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Agir après un accident du travail

Aide à domicile : agir vite pour agir bien

Spécialiste de l’aide à domicile dans le département de l’Hérault, l’association Objectif Émergence a revu sa procédure en cas d’accident du travail pour permettre une véritable analyse débouchant sur un plan d’action. Cette démarche fait suite à l’engagement de la structure dans un projet expérimental de la Carsat Languedoc-Roussillon qui a notamment donné lieu à la formation d’animateurs prévention.

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Grégory Brasseur - 29/08/2023
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Une salariée d'Objectif Émergence chez une bénéficiaire.

Des analyses d’accidents, il y en a toujours eu… Avec le constat récurrent du manque de solutions pérennes qui s’en dégageaient. « Nous manquions de suivi des préconisations de la Commission santé, sécurité et conditions de travail et rencontrions des difficultés de déploiement », reconnaît Éloïse Faugeron, directrice des ressources humaines (DRH) chez Objectif Émergence (groupe ProSeniors). L’association intervient à domicile auprès de personnes en perte d’autonomie, personnes âgées ou souffrant de handicap physique ou mental. Avec 650 salariés pour 1 600 bénéficiaires dans l’Hérault, elle évolue dans un secteur où la sinistralité est forte. En 2021, en Languedoc-Roussillon, l’indice de fréquence des accidents du travail (nombre des accidents en premier règlement/effectif salarié) x 1 000) pour l’aide à domicile était de 117,7 accidents pour 1 000 salariés et 97,7 au niveau national (contre 31 tous secteurs confondus).

« Christophe Pagès, contrôleur de sécurité à la Carsat Languedoc-Roussillon, ne cesse de nous le répéter : il n’y a pas d’accident bête, sinon qu’est-ce qu’un accident intelligent ?, reprend la DRH. Il nous fallait trouver un moyen d’agir, malgré de nombreuses difficultés. Nous intervenons sur décision du Conseil départemental, avec souvent peu d’informations sur l’état de santé du bénéficiaire… La prestation est réalisée au domicile de la personne, sans responsable hiérarchique sur place. Les bénéficiaires – dont la situation peut évoluer vite – peuvent être réticents à transformer leur lieu de vie… » « En 17 ans, je n’ai jamais eu d’accident mais j’ai vu des collègues rester coincées après un transfert », témoigne Naïma Derrahi, auxiliaire de vie sociale (AVS) et membre du CSE. Courses, préparation et aide à la prise des repas, ménage, toilette, entretien du cadre de vie, loisirs, parfois simple présence ou surveillance de nuit : l’activité est variée. Le jour de notre reportage, elle intervient chez une bénéficiaire en situation de handicap dont la chambre est équipée d’un rail de transfert. Un fait exceptionnel.

Une implication à tous les niveaux

« Que ce soit sur la perte d’autonomie, une difficulté de transfert ou si quelque chose n’est pas adapté au domicile, j’en parle à la cheffe de secteur, également animatrice prévention », explique la salariée. Il y a quatre ans, Objectif Émergence a intégré un projet expérimental 2019-2022 lancé par la Carsat Languedoc-Roussillon auprès de huit services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) de tailles différentes. Au préalable, Frédéric Jean, ingénieur-conseil à la Carsat et pilote du projet, a suivi une intervenante dans son quotidien pour s’imprégner de ses contraintes.

UN GAIN EN EFFICACITÉ

« J’ai effectué le recueil des faits à la suite d’un accident survenu en avril chez une personne en situation de handicap, explique Fanny Romeu, responsable de secteur et animatrice prévention. La salariée a exprimé des soucis de transfert liés à du matériel inadéquat. » Très vite, l’animatrice prévention constate que d’autres AVS éprouvent les mêmes difficultés. L’équipe prévention se rend au domicile et constate que les freins de la chaise percée ne fonctionnent pas. De plus, la chambre est encombrée et le lit médicalisé collé au mur. « J’ai exposé les faits et sollicité le pôle autonomie santé, reprend Fanny Romeu. Des solutions ont été présentées au bénéficiaire, sur les volets technique et financier, et acceptées. L’installation d’une nouvelle chaise percée s’est faite en moins d’une semaine ! » L’ergothérapeute a programmé une nouvelle visite consacrée à l’organisation de la chambre.

L’engagement s’est formalisé par la formation des membres de la direction et d’animateurs prévention suivant le référentiel INRS AP-ASD. Ces derniers sont à même d’observer et d’analyser la situation de travail à domicile, de repérer les dangers et de proposer des mesures de prévention adaptées. Les équipes ont été également sensibilisées à l’utilisation des aides techniques. Et pour la gestion de situations complexes, le dispositif prévoit la mobilisation d’acteurs locaux. Parmi eux, le Centre d’information et de conseils sur les aides techniques du Pôle autonomie santé de l’Étape, à Lattes, a fait intervenir des ergothérapeutes dans plusieurs lieux de prestations.

Une salariée d'Objectif Émergence chez une bénéficiaire.

« On se sentait seuls. Ils nous ont apporté leur regard sur la perte d’autonomie. Ils font également le lien avec les familles. Parler de prévention pour les salariés, c’est aussi améliorer la qualité de l’accompagnement », estime Jennifer Jourdan, responsable qualité et animatrice prévention. Ces ergothérapeutes ont suivi un module de formation des AVS sur les aides techniques, ce qui a renforcé leurs compétences.

Priorité au recueil des faits

Ces bases en place, une réflexion sur l’analyse des accidents du travail s’est engagée. « Lors des réunions de la CSSCT, j’avais noté un manque de données factuelles qui ne permettait pas à l’instance et à la direction d’identifier facilement des pistes d’action », se souvient Christophe Pagès. La priorité était donnée à la déclaration d’accident du travail plus qu’à la recherche des causes. « La structure a revu sa procédure de recueil des faits suivant une trame proposée par la Carsat », reprend le contrôleur de sécurité. Dans chaque agence, un référent et un suppléant sont formés.

« Depuis février 2023, ces référents effectuent le recueil des faits immédiatement après accident. Si l’on ne récupère pas toutes les informations à ce moment, elles risquent d’être perdues. Ce recueil des faits doit pouvoir se faire sans crainte de se sentir jugé », insiste Sylvie Andron, la directrice des services. La grille de recueil des faits utilisée synthétise l’outil INRS « Agir suite à un accident du travail ». Le résultat est envoyé aux animateurs prévention, à la CSSCT et à la direction pour qu’un groupe l’analyse, sollicite éventuellement des acteurs externes – tels que des ergothérapeutes – et présente un plan d’action suivi de la mise en œuvre et de l’évolution du document unique.

« Nous parvenons à des solutions concrètes, parfois moins de 10 jours après l’accident », souligne Jennifer Jourdan. Solutions dont il est question dans les lettres d’information, groupes de parole mensuels, réunions d’animateurs prévention... « La montée en compétences via les formations AP-ASD permet aussi de s’arrêter sur les situations de travail potentiellement exposantes. On analyse tout ce qui le nécessite », reprend l’animatrice prévention. « Former, cadrer, donner du sens… C’est un travail de longue haleine mené sur le repérage de la perte d’autonomie qui a aussi contribué à revaloriser les métiers », conclut Sylvie Andron. Chacun, à son niveau, acquiert une légitimité pour agir en prévention.

Processus de suivi des accidents du travail

La grille de recueil des faits s’arrête sur les circonstances précises du dommage : récit de l’accident, description de l’activité (tâche, réalisation, faits inhabituels…), organisation (horaires, cadences, contraintes…), matériel (aides techniques disponibles et état, moyens de prévention mis en œuvre, EPI…), facteurs humains (ancienneté dans le poste, formation, type de contrat…), facteurs environnementaux (bruit, température, état des sols…). Pour donner la priorité au recueil des faits et lui permettre de déboucher sur la définition de mesures de prévention visant les aspects organisationnels, techniques et humains, Objectif Émergence a intégralement revu son processus de suivi des accidents du travail en distinguant bien le recueil des faits, réalisé par des référents y ayant été formés, de la déclaration administrative de l’accident.

Schéma du processus de suivi des accidents du travail chez Objectif Émergences

VISION D’AVENIR

« Objectif Émergence est le SAAD (service d’aide et d’accompagnement à domicile) qui a formé le plus d’animateurs prévention sur la région : ils ont suivi six jours de formation plus un module de deux jours sur l’analyse d’accident du travail, confie Christophe Pagès, contrôleur de sécurité à la Carsat Languedoc-Roussillon. L’engagement est fort, d’autant que la baisse de sinistralité n’est jamais immédiate. » Pour lui, il faudrait déployer cette organisation dans les SAAD de la région, créer des réseaux interétablissements, avec les travailleurs sociaux du Conseil départemental, des ergothérapeutes. « Dès lors qu’un SAAD s’engage dans un projet et forme des animateurs prévention, leur apport est essentiel pour l’analyse des manutentions, le conseil aux bénéficiaires », ajoute-t-il. Chez Objectif Émergence, quand une situation délicate est repérée, l’animateur prévention informé pourra recueillir les faits, établir des préconisations et, s’il le juge nécessaire, faire appel à un ergothérapeute.

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