Spécialisé dans la transformation de produits issus du canard, le site Delpeyrat de Saint-Pierre-du-Mont, dans les Landes, s’est engagé dans une démarche globale de prévention des troubles musculosquelettiques (TMS). S’appuyant sur le management intermédiaire et l’écoute des collaborateurs, l’entreprise avance résolument dans sa démarche d’amélioration continue.
Foies gras, magrets, confits ou autres plats cuisinés… À Saint-Pierre-du-Mont, dans les Landes, Delpeyrat met en œuvre tout son savoir-faire pour préparer les incontournables des fêtes de fin d’année. Chaque jour, trois navettes en provenance des abattoirs approvisionnent l’usine landaise en foies et viandes de canard, prêts à être transformés. Dans ses 20 000 m2 d’ateliers de production, la filiale du groupe coopératif Maïsadour a élaboré ici, en 2024, plus de 4 500 tonnes de produits finis : viandes et foies gras crus, foies gras transformés, confits et graisses de canard, plats cuisinés. En haute saison, 160 saisonniers viennent en renfort des 380 salariés (dont 230 en production).
Pour tous, la sécurité est portée avec la même force. « Depuis mon arrivée sur le site au poste de directeur en septembre 2023, je m'attache à laisser plus de place à l'écoute afin d'identifier les meilleures solutions avec les salariés sur les postes de travail », explique Laurent Castaignos. S’il a impulsé le changement, il n’y a pas travaillé seul. « C’est un travail collectif, porté au quotidien par Laurent Pujol, l’animateur sécurité », insiste-t-il.
L’an dernier, avec le lancement d’un outil d’e-learning disponible en plusieurs langues, le livret d’accueil a été dématérialisé. Le format papier était difficile d’accès pour les jeunes salariés, les personnes maîtrisant mal le français ou ayant des difficultés de lecture. L’outil lit à voix haute le contenu affiché à l’écran, ce qui simplifie l’accès aux bonnes pratiques en matière de qualité, de sécurité et de savoir-vivre.
« Nous demandons aux agences d’intérim de faire suivre la formation avant l’arrivée sur site, avec vérification lors de l’accueil. Pour nos CDD et saisonniers, elle est dispensée dans la première semaine de présence », complète Laurent Pujol. Pour la préparation des fêtes de 2024, aucun accident n’a touché les intérimaires ou les saisonniers.
« Quelqu’un me rappelle comment on sécurise les déplacements dans l’usine ? » Il est 10 heures et Pauline Vanderstraeten, la responsable de l’atelier foie gras, lance le MVP1, première déclinaison du « management visuel de la performance » déployé sur le site. Ce rendez-vous qui réunit les collaborateurs à chaque prise de poste permet de revenir sur les événements sécurité de la veille ou du matin (une autre équipe a commencé à 4 heures), de faire des étirements, d’échanger sur la qualité et la performance de l’atelier et de rappeler les règles d’or. « On se tient à la rampe dans l’escalier », « Je me mets à l’écart des chariots en mouvement », « Je ne cours pas »… Chacun contribue à la discussion. Puis, s’appuyant sur l’activité opérationnelle, la responsable d’atelier passe des consignes. Un moment propice à la coordination d’équipe en temps réel.
Autre rendez-vous, le MVP2 concerne l’encadrement intermédiaire et les services support et maintenance, qui se rencontrent une fois par semaine, pour faire le point sur les actions sécurité et qualité en cours. Enfin, tous les jours, à 10 heures, le directeur de site, les responsables et les chefs d’atelier, l'animateur sécurité, et, enfin, les responsables maintenance, qualité et expédition/logistique se réunissent pour un relevé d’indicateurs, que chacun renseigne sur un grand tableau mural. C’est le MVP3.
« Ça permet de n’oublier personne dans la chaîne de transmission, souligne Frédéric Rollin, le responsable de l’atelier cru. Tous ces temps communs ont créé une dynamique et favorisent les remontées du terrain. » « Cette année, nous avons également lancé une newsletter santé, sécurité et qualité de vie au travail, ajoute l’animateur sécurité. Pour communiquer sur les actions les plus récentes. » Parmi elles, la limitation des hauteurs de palettes à 1,40 mètre matérialisée sur les murs, pour prévenir les risques de TMS des épaules et du dos. Autre règle : le poids des contenants a été limité à 15 kg. Et les abattoirs ont joué le jeu.
La lutte contre les TMS est d’ailleurs au cœur de nombreuses initiatives. « L’entreprise a rejoint le programme national TMS Pros, créé un comité de pilotage, formé une personne ressource. Elle s’appuie sur un binôme directeur/animateur sécurité efficace et un dialogue social solide », constate Laurent Brauner, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine. à l’atelier foie gras, des résultats concrets ont été obtenus. Auparavant, les opérateurs, positionnés en travers de la ligne, remplissaient les bocaux en sollicitant toujours le même bras.
Une analyse collective de l’activité a abouti à la mise en place d’une portionneuse automatique pour alimenter la ligne, totalement réorganisée. Les opérateurs, qui font désormais face au convoyeur, récupèrent le foie gras pour le tasser dans le bocal. « Une pesée avec affichage rouge/vert supprime la charge mentale liée au contrôle du poids. Le dispositif a été testé six mois avant sa mise en place et contribue aussi à améliorer la qualité du produit puisque les foies sont mieux tassés », souligne Pauline Vanderstraeten. Malgré tout, certains ont indiqué avoir encore besoin de se pencher pour récupérer le produit. Des tablettes plus courtes seront donc prochainement intégrées à la ligne pour leur permettre de faire glisser les bocaux plutôt que de les prendre.
« Les équipes voient que l’on s’intéresse à leur travail, que l’on entend leurs contraintes pour la recherche de solutions », indique Damien Pierrot, infirmier en santé au travail dans l’établissement. Les études de poste ont également permis d’améliorer l’atelier des autoclaves, où les produits sont cuits. Auparavant, les paniers remplis étaient poussés et tirés avec une canne. Aujourd’hui, le chargement est automatique : il suffit d’appuyer sur un bouton. Les deux plus gros autoclaves ont été équipés et le dispositif devrait être étendu aux autres.
Sur la zone de conditionnement, l’action menée pour prévenir les TMS a transformé l’activité. En 2021, une première zone a été automatisée, pour vider les paniers de cuisson provenant des autoclaves et reconstituer des palettes « en blanc », qui seront étiquetées en fonction des commandes, pour coller aux besoins réels des clients. Précédemment, tout était fait manuellement et les opérateurs constituaient un stock de produits étiquetés. « Les paniers vides sont déposés sur un chariot que je récupère grâce à un bras métallique fait maison », précise François Comet, un opérateur.
Un peu plus loin, la pose des étiquettes est elle aussi automatisée, ce qui a permis de supprimer manutentions et gestes répétitifs. « Les opérateurs ont appris à travailler avec des écrans et des machines. Ils font du contrôle de ligne, du changement de format. La formation a été un challenge, mais cela a conduit à une montée en compétences qui valorise le travail », témoigne Nordine Khenafou, un chef d’équipe.
Du côté de la préparation des commandes, les opératrices avaient l’habitude d’étiqueter manuellement et quotidiennement deux tonnes de magrets dans un espace peu sécurisé, au milieu des circulations de chariots. Là aussi, l’ensemble des acteurs ont été mis autour de la table et des tests ont été réalisés avec une machine disponible. « Le travail se fait désormais dans une zone calme, plus proche des frigos, sans se courber, sans gestes répétitifs », constate Sandrine Villenave, une opératrice. Des transpalettes de mise à niveau sont utilisés pour l’alimentation de la machine et la récupération des produits.
« Dans un premier temps, on avait mis en place l’alternance. C’est l’un des postes sur lequel nous étaient signalées les plus fortes contraintes. Les instances représentatives sont impliquées dans le travail de suivi et les points d’avancement », précise Nicolas Tourraton, membre du CSE et de la CSSCT. « Les idées viennent du terrain. Elles ne se décrètent pas depuis un bureau », insiste Laurent Pujol. Parfois, cela implique de se réorganiser. Bernadette Dufau, par exemple, pour préparer les échantillons commerciaux, a dû se déplacer lors de la réorganisation de l’atelier étiquetage. « J’étais réticente au départ, mais j’ai pu exprimer mes besoins pour l’aménagement du poste, où je ne suis plus exposée ni au bruit, ni au froid », assure-t-elle.
Si l’entreprise est désormais autonome dans son action, elle partait de loin. « Du fait de la sinistralité du site, nous sommes entrés dans le programme TMS Pros dès 2014 », se souvient Nadine Lahiton-Couture, une élue au CSE, désormais au service des travaux neufs, après un long parcours dans l’entreprise qui a débuté en 2001 en production, à l’atelier confits. Aujourd’hui, elle est également membre du Conseil d’administration de la Carsat Aquitaine, de la Commission régionale des accidents du travail et maladies professionnelles et du Comité technique régional. « Ces mandats ont été facilitateurs pour faire connaître ce que la Carsat pouvait mettre à disposition, mettre l’employeur face à ses responsabilités, à une époque où ce n’était pas toujours facile. Via le comité technique, j’avais connaissance de bonnes pratiques mises en œuvre par certains employeurs de la branche », explique-t-elle.
Elle mesure le chemin parcouru, et rappelle que les résultats obtenus sont le fruit d’un engagement fort de la direction. Aujourd’hui, tout événement indésirable ou presqu’accident donne lieu à une analyse. L’entreprise favorise la vigilance partagée, incitant chacun à remonter l’information sans jamais se contenter d’un simple « ouf, j’ai eu chaud ».
Retour à l’atelier foie gras, où a lieu une visite de sécurité (VDS). Émilie Moumique, cheffe d’équipe, et Laurent Pujol observent Corinne Bourguet, animatrice de ligne, à son poste de travail : approvisionnement en matière première, pesée, tassage et mise en barquette coque avant fermeture. Une fois encore, c’est l’occasion de rappeler quelques règles d’or et bonnes pratiques. Après 20 minutes d’observation, place à l’échange. Corinne explique que le transpalette qu’elle utilise pour alimenter la ligne est difficile à manipuler. « Chaque retour compte et la crédibilité se joue dans la suite donnée aux questions soulevées. Si l’on revenait dans six mois sans s’en être préoccupé, ça ne fonctionnerait pas », estime Laurent Pujol. C’est cette attention quotidienne, au plus près du terrain, qui nourrit la dynamique de prévention et la confiance des équipes.