Blague crue, remarque grivoise, propos ou gestes inappropriés et parfois insistants… Ces situations surviennent dans le cadre professionnel comme partout ailleurs. Pour autant, l’entreprise a parfois des difficultés à comprendre l’ampleur du phénomène. Reconnaître ce qui relève des agissements sexistes ou de faits de harcèlement sexuel – un délit pénal – n’est pas toujours simple. Certains comportements, banalisés ou considérés – à tort – comme sans gravité, peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour la santé physique et mentale des personnes qui les subissent.
Depuis le 1er janvier 2019, dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés, l’employeur doit désigner un référent harcèlement sexuel. Celui-ci est chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. En parallèle, dans les entreprises qui en sont dotées, le comité social et économique (CSE) doit obligatoirement procéder à la nomination de son propre référent harcèlement sexuel. Si les missions de ce dernier ne sont pas précisément définies par le Code du travail, il peut sembler opportun qu’elles soient identiques à celles du premier, désigné par l’employeur. Et lorsque deux référents existent, leurs missions respectives devraient s’articuler… si la qualité du dialogue social le permet.
« Le législateur a souhaité la nomination de deux référents afin de multiplier les voies de recours. Suivant les circonstances et le lieu où se produisent les faits, il peut être difficile de s’en ouvrir », estime Marie-Anne Calleau, référente harcèlement sexuel et agissements sexistes pour le compte de l’employeur à la Maif. Lorsqu’elle a pris cette fonction, elle a suivi une formation dispensée par un cabinet de conseils en ressources humaines spécialisé sur les sujets de diversité et d’inclusion.
Vigilance, écoute et proximité
« Le référent CSE, récemment nommé, suivra le même parcours, poursuit-elle. Au départ, on a besoin d’un cadre juridique. Lors de la formation, nous avons travaillé autour de la notion de consentement pour mieux prendre conscience des situations anormales qui peuvent exister. En interne, le cabinet nous a aidés dans la mise en place d’un Cooc ( NDLR : le Cooc ou Corporate online open course est un cours en ligne créé sur mesure et dispensé par une entreprise auprès d’une communauté restreinte d’employés, partenaires ou clients.) de deux heures sur la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. En 2023, il entre dans le cadre d’un parcours obligatoire pour l’ensemble des salariés. »
En cas de faits de harcèlement sexuel dans une entreprise, il est généralement conseillé d’impliquer le référent nommé par l’entreprise, parfois avec un organisme extérieur, dans la réalisation d’une enquête. L’employeur a également la liberté de solliciter le référent CSE. Le ministère chargé du Travail précise d’ailleurs qu’une enquête menée conjointement peut garantir une pluralité des points de vue. « Longtemps, les entreprises étaient peu équipées sur les procédures internes, observe Marc Bernardin, fondateur d’Accordia, le cabinet de conseils qui a assisté la Maif. Une victime de harcèlement sexuel ne savait pas qui aller voir. Il y avait beaucoup de non-dits. #Metoo est passé par là et la loi a évolué. Aujourd’hui, le contexte légitime l’action des CSE dans leur rôle de vigilance, d’écoute des salariés et de proximité. »
CE QUE DIT LE CODE DU TRAVAIL
L’article L1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme « des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante ». Le harcèlement sexuel est également constitué quand un salarié subit ces propos ou comportements venant de plusieurs personnes, même si chacune n’a pas agi de façon répétée. Est également assimilée au harcèlement sexuel « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ». L’article L. 1142-2-1 du Code du travail définit quant à lui l’agissement sexiste comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Il insiste sur le caractère impérieux du déclenchement d’une enquête pour l’entreprise. « Ça peut être vécu comme un tsunami, générer des risques psychosociaux. S’il acquiert un bon niveau de connaissance, le CSE aura un rôle clé dans la réflexion qui entoure la gestion d’une situation, tant pour la victime que pour le collectif, insiste-t-il. La formation est un moyen de permettre à l’entreprise, lorsque survient un cas, de ne plus être dans la découverte des mécanismes rattachés au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes. Il y a encore énormément de méconnaissance, de toute part. »
Certains schémas sont à déconstruire, comme l’idée selon laquelle la répétition est nécessaire ou qu’il existe des profils de harceleurs. « C’est un homme gentil, un père de trois enfants, on n’aurait pas cru… Combien de fois a-t-on entendu ces choses-là ?, poursuit Marc Bernardin. J’ai rencontré des DRH convaincus qu’ils n’avaient pas ce problème et, après la formation, entendu un nombre important de stagiaires de leur entreprise évoquer des situations qu’ils avaient vécues ou dont ils avaient été témoins. »
Professionnaliser et accompagner
Pour une meilleure évaluation des situations, la formation continue des membres du CSE, des référents et du personnel encadrant apparaît donc essentielle. Ensuite, impliquer le référent harcèlement sexuel au CSE dans la communication et l’information sur le sujet peut se révéler intéressant. Il pourra demander à l’employeur des actions de sensibilisation. Certains environnements professionnels doivent aussi appeler à une vigilance particulière. C’est ce que décrit le directeur adjoint aux ressources humaines d’un grand groupe audiovisuel, sous couvert d’anonymat : « Nos salariés, jeunes et moins jeunes, évoluent dans un univers festif, parfois sans tabou. Une intervention extérieure sur ce sujet permet de libérer la parole, de faire le point sur ce qui est permis et ne l’est pas. Nous avons organisé des ateliers sur mesure de quatre heures pour former les managers en présentiel et fournir des outils afin qu’ils puissent animer des séquences d’information dans les équipes. »
Pour faire vivre le sujet, il est indispensable de professionnaliser une strate de l’entreprise et de faire redescendre l’information. Marc Bernardin cite l’exemple du groupe Adecco, qui a diffusé des vidéos de 3 minutes sur l’intranet et les réseaux sociaux, traitant du sexisme ordinaire ou hostile. Une action est d’autant plus efficace que le ton est ajusté à la culture de l’entreprise. Là aussi, les élus du CSE, par leur proximité avec le terrain, ont une carte à jouer.
RÉFÉRENT HARCÈLEMENT SEXUEL AU CSE : QUELS MOYENS ?
Le référent harcèlement sexuel désigné par le CSE dispose de moyens garantis par le Code du travail, comme des heures de délégation et une liberté de circulation dans l'entreprise qu'il peut mettre au service de ses missions. En complément, il bénéficie d'une formation spécifique pour lui permettre d'appréhender son rôle auprès des salariés, et de devenir une personne ressource en interne. Cette formation doit notamment lui apporter une parfaite connaissance du cadre réglementaire du harcèlement sexuel et des agissements sexistes en entreprise. Elle doit également lui apprendre à reconnaître les signes ou les situations de harcèlement sexuel, et lui donner les outils pour recueillir les signalements et agir de manière adaptée (auprès des victimes ou auteurs présumés et des témoins). Enfin, le référent doit pouvoir appréhender les actions et stratégies à envisager pour prévenir et lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans l'entreprise.