d'une aide à domicile.

Gisèle [NDLR. Certaines personnes ayant souhaité rester anonymes, leur nom n'est pas cité.], 75 ans, est l’une des 200 bénéficiaires de la Scop d’aides à domicile, le Mas au service des familles, située à La Farlède, dans le Var. Du lundi au vendredi, elle reçoit chez elle des salariés de cette structure pour des prestations variées. Entretien, courses alimentaires, accompagnement à la pharmacie… Ce matin, c’est Valentine, tenue sportive et sourire vissé aux lèvres, qui intervient pendant deux heures. Missions du jour : poussières, lavage des vitres, nettoyage du sol et promenade d’Efy, le petit chien aveugle de Gisèle. L’appartement, un F2, constitue un environnement de travail confortable pour l’aide à domicile : quelques meubles, pas de tapis, peu de bibelots… Autrement dit, de l’espace pour circuler et passer l’aspirateur avec un minimum de postures contraignantes, et une décoration épurée qui ne nécessite pas de gestes répétitifs pour l’époussetage.

En somme, le risque de troubles musculosquelettiques (TMS) est limité. D’autant plus qu’un récent changement de matériel a amélioré les conditions de travail de Valentine : « Auparavant, je disposais d’une serpillière à franges, à essorer à la main, ce qui demandait des efforts. Désormais, j’utilise un balai plat à housse microfibres, avec manche télescopique et système d’essorage intégré au seau, qui n’exige plus de se baisser ou de manipuler la serpillière. »

Depuis plusieurs années, Sylvie Giloux et Carole Trafny, à la tête de la Scop, ont fait de la prévention des TMS une priorité. « Tous nos aides à domicile – 25 femmes et 3 hommes – reçoivent la formation d’acteur prévention secours du secteur de l’aide et du soin à domicile (Acteur prévention secours du secteur de l’aide et du soin à domicile - APS ASD). Ils savent donc repérer les situations dangereuses et les faire remonter », explique Sylvie Giloux. Une visite d’évaluation préalable est en outre organisée à chaque nouveau bénéficiaire. « Je me rends à leur domicile pour analyser le futur environnement de travail des salariés, le matériel à disposition pour réaliser les prestations et, si possible, proposer des aménagements ou solutions pour réduire les facteurs de risque », détaille Nadia Louis, qui s’occupe aussi d’organiser les plannings des salariés.

Chez Gisèle, par exemple, compte tenu du poids des chaises du salon, il a été décidé que les aides à domicile ne les mettraient pas sur la table pour passer la serpillière. « Ce qui est difficile dans notre secteur, c’est que chaque domicile correspond à un environnement de travail différent et mouvant, en fonction de l’évolution de l’état de santé des bénéficiaires et de leur logement. Nous sommes aussi tributaires du bon-vouloir des familles auxquelles c’est parfois difficile de demander des investissements ou des changements d’habitudes », pointe Carole Trafny.

Pourquoi faire appel à une ergonome améliore la prévention des TMS

En 2014, à cause d’une sinistralité importante liée aux TMS et aux lombalgies, la Scop avait été ciblée par la Carsat, dans le programme TMS Pros (2014-2017). Elle s’était alors appuyée sur un alternant en HSE (hygiène, santé, environnement) pour déployer la méthodologie et les outils d’évaluation associés. « Le résultat était plutôt positif, se rappelle Isabelle Compiègne, contrôleuse de sécurité à la Carsat Sud-Est. Des actions avaient été mises en place, comprenant des formations, l’acquisition d’aides techniques et la formalisation d’un parcours d’accueil des nouveaux embauchés. » Des kits contenant différents outils (ceinture et disque de transfert…) ont ainsi été mis à la disposition des salariés pour les transferts de personne à mobilité réduite, du fauteuil au lit, par exemple.

Illustration d'une situation de travail dans le secteur de l'aide à domicile.

L’année dernière, en 2024, la lutte contre les TMS a connu un nouvel élan : la Scop est à nouveau ciblée TMS Pros. Se pose alors la question du choix de la personne chargée d’analyser les situations de travail. « Cela pouvait être une personne ressource, en interne, mais cela nécessitait de trouver le bon profil, de la former afin qu’elle acquière les compétences nécessaires, de lui octroyer du temps pour qu’elle fasse les évaluations, avec le risque, dans ce métier où le turnover est important, qu’elle parte et qu’il faille tout recommencer à zéro, expose Isabelle Compiègne. Leur choix s’est donc porté sur une consultante, du réseau TMS Paca, ce qui permettait d’avoir un regard extérieur. » Sa prestation a pu être en partie prise en charge (7 840 € financés sur 11 200 €) par la subvention risques ergonomiques de l’Assurance maladie-risques professionnels.

En février dernier, Esméralda Thomas, ergonome et psychologue du travail, a donc rencontré le comité de pilotage du projet constitué des dirigeantes, de Nadia Louis et de Isabelle Szabo, la chargée d’accueil. Une communication a été faite pour présenter la démarche auprès de tous les salariés. Puis l’ergonome a débuté les observations de l’activité au domicile de bénéficiaires ou en extérieur (courses, promenade des animaux). « J’ai aussi organisé des entretiens avec douze aides à domicile volontaires, soit individuellement ou par petits groupes, pour celles et ceux qui se sentaient plus à l’aise dans cette configuration », précise Esméralda Thomas.

« C’était important que ce travail soit participatif : les salariés, sur le terrain, sont les mieux placés pour être sources de propositions. »

Ce travail a permis d’identifier des facteurs de risques de TMS, biomécaniques (postures contraignantes ou maintenues lors du ménage, port de charges lourdes pendant les courses, gestes répétitifs…), mais aussi organisationnels, psychosociaux (intensité et temps de travail, exigences émotionnelles liées à la confrontation à des personnes souffrantes et à des décès, autonomie…), ou liés à l’ambiance physique de travail (contraintes thermiques…). « Cela a aussi été l’occasion de repérer des facteurs protecteurs, comme certains équipements ou organisations, souligne l’ergonome. L’idée étant, si possible, de s’en inspirer ou, au minimum, de veiller à ne pas les supprimer. »

Deux groupes de travail ont ensuite été formés, impliquant chacun six aides à domicile, pour réfléchir collectivement à des pistes d’amélioration. « C’était important que ce travail soit participatif : les salariés, sur le terrain, sont les mieux placés pour être sources de propositions », complète la consultante. Une première restitution a eu lieu début juillet avec le Copil afin d’élaborer un plan d’actions, prenant en compte les propositions et les paramètres de faisabilité (ressources financières, humaines…) et une seconde devait avoir lieu à destination des salariés.

Mesures concrètes de prévention des TMS : les actions mises en place par la Scop

« Ce plan d’actions, qui préconise d’agir sur des leviers de natures diverses – moyens matériels, agencement et environnement, organisation, communication et formation – offre des pistes intéressantes », estime Isabelle Compiègne. Des échéances, plus ou moins longues, ont été assignées à chaque mesure, certaines étant plus complexes à mettre en œuvre que d’autres. D’ores et déjà, des changements de petits matériels (la serpillière par exemple) ont pu être réalisés, tout comme certaines évolutions organisationnelles.

« Ce plan d’actions a permis de confirmer l’intérêt de certaines pratiques que nous avions déjà : par exemple, nous avons systématisé le principe d’une immersion en binôme pour les nouveaux embauchés, pour une prise de poste plus sereine », note Sylvie Giloux. « Nous adaptons par ailleurs, autant que possible, les plannings de manière à limiter l’enchaînement des heures de ménage ou à répartir les prestations de courses sur plusieurs jours pour réduire la charge », souligne Nadia Louis. Des réunions régulières avec toutes les aides à domicile vont également voir le jour, pour favoriser les échanges de bonnes pratiques et permettre aux salariés de mieux se connaître.

Une situation de stress était aussi remontée, liée au fait que les salariés ont parfois des difficultés à trouver le domicile de certains bénéficiaires, notamment en zone rurale. Les coordonnées GPS de ces adresses complexes sont désormais mises à leur disposition. D’autres actions exigeront des discussions avec les familles : surélever les machines à laver, changer la hauteur du fil à linge, acquérir un lit médicalisé… Dans six mois, l’ergonome fera un point sur l’avancée du plan d’actions et évaluera son efficacité.

ACCOMPAGNER ET FORMER

Chaque nouvel embauché bénéficie d’un guide du nouvel arrivant et d’un accompagnement spécifique. « Il y a une première phase d’accueil, au siège de la Scop, afin de leur présenter l’activité, mais aussi de les sensibiliser aux risques professionnels auxquels ils pourront être exposés, explique Carole Trafny, responsable du Mas au service des familles. Pour ce faire, j’utilise TutoPrev’ Accueil “Aide à la personne à domicile et en établissement”, un outil de l’INRS qui s’appuie sur des planches illustrées représentant différentes situations de travail. L’idée est d’amener le salarié à repérer les situations à risque et de réfléchir à des solutions de prévention à mettre en œuvre. » Débute ensuite une période d’immersion où le nouvel embauché se rend au domicile des bénéficiaires, épaulé par un ou une aide à domicile, expérimenté. Tous les salariés sont formés APS ASD (acteur prévention secours du secteur de l’aide et du soin à domicile), avec un recyclage tous les deux ans, puis reçoivent des formations régulières, à raison de cinq par an, tout au long de leur carrière (bientraitance, connaissance des troubles cognitifs, communication non verbale…).

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