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Les cliniques et hôpitaux

Face à la violence, l’esquive est tout un art

Dans le XIVe arrondissement de la capitale, l’hôpital Paris Saint-Joseph a mis en place des actions visant à réduire les risques de violences externes. Entre organisation, dispositifs d’alarme et techniques d’évitement dérivées de mouvements d’aïkido, l’établissement permet à ses salariés, notamment ceux de son service d’urgences, de travailler plus sereinement.

5 minutes de lecture
Damien Larroque - 14/03/2023
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Des soignants sont formés à l'aïkido.

« Si les études pour devenir soignant apprennent à toucher autrui, elles ne disent rien des comportements à adopter lorsque le professionnel de santé est touché à son tour », constate Cyrille Bertin, coordonnateur prévention du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Il s’agit pourtant d’une réalité du métier. Un individu alcoolisé trop entreprenant avec une infirmière, un patient présentant des troubles psychiatriques qui devient agressif ou une personne angoissée pour elle-même ou un proche qui se laisse submerger par la colère… Autant de situations au cours desquelles les professionnels de santé peuvent être blessés, que ce soit psychologiquement ou physiquement.

L’HÔPITAL PARIS SAINT-JOSEPH

L’hôpital Paris Saint-Joseph se situe dans le XIVe arrondissement de la capitale. En fusionnant en 2020 avec l’hôpital Marie-Lannelongue, implanté dans les Hauts-de-Seine, le groupe hospitalier est devenu, en taille, le premier établissement de santé privé d’intérêt collectif de France. Aujourd’hui, ses effectifs atteignent 3 715 collaborateurs qui rendent annuellement possibles 97 975 séjours et 55 538 passages aux urgences dans les 961 lits et places de ses nombreux services.

Afin de prévenir ces violences externes, l’hôpital Paris Saint-Joseph mise sur la qualité de son accueil pour éviter les tensions. Mais, face à des jugements altérés, des paroles empathiques ne suffisent pas toujours à empêcher que la situation ne dégénère. Particulièrement concerné par cette problématique, le service des urgences est équipé de boutons « coup de poing » dans chaque box de consultation et d’accueil. Ces boutons déclenchent une alarme permettant au personnel alentour de porter assistance à un collègue en difficulté.

« Nous avons également fourni aux urgentistes des dispositifs qui émettent un son de 90 décibels quand on tire dessus, ajoute Cyrille Bertin. Nous avons en outre instauré la bonne pratique selon laquelle les soignants ne doivent pas se retrouver seuls avec un patient alcoolisé ou agité. Accompagnés d’un collègue surveillant la personne soignée, ils peuvent ainsi se concentrer sereinement sur le soin. » De plus, le soin doit être organisé de façon que le patient ne se retrouve pas entre la sortie et le soignant, afin de pouvoir s’extraire facilement de la pièce.

SANS OUBLIER LES RISQUES BIOLOGIQUES

Avec les expositions au sang et autres fluides corporels, les risques biologiques font partie intégrante du quotidien des soignants. Pour protéger ses équipes, l’hôpital Paris Saint-Joseph ne retient que des dispositifs sécurisés (anti-piqûres). Ces derniers sont soit passifs, comme sur les cathéters – une fois la voie posée, un bouclier protecteur neutralise le biseau au retrait de l’aiguille –, soit actifs, comme sur les aiguilles de prélèvement ou d’injection qui nécessitent de positionner par pivotement la protection sur l’aiguille. De plus, des lunettes de haute qualité sont fournies pour protéger les yeux des projections. Plus chères que les visières souples auparavant à disposition, elles ont l’avantage de ne pas déformer la vision et sont donc mieux acceptées par les soignants.

Mais, parfois, tout va très vite. Comment réagir lorsqu’on vous agrippe ou que l’on essaye de vous frapper ? « Se transformer en membre du GIGN bardé de protections n’est pas une option. Cela entraverait les mouvements et rendrait compliqué tout acte un tant soit peu précis, affirme Cyrille Bertin. J’ai eu vent d’un établissement de santé angevin qui formait ses salariés à un art martial, non dans l’idée de rendre les coups, bien entendu, mais plutôt d’apprendre des techniques de déplacement, d’évitement ou d’immobilisation. » Le préventeur explore donc cette idée en compagnie d’une collègue, Yamina Khodja, monitrice 5e dan d’aïkido. Ils identifient les mouvements transposables au contexte du soin, avec trois objectifs en ligne de mire.

Éviter et immobiliser sans blesser

Le premier est d’apprendre à se déplacer aisément dans un espace réduit avec obstacles puisque les box comme les couloirs sont souvent encombrés de matériels et de patients. Même si, idéalement, il faudrait au départ des espaces mieux organisés. Le second vise à enseigner les gestes permettant de se saisir de la personne et de l’immobiliser sans générer de douleur. Troisièmement, comment éviter de se faire empoigner ou de prendre un coup. Une fois le programme établi en 2016, les formations ont été menées en continu pendant trois ans. « La baisse du nombre de soignants blessés à la suite d’agressions et la diminution de la durée des arrêts qui en découlent ont démontré l’efficacité de la démarche », se félicite Cyrille Bertin qui a animé les sessions jusqu’en 2019, année où il quitte son poste de cadre des urgences pour son actuelle affectation aux ressources humaines.

Bouton d'alarme coup de poing.

Trois ans plus tard, en 2022, un nouveau cycle est lancé car, en raison du turn-over, le personnel formé est devenu minoritaire. « Nous avons tous déjà été confrontés à des situations périlleuses. Aussi, quand nos collègues les plus anciens nous ont parlé de leur expérience positive avec cette formation, nous avons fait savoir à notre hiérarchie que nous étions intéressés », raconte Lucie Lebret, une infirmière, alors qu’elle participe à un cours. « Non, tu ne dois pas tourner le dos à un patient qui avance vers toi. En déplaçant d’abord ce pied, tu pourras l’éviter tout en te protégeant avec les bras, lui explique Cyrille Bertin tout en mimant le geste juste. Attention, si tu attrapes son avant-bras ainsi, il pourra tout de même te griffer puisque l’articulation de son poignet est libre », prévient-il.

Pour prévenir les violences externes, l’hôpital Saint-Joseph a donc su s’appuyer sur des actions de prévention organisationnelles et techniques complétées d’une formation innovante. Si les équipes restent inévitablement exposées, puisque l’exercice de leur métier implique la proximité physique avec les patients, la démarche de l’établissement permet de limiter efficacement les conséquences les plus graves de ces imprévisibles passages à l’acte.

DÉPENSER POUR ÉCONOMISER

Dans sa quête d’amélioration des conditions de travail, le groupe hospitalier Paris Saint-Joseph se penche aussi sur les TMS. Afin de faciliter la manutention des patients, les soignants sont formés à les amener à réaliser tous les mouvements dont ils sont capables. « Dans le cadre du soin, c’est bénéfique pour nos patients qui préservent leur autonomie tout en protégeant les salariés, souligne Cyrille Bertin, coordonnateur prévention. Ce qui ne nous empêche pas d’investir dans des équipements d’aide à la manutention. En sus de lève-malades sur rails et mobiles, nous nous sommes équipés pour 40 000 euros de draps de glisse qui nous ont permis d’économiser, sur onze ans, 1,5 million d’euros en arrêts de travail selon une estimation de Christian Trontin de l’INRS. » Actuellement, une campagne de tests de différents brancards est menée dans le cadre d’un appel d’offres. « Le retour des équipes est primordial. Intégrer les premiers concernés aux réflexions sur les conditions de travail permet d’éviter les mauvais choix », assure Cyrille Bertin.

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