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Agir après un accident du travail

Un accident grave, et tout est à reconstruire

Usinage de pièces, mécano-soudure, réparation mécanique ou encore dépannage sur site… À Villeneuve-d’Olmes, en Ariège, Cuxac et fils propose une palette de solutions de maintenance industrielle. Il y a deux ans, cette petite entreprise a été confrontée à un accident grave dans un atelier. D’abord sous le choc, elle a rapidement engagé un travail de fond sur la prévention.

5 minutes de lecture
Grégory Brasseur - 29/08/2023
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Vue de l'atelier de l'entreprise Cuxac

« Hier, un gars s’est fait mal en retirant un copeau métallique coincé dans une machine. Le gant anticoupure n’a pas tenu et il s’est blessé à l’index. » L’accident qui nous est ainsi conté est resté sans gravité. Néanmoins, un comité de pilotage a immédiatement pris en charge l’analyse : photos, recueil des faits, arbre des causes… « Nous le faisons désormais pour le moindre incident. Ici, ça a donné l’occasion de rappeler que, dans cette situation, une pince multiprise doit impérativement être utilisée. Le gant ne suffit pas », affirme Damien Lagarde, chargé d’affaires et préparateur de chantier chez Cuxac et fils. À Villeneuve- d’Olmes, en Ariège, l’entreprise est spécialisée dans les travaux de mécanique générale.

Usinage de pièces, mécano-soudure, réparation mécanique, conseil et assistance, dépannage… Elle répond aux besoins de clients issus de différents secteurs d’activité tels que l’énergie, le bois, le textile, la sidérurgie, l’agriculture, le bâtiment… Créée en 1963 par Léon Cuxac dans une région de tradition industrielle textile, elle a progressivement diversifié son offre à partir des années 1990. Mais c’est un peu plus tard que le petit-fils du fondateur et actuel dirigeant, Mathieu Cuxac, fait entrer l’entreprise dans une nouvelle ère : agrandissements, création d’un bureau d’études, achat de matériel plus performant puis arrivée des premières machines à commande numérique en 2012.

« Après le déclin du textile, il a fallu se réinventer, même si les plus anciens ont montré quelques réticences au départ, explique-t-il. En matière de sécurité, il y avait beaucoup à faire. La réglementation évolue et, quand on est à la tête d’une entreprise de quinze personnes, on ne sait pas toujours vers qui se tourner. Le document unique d’évaluation des risques était réalisé, mais les avancées se faisaient au coup par coup et prenaient parfois du temps. » Et puis il y a eu l’accident.

« Un moment terrible humainement »

Personne ne l’a oublié. La victime avait à peine terminé son apprentissage dans l’entreprise. Le jour du drame, elle décide de nettoyer une pièce métallique de 1  700 mm à l’aide de toile sur un tour horizontal qui n’est pas destiné à cet usage. Pendant l’opération, la bande de toilage accroche son gant de protection. Le bras du salarié est emporté et, lorsqu’il tente de freiner l’axe en rotation avec sa seconde main, celle-ci est accrochée à son tour. Un collègue à proximité déclenche l’arrêt d’urgence, mais la scène laisse tout le monde sous le choc. Fracture ouverte, bras cassés, épaule déboîtée… Le salarié est pris en charge par un sauveteur secouriste du travail avant l’arrivée des pompiers.

LE TÉMOIGNAGE DE...

Damien Lagarde, chargé d’affaires de Cuxac et fils

« Venant d’un grand groupe de métallurgie, j’ai voulu importer un peu de culture sécurité dans l’établissement. Nous avons notamment agi sur la sécurité des interventions chez le client. Des opérations de soudage, du meulage, des travaux en hauteur ne peuvent se faire que dans le cadre de plans de prévention, avec un mode opératoire établi. Certains de nos clients avaient besoin d’y être sensibilisés, je suis donc allé à leur rencontre. L’idée était de leur faire prendre conscience des risques et de les amener à respecter leurs obligations. Ça veut dire parfois se remettre en cause. On y arrive, avec le temps… Comme nous l’avons fait en interne, que ce soit sur le rangement de l’atelier ou le port obligatoire de la casquette coquée, au sujet duquel il a fallu quelques mois pour obtenir l’adhésion de tous. La sécurité implique souvent de la pédagogie et de la répétition. »

« Humainement, c’est un moment terrible. On doit faire un arbre des causes pour remonter aux racines de l’accident, mais on ne sait plus trop où on en est », souligne le patron. La machine, évidemment, est immédiatement condamnée. Mathieu Cuxac contacte Didier Durrieu, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées, qui l’incite à mettre en place des points sécurité quotidiens, en organisant des remontées des chantiers et affaires traités. « L’établissement est un peu loin de tout. L’activité est extrêmement diversifiée, les sujets de prévention nombreux et, dans une petite entreprise, le dirigeant, est souvent au four et au moulin et peut se sentir démuni. Il était impératif que la direction entre dans une démarche volontaire pour tout remettre à plat et qu’elle entraîne ses collaborateurs dans la dynamique », évoque Didier Durrieu.

Après l’accident, il est décidé de faire réaliser par un organisme agréé un diagnostic de conformité sur l’ensemble du parc machines. Des fiches de poste sont élaborées et affichées dans les ateliers. « Elles sont illustrées par des photos qui nous rappellent ce que, par habitude, nous finissons par ne plus voir. Cela permet de reprendre conscience des risques », explique Dominique Clerc, un technicien fraiseur. Certaines consignes, comme l’interdiction du toilage manuel, sont rappelées aux tourneurs fraiseurs. L’entreprise achète un appareil à fixer sur la poupée mobile du tour pour les opérations de toilage. « Nous avons nettoyé, rangé, redisposé les machines, qui sont entretenues », reprend l’opérateur. Un nouvel accès est créé entre l’atelier mécanique et la chaudronnerie, les locaux sociaux sont refaits, l’accès au site sécurisé.

Se fixer un cap

Pour les nouveaux embauchés, un accueil sécurité d’1 h 30 est instauré, avec présentation d’un diaporama sur les risques professionnels. « Je crois qu’il y a eu un élan collectif. Seul, on ne peut rien faire, reprend Mathieu Cuxac. On s’est fait accompagner par des préventeurs extérieurs, notamment dans le cadre de consultations pour la certification Mase (NDLR. La certification Mase consiste à apporter la preuve qu’ un système d’amélioration continue a été mis en place au sein de structures intervenant chez des entreprises utilisatrices), ou d’un programme régional sur l’industrie du futur. Le regard d’un ergonome nous a été très précieux. Il est aujourd’hui connu des équipes qui échangent avec lui. Je suis également allé suivre une formation proposée par la Carsat pour évaluer les risques chimiques à l’aide du logiciel Seirich. »

Un salarié de l'entreprise Cuxac à son poste de travail.

Depuis, cinq salariés ont souhaité devenir sauveteurs secouristes du travail, signe aussi d’un élan collectif sur le sujet. Pour formaliser les choses, la direction tient à jour un programme de prévention. Y sont précisés la liste des actions à mener, la source (une causerie, un diagnostic machine, un audit interne…), les objectifs à atteindre et les priorités. « Ce document nous permet de fixer un cap, des délais de mise en œuvre, et de mesurer dans le temps les effets de nos actions », précise Mathieu Cuxac.

Chaque mois, une réunion de sécurité est organisée autour d’un thème. Le dernier en date : les accidents de trajet. Autre initiative récente, la réalisation d’un « mur de la pagaille », à partir de photos prises tôt le matin dans l’atelier. Les salariés ont été invités à réagir et faire des propositions d’améliorations. Avec toujours cette même volonté : se reconstruire collectivement, avec une vision à long terme.

UN LONG CHEMIN

« À partir des remontées des dysfonctionnements, on établit des priorités. » Sur le tableur que met à jour Mathieu Cuxac chaque semaine, celles-ci vont de quelques jours à trois mois. Il peut s’agir d’un simple affichage, d’un accès à améliorer, du remplacement d’un matériel, d’une mise en conformité… « La diversité des travaux de mécanique industrielle que nous réalisons est importante. Malgré l’énormité de la tâche et le retard que l’entreprise pouvait avoir, elle a pris conscience de la nécessité d’agir, est allée chercher du conseil à l’extérieur et a mobilisé les équipes dans un projet qui a donné du sens », constate Didier Durrieu. Est-elle pour autant arrivée au bout du chemin ? « Certainement pas, répond le chef d’entreprise. Plus on avance, plus on réalise que c’est une histoire sans fin. Mais nous suivons notre feuille de route et constatons petit à petit que tout le monde y gagne. »

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