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Les zoonoses et maladies vectorielles

Des infections tuées dans l’œuf

Pour réduire le risque de transmission de pathogènes entre les palmipèdes et ses salariés, Sud-Ouest Accouvage, entreprise du Gers spécialisée dans l’incubation et l’éclosion d’œufs de canards mulards, mise sur des mesures d’hygiène et de désinfection drastiques, complétées par l’accompagnement d’un vétérinaire.

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Corinne Soulay - 26/06/2023
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Salle de tri des canetons mâles et femelles qui passent en machines de vaccination et de traitement des becs et des griffes.

Pour passer les portes de Sud-Ouest Accouvage, à Aignan, dans le Gers, il faut montrer patte blanche : « C’est douche obligatoire pour tout le monde ! », annonce le responsable, Jérémy Thorignac, en tendant aux visiteurs une tenue complète – pantalon, blouse, charlotte, chaussettes et bottes – à substituer aux habits « de ville ». L’entreprise gersoise, qui compte une vingtaine d’employés, est spécialisée dans l’incubation et l’éclosion d’œufs de canards mulards, un hybride stérile, issu de mâles canards de Barbarie et de cannes de Pékin.

Chaque semaine, le site reçoit des œufs de fermes de ponte locales et fait naître quelque 200 000 canetons qui sont ensuite livrés à des élevages producteurs de foie gras, de confit et de magret. Et ce, de la Bretagne à la chaîne des Pyrénées. Le couvoir est donc un lieu sensible : si des pathogènes contaminent les canetons, ils risquent de se répandre sur un large territoire. « Le premier principe de prévention est celui de la bioexclusion, qui consiste à empêcher les agents pathogènes d’entrer dans les locaux. Il faut également travailler en compartiment le plus étanche possible », explique François Landais, vétérinaire pour le cabinet Abiopole, qui assure un suivi régulier de l’entreprise. D’où la douche à l’arrivée et une autre à la sortie pour toute personne pénétrant dans le bâtiment.

Par ailleurs, les œufs sont désinfectés dans les fermes de ponte ainsi que les roues et les remorques des camions qui les livrent. « On suit ensuite le principe de marche en avant dans le couvoir, ajoute Jérémy Thorignac. Il y a deux zones distinctes : la première, où sont stockés et incubés les œufs, et l’éclosoir, avec les canetons. Il est interdit de revenir de la seconde – où des pathogènes peuvent être véhiculés par les duvets –, à la première. Pour s’en assurer, les opérateurs portent des tenues de couleurs différentes, selon où ils travaillent. Et les locaux sont désinfectés quotidiennement. » Objectif : éviter les contaminations entre palmipèdes, mais aussi de canards à humains.

Un risque limité

Parmi les zoonoses surveillées, l’influenza aviaire. Potentiellement transmise par des oiseaux sauvages aux canards reproducteurs, elle pourrait ainsi contaminer les œufs et donc les canetons à naître. La transmission à l’humain pourrait ensuite se faire par le biais de fines poussières contaminées par les déjections ou les sécrétions respiratoires des oisillons. « Le risque est faible, rassure François Landais. Depuis 2015, les incursions régulières de virus influenza ne sont pas le fait de souches zoonotiques, c’est-à-dire un virus qui aurait muté et serait capable d’infecter les humains. C’est seulement dans ce cas qu’on l’appelle grippe aviaire. Par ailleurs, ce type de virus est fragile et sensible à la chaleur, donc le processus d’incubation, qui consiste à exposer les œufs 31 jours à 37,5 °C, limite ici les risques. Mais nous restons vigilants. » Des tests réguliers sont réalisés sous supervision vétérinaire dans les fermes de ponte. Si un foyer d’influenza est repéré, tous les œufs issus de la lignée infectée sont détruits.

CONTRE LE DUVET EN SUSPENSION, UNE BONNE VENTILATION

Le travail en couvoir induit des risques d’exposition à la poussière. Après l’éclosion, les poussins sont triés, comptés, identifiés, et subissent une vaccination et un sexage avant d’être acheminés en élevage. Lors de ces manipulations, des particules composées majoritairement de duvet se retrouvent en suspension dans l’air. Pour réduire cet empoussièrement, il est conseillé d’installer des systèmes d’aspiration locale : hotte aspirante positionnée directement au-dessus des postes de travail, centrale d’aspiration… L’air extrait devant être évacué à l’extérieur du couvoir via un circuit indépendant. Par ailleurs, des systèmes de filtration doivent être installés aux entrées d’air afin d’éviter le recyclage d’air vicié. En complément, une ventilation dynamique appropriée, permettant d’assurer un renouvellement efficace de l’air, est recommandée. Le principe de marche en avant – avec la mise en œuvre d’un différentiel de pression, permettant un mouvement d’air allant des secteurs propres vers les secteurs sales – est requis.

Pour l’heure, des centaines de milliers d’œufs rose pâle, alignés sur des grilles superposées, sur des chariots mobiles, attendent de rejoindre les incubateurs. Le sol de la vaste salle, non carrelé, facilite le nettoyage quotidien et les œufs sont à nouveau désinfectés par pulvérisation de peroxyde d’hydrogène. Ici, le risque de zoonose est donc limité et touche essentiellement les œufs présentant des coquilles fêlées. « Des bactéries – colibacilles, pseudomonas… – peuvent avoir infecté l’embryon en amont, via ces fissures, proliférer et faire exploser la coquille. Même s’il n’y a pas de danger spécifique pour l’homme, ces germes d’altération ou de putréfaction pourraient en théorie infecter les opérateurs en cas de plaie », détaille François Landais. Par précaution, si un opérateur est souillé en manipulant un de ces œufs, il doit se doucher et changer de tenue. « L’odeur est si forte qu’en général, il le fait immédiatement ! »

Tests et prélèvements

Changement d’ambiance, dans la seconde zone du bâtiment, où se déroulent l’éclosion puis le tri des canetons mâles et femelles. Placés sur des tapis automatiques, des centaines d’oisillons duveteux transitent sur des carrousels où ils sont vaccinés contre la maladie de Derzsy – non transmissible à l’homme – et où leurs becs et griffes sont épointés par lumière pulsée afin d’éviter qu’ils ne se blessent entre eux. Les tenues bleues ont laissé place aux vertes, et le masque FFP2 est de rigueur, pour éviter l’inhalation de duvet susceptible d’encombrer l’appareil respiratoire et de créer des maladies pulmonaires. En outre, ces plumes minuscules peuvent théoriquement être porteuses de salmonelle, une bactérie à l’origine de symptômes digestifs. Un risque maîtrisé, grâce à la mise en place d’une politique de dépistage en amont.

« Les lots de canards reproducteurs sont testés toutes les quatre semaines dans les fermes de ponte pour éviter de faire éclore des œufs potentiellement porteurs, pointe le vétérinaire. Au besoin, des mesures sont prises en fonction de la dangerosité du type de salmonelle détectée, pouvant aller jusqu’à la destruction des œufs. » En complément, des prélèvements à la chiffonnette sont réalisés quotidiennement sur toutes les machines afin de les analyser et de s’assurer de l’absence de la bactérie.

Prélèvement d'échantillons sur les machines de traitement des becs et des griffes pour envoi en laboratoire en vue de recherche d'éventuelle salmonelle.

À la fin de chaque journée, locaux et machines sont également entièrement récurés : les appareils sont dépoussiérés puis désinfectés, chaque élément étant démonté et nettoyé à la brosse ; le sol est passé à la raclette et les parois au pulvérisateur. Une fois la pièce vidée, un appareil placé au centre vient diffuser un désinfectant afin de compléter l’opération. « Chaque trimestre, nous vérifions toutes ces procédures », précise François Landais, confirmant que, chez Sud-Ouest Accouvage, la collaboration avec le vétérinaire constitue un élément central de la prévention. Outre des visites d’audit et des prélèvements réguliers, le professionnel est impliqué dans les projets de l’entreprise. « Nous prévoyons une extension du bâtiment, et nous travaillons avec lui sur l’anticipation le plus en amont possible des risques et des solutions à mettre en œuvre », illustre Jérémy Thorignac.

Fin de la visite, les bottes sont ôtées et nettoyées, les vêtements mis à la machine où ils seront lavés à 60 degrés. Reste à prendre une dernière douche… Et la boucle est bouclée.

INFLUENZA AVIAIRE : QUE DIT LA RÉGLEMENTATION ?

Parmi les épizooties redoutées par les éleveurs de volailles, l’influenza aviaire. La transmission du virus aux élevages se fait par contact direct ou indirect (véhicule, matériel, fientes…) avec des oiseaux infectés, sauvages ou domestiques. En fonction du niveau de risque de diffusion du virus, défini par arrêté ministériel, des restrictions sont instaurées dans les zones à risque particulier – zones humides traversées par les couloirs de migration des oiseaux sauvages –, voire sur tout le territoire. Lorsqu’un foyer est détecté, l’ensemble des volailles de l’élevage est abattu, afin de limiter la propagation du virus, les cadavres et les produits de l’exploitation détruits, et, si nécessaire, un abattage préventif des animaux est réalisé dans un périmètre défini par arrêté préfectoral. Une zone de protection (3 km autour des foyers) et une zone de surveillance (10 km autour des foyers) sont définies avec des limitations de mouvement et une surveillance des autres élevages.

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