Travail & Sécurité. Quels effets de la réforme avez-vous perçus sur les instances représentatives ?
Stéphane Jégo. Le CSE est une instance clairement devenue plus politique. On savait que ça allait représenter beaucoup de sujets à traiter avec moins de moyens, que ça s’annonçait tendu… et ça l’est. Sur certains sujets d’actualité, on peut travailler de manière collégiale et pluridisciplinaire. Il y a des rapprochements qui se sont faits entre nos sujets et d’autres sphères, donnant parfois à la santé et aux conditions de travail un argument d’autorité, ce qui était la limite du CHSCT. Mais tout ceci est contraint par les moyens, le cadre réglementaire, les questions environne- mentales, etc.
Boris Vieillard. Quand on voit que les suppléants n’ont pas le droit de siéger en CSE, sauf si cela est prévu par un accord, ça s’avère vite compliqué. À titre personnel, je n’avais pas de problème a priori avec la fusion des instances. Mais encore aurait-il fallu que les élus soient assez nombreux, qu’ils aient un nombre d’heures de délégation suffisant et les moyens d’exercer leurs prérogatives. On constate aussi un enjeu d’articulation entre les CSE, les CSSCT et les représentants de proximité (quand il y en a), qui n’est pas toujours assez bien pensé dans les accords de fonctionnement du CSE.
À quel niveau constatez-vous les plus grands changements ?
B. V. Avec des réorganisations qui s’enchaînent, les CSE doivent de plus en plus « choisir » où ils veulent mandater un expert, sur quoi ils veulent se battre, où mettre leurs forces. Autre effet de la réforme, c’est la contraction des délais d’expertise sur le risque grave. Auparavant, ces délais n’existaient pas, donc il y avait plus de souplesse dans la manière de mener une expertise. Les CSE sont aussi plus centraux, donc plus éloignés du terrain.
S. J. Un CSE, aujourd’hui, a une multitude de sujets extrêmement hétérogènes à l’ordre du jour. De facto, de manière opérationnelle, il y a une réduction des moyens. Or la sécurité au travail, c’est quand même des moyens, des présences locales, de l’investigation de terrain, des inspections... Donc du temps de délégation, des investissements en temps et en argent. Néanmoins, on constate que les sujets de santé-sécurité-conditions de travail restent bien identifiés et prioritaires, tant chez les représentants du personnel qu’au sein des CSE.
Depuis la réforme des CSE, êtes-vous sollicités sur de nouveaux sujets ?
B. V. On reçoit des demandes très hétérogènes. Nous aidons notamment les CSE à décrypter la loi santé au travail. Vu que dans le cadre de cette loi, l’information-consultation sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est désormais obligatoire, on est sollicités pour apporter notre regard d’experts : comment avoir un DUERP connecté à une évaluation des risques qui soit au plus près du terrain ? Quels conseils donner aux CSE pour améliorer les choses et savoir négocier avec les directions ?...
S. J. Cela nécessite de notre part beaucoup de pédagogie et d’accompagnement qui étaient un peu moins poussés avec les CHSCT, dont les acteurs étaient plus spécialisés. On accompagne par exemple des CSE de grands groupes à la structuration stratégique de leur politique de prévention. Au regard de la réglementation, extrêmement évolutive, on doit apporter de l’information pratico-pratique. Il y a de grandes thématiques liées aux mouvements économiques de la période. Par exemple, l’an dernier, beaucoup de nos missions ont porté sur la mise en place d’un accord de télétravail ou sur la réduction des espaces de travail chez l’employeur.
UN RENOUVELLEMENT DES INSTANCES À VENIR
Une proportion importante de CSE va être renouvelée en 2023. Qu’en sera-t-il des élus ? « On ne sait pas encore, répond Stéphane Jégo. Peut-être cette échéance fera-t-elle peu l’objet de changements de personnes, et la prochaine beaucoup plus du fait du non-renouvellement des mandats. » « C’est un gros point d’interrogation, considère pour sa part Boris Vieillard. Je me dis que ceux pour qui c’était une première mandature, après avoir passé les années qu’ils viennent de passer, avec la Covid, qui les a mobilisés dans des proportions incroyables sur des sujets que personne ne maîtrisait, auront-ils envie d’y retourner ? Est-ce que ça ne les a pas complètement rincés et usés ? On a senti dans cette période beaucoup de fatigue chez nos interlocuteurs. Chez les nouveaux mais aussi chez les anciens. Le rythme des informations-consultations s’accélère, les réorganisations s’enchaînent, donc les élus sont parfois broyés dans la machine. »