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Algorithmes

L’Anses alerte sur les conditions de travail des livreurs à deux-roues

À quels risques professionnels sont exposés les travailleurs des plates-formes numériques de livraison de repas en France ? L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient de rendre un avis sur la question, pointant des risques pour la santé physique et mentale de ces travailleurs indépendants, dont les courses sont gérées par des algorithmes.

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Corinne Soulay - 24/04/2025
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Vue d'une situation de travail d'un livreur à vélo.

Uber eats, Deliveroo, Just eat… Ces dernières années, grâce au développement des technologies de communication facilitant la mise en relation entre individus, les plates-formes numériques de livraison se sont multipliées. Selon l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (Arpe), plus de 71 000 livreurs indépendants, en grande majorité des livreurs de repas, opéreraient désormais en France. Un nouveau modèle économique qui implique des conditions de travail particulières. Le 26 mars dernier, l’Anses a publié un avis sur le sujet, pointant notamment les effets délétères du management algorithmique qui sous-tend cette activité. « Les règles d’attribution des courses, l’évolution des modalités de rémunération, l’évaluation des prestations, la surveillance des tâches et des performances des travailleurs, les sanctions éventuelles… tout cela est géré par des processus automatisés, opaques pour les livreurs. Ceux-ci n’ont aucune interaction avec un être humain, ils ne peuvent donc s’appuyer sur personne en cas de difficultés rencontrées sur le terrain », remarque Aurélie Niaudet, adjointe au chef de l’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques de l’Anses, qui a coordonné l’expertise. Selon le rapport, pour tenter de comprendre le fonctionnement de l’algorithme et de répondre à ses exigences, les livreurs ont tendance à mettre en place des stratégies dites « d’auto-accélération ». « Cela signifie qu’ils intensifient leur rythme de travail, en conduisant de plus en plus vite lors de leurs courses et en augmentant leurs plages horaires avec, à la clé, du stress, un épuisement physique et mental, et des prises de risques pouvant entraîner des accidents », précise Aurélie Niaudet.

Des effets à plus ou moins long terme

L’activité physique intense et prolongée à vélo peut également être à l’origine de troubles musculosquelettiques (TMS). « Ces travailleurs étant indépendants, avec des revenus souvent instables, ils ne possèdent pas toujours d’équipements adaptés d’un point de vue ergonomique », souligne Anne-Marie Nicot, présidente du groupe de travail à l’origine de l’avis. Sans compter les facteurs de risques liés à l’environnement urbain : infrastructures peu adaptées aux vélos, intempéries (pluie, vent, chaleur, etc.), pollution de l’air, bruit… « Tous ces facteurs de risques, physiques et psychosociaux, interagissent, créant un contexte de risques accrus pour le travailleur. Un exemple significatif est celui des soirées de pluie, où les commandes sont plus nombreuses et où les platesformes augmentent le tarif des courses, pour inciter les livreurs à se connecter pour livrer, alors que les conditions météo augmentent les risques d’accidents », regrette Anne-Marie Nicot. Outre des effets sur la santé à court et moyen termes, le rapport relève également des conséquences à plus long terme, tels que des troubles du sommeil, des maladies métaboliques, respiratoires ou cardiovasculaires. Il souligne aussi que « ces travailleurs ne bénéficient ni d’une politique de prévention des risques adéquate, ni d’une protection sociale suffisante ».

Responsabiliser les plates-formes

Pour y remédier, l’Anses livre une série de recommandations. En priorité, elle appelle à responsabiliser les plates-formes. « Leur rôle ne se limite pas à mettre en relation les livreurs avec les clients, elles organisent entièrement l’activité des livreurs, insiste Aurélie Niaudet. À ce titre, il est nécessaire de rendre obligatoire, pour les platesformes, l’application des dispositions du Code du travail garantissant une protection de la santé et une sécurité équivalentes à celle des salariés. » En clair, elles se doivent d’évaluer les risques auxquels sont exposés les livreurs et de mettre en place les mesures adaptées en termes d’équipements de protection individuelle (EPI), de formation, de rémunérations… Par ailleurs, la Directive européenne (UE) 2024/2831, relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plate-forme, a été adoptée le 11 novembre 2024. L’Anses recommande de saisir cette opportunité pour intégrer l’ensemble des éléments identifiés dans son expertise, en matière de santé et sécurité au travail, lors de sa transposition en droit français. Enfin, le rapport propose de rendre obligatoire la collecte et la remontée de données statistiques sur la santé de ces livreurs. « Il est essentiel de continuer à documenter les effets de ces nouvelles formes d’organisation du travail sur la santé et d’affiner nos connaissances des risques, pour pouvoir proposer des politiques de prévention appropriées », conclut Anne-Marie Nicot.

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